Dimanche soir, durant l’allocution d’Emmanuel Macron annonçant la dissolution de l’Assemblée nationale et la tenue de nouvelles élections législatives, les 30 juin et 7 juillet, les amateur·rices de séries ont entendu un mot familier, une référence indirecte mais sûrement volontaire à la création d’Éric Benzekri (auteur de Baron noir) diffusée ce printemps sur Canal+ : La Fièvre.
Après avoir reconnu l’ampleur de la victoire du RN et avancé l’idée que le parti de Marine Le Pen incarnerait le “déclassement” de la France, Macron se lance dans une courte analyse : “À cette situation s’ajoute une fièvre qui s’est emparée ces dernières années du débat public et parlementaire dans notre pays. Un désordre qui, je le sais, vous inquiète et parfois vous choque et auquel je n’entends rien céder. Les défis qui se présentent à nous […] exigent la clarté dans nos débats, l’ambition pour notre pays et le respect pour chaque Français. C’est pourquoi […] j’ai décidé de vous redonner le choix de votre avenir parlementaire par le vote. Je dissous donc ce soir l’Assemblée nationale.”
Macron en showrunner du récit-France
De quoi cette “fièvre” est-elle le nom ? Dans sa série, Benzekri s’intéresse aux destins croisés d’un club de foot où éclate une affaire de racisme entre l’entraîneur et un joueur noir, d’une communicante politique obsédée par la perspective du chaos dû aux divisions sociétales, d’une influenceuse d’extrême droite aux méthodes redoutablement efficaces et d’une militante indigéniste. “La fièvre”, ce serait l’impossibilité d’en sortir, la radicalisation de tout. Macron n’entre pas dans les détails de cette toile de significations, semblant plutôt dénoncer en creux ses conséquences : la brutalité des invectives dans les discours et parfois les actes.
L’enjeu n’est probablement pas seulement ici. En citant La Fièvre, Macron prend aussi acte des pouvoirs divinatoires de la fiction, la série d’Éric Benzekri agitant frontalement la menace de l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir. Mais s’il l’a vue, l’a-t-il vue jusqu’au bout ? Dans la dernière scène de la saison 1, Philippe Rickwaert, le héros politicien de Baron noir incarné par Kad Merad, devenu président de la République, fait son retour à la surprise générale. À l’héroïne de La Fièvre – dont la deuxième saison devrait absorber le monde de Baron noir –, il pose la question : “On en est où ? Avant ? Juste avant ? Longtemps avant ? Ou alors, ça a déjà commencé… la guerre civile ? Est-ce que vous pensez qu’on peut s’en sortir ?”
S’en sortir collectivement ne semble pas constituer la priorité d’Emmanuel Macron. La décision solitaire de la dissolution, couplée à l’emploi d’un mot en référence à une fiction, est une manière d’affirmer qu’il tient les rênes du scénario. Quelle que soit l’issue, il reste le showrunner [scénariste et producteur principal d’une série, ndlr] du récit-France, ce qui dénote d’une étrange conception de sa fonction. La fièvre, c’est désormais Macron qui décide de la mettre. Le réel reprend un coup d’avance sur la fiction, mais ce n’est pas forcément une bonne nouvelle, tant l’histoire proposée nous afflige.
Édito initialement paru dans la newsletter ciné du 12 juin. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !
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Author : Olivier Joyard
Publish date : 2024-06-14 14:54:19
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