Entamer une transition et monter sur scène pour en parler et en rire : dans ce double mouvement successif, qui relève d’une épreuve engageant à la fois son identité de genre et son image sociale, Lou Trotignon, 26 ans, a trouvé une voie d’épanouissement personnel et de reconnaissance publique. Avec son premier spectacle de stand-up, Mérou, qui tourne depuis des mois dans les comedy clubs et les salles inclusives de France, l’humoriste est en train de conquérir un jeune public, en même temps qu’il défend la cause de la transidentité, souvent malmenée dans le débat public.
Se définissant comme un “mec trans non binaire”, à l’image de son poisson fétiche qui change de sexe au cours de son existence (les mérous possèdent en effet des glandes hermaphrodites faisant d’eux des poissons sans sexe déterminé au départ, devenant femelles vers 5 ans avant de se transformer définitivement en mâles), Lou Trotignon a fait de son saut dans l’existence genrée le motif d’un récit intime et politique à partager.
Cela n’a l’air de rien, mais si le stand-up s’est historiquement construit sur le geste de la confession intime et de la mise à nu de soi, l’enjeu de la transidentité ou même des désirs des personnes LGBTQI+ lui était encore souvent étranger. Trop dérangeant ? Trop subversif ? Peut-être encore, bien que certains humoristes-clés comme Océan avaient ouvert ces dernières années la voie d’une parole scénique entremêlant les codes de l’humour et les mots d’une affirmation trans. Lou, lui, a trouvé sa voix singulière pour mettre au clair ce qui le traverse, même si cette clarté exposée a toujours une touche d’opacité aux yeux des transphobes en proie à des paniques morales, comme en parlait très bien l’an dernier Tal Madesta dans son livre La Fin des monstres.
Après avoir surmonté les épreuves sociales que tous les individus en transition rencontrent (enfance étouffée, adolescence inquiète, recherche constante de son identité, premiers rejets dès les débuts de sa transition…), Lou Trotignon mesure que le stand-up, par sa résonance publique, par l’écho qu’il suscite dans les médias mainstream, a la possibilité “de normaliser les choses par le rire”. Comme si la transidentité, largement discutée dans le champ du savoir et des sciences humaines aujourd’hui, trouvait dans les marges de l’espace humoristique le lieu d’une légitimation symbolique. La société n’avance-t-elle pas souvent par le rire, dont il traduit ou préfigure les transformations des formes de vie ?
Après avoir joué sur scène en 2021 à la Queer Week, à Paris, après avoir suivi une formation à l’Académie d’humour en 2022, après avoir été accompagné et encouragé par une figure centrale de l’humour actuel, Shirley Souagnon, mais aussi par Tania Dutel, Tahnee et Mahaut Drama, toutes des “modèles” à ses yeux, Lou Trotignon a pu s’affirmer peu à peu comme un garçon, sans contrefaçon. Et surtout comme un humoriste, sans doute possible. Sens du rythme, énergie de la parole, électrisation du public : par son écriture autant que par l’expérience qu’il transmet, il s’impose aujourd’hui comme une figure d’incarnation des trans heureux·ses. Un poisson nommé Lou qui fait de la scène son port d’attache, sinon le laboratoire d’une reconnaissance sociale de la transidentité.
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Author : Jean-Marie Durand
Publish date : 2024-06-17 16:00:00
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