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Législatives 2024 : quand les libraires organisent la résistance contre le RN

Législatives 2024 : quand les libraires organisent la résistance contre le RN



Lundi 10 juin, 9 heures du matin. Quelques heures après l’annonce par le président de la République de la dissolution de l’Assemblée nationale, Elsa Mittelette, co-gérante de la librairie Un livre à soi à Longjumeau en région parisienne, poste un message sur X (anciennement Twitter) invitant “les libraires (qui ne le font pas déjà) à faire des vitrines de livres de gauche”. Elle n’est pas la seule à avoir cette idée : partout sur Instagram surgissent des photos de vitrines de librairies pleines d’ouvrages publiés par des maisons d’édition de gauche comme Libertalia ou La Fabrique et d’affiches bricolées portant la mention “Librairie antifasciste”.

“Cela m’a paru très naturel de faire une vitrine”, explique Bertrand Teulet qui tient depuis près de quatre ans la Librairie-café Biglemoi dans le quartier de Fives à Lille. “C’est une manière de dire, à notre petite échelle, qu’on est contre le RN.” Dès mardi 11 juin, il mettait en avant dans sa vitrine Dix questions sur l’antifascisme du collectif La Horde (Libertalia) ou Le grand remplaçant : La face cachée de Jordan Bardella de Pierre-Stéphane Fort (Studiofact). Elsa Mittelette, qui a placé dans sa vitrine des livres d’Hannah Arendt, d’Umberto Eco ou de Johann Chapoutot espère qu’“une personne va passer devant [la librairie] et se dire ‘pourquoi pas’”. 

Une action par jour

Les vitrines ne sont pas le seul terrain d’action des libraires depuis dimanche 9 juin. À la librairie La Régulière, située dans le quartier de la Goutte d’Or à Paris, l’imprimante a tourné à bloc pour mettre à disposition des client·es des tracts militants. “Le samedi 15, nous avons organisé un atelier de pancartes avant la manifestation qui a attiré beaucoup de monde explique Alice Schneider, la gérante du lieu. J’ai aussi proposé à mes salariées d’aller manifester pendant que je tenais la boutique.” De nombreux·euses libraires ont immédiatement offert de mettre en relation des client·es cherchant à donner procuration pour pouvoir voter aux législatives.

C’est le cas de Majid Berdjouh, libraire à la Confiserie à Rabastens près de Toulouse, une commune dans laquelle la liste du candidat RN est arrivée en tête. “On va mettre un système de procuration qui permet aux gens de déposer leurs demandes ici en direct”, explique-t-il. Le gérant, qui souligne être avec son associé l’un des rares “libraires racisés en milieu rural” a prévu une action par jour : posts Instagram, mise à disposition d’une pièce pour le matériel du Nouveau Front populaire, rencontres… Et l’élaboration d’une “vitrine recouverte d’affiches blanches avec écrit ‘Libraires en danger si le RN passe’”. 

Un lieu d’accueil, d’écoute

Anne Morin-Audebrand, qui a ouvert le café-librairie Boucan à Pont-Aven dans le Finistère, a quant à elle pour projet de lancer avec la documentariste radio Aline Pénitot “Radio boucan”, un espace pour éditer des podcasts et diffuser les rencontres. Elles ont notamment prévu d’organiser des écoutes d’extraits d’émissions autour de l’immigration, du racisme, du front populaire de Léon Blum, des transidentités ainsi que des arpentages d’ouvrages. “Nous voulons créer des doléances, des revendications que nous porterons à nos candidats députés du Front populaire. Nous mettons cela en place localement et la librairie est l’une des bases de cette dynamique”, explique-t-elle. “Dans les lieux ruraux, l’idée de communauté est très présente, continue-t-elle. Les librairies sont des lieux de rencontre et les gens ont l’habitude de ne pas être là uniquement pour acheter des livres”.

Les gérantes de la librairie Un livre et une tasse de thé, qui reçoivent régulièrement des auteur·ices féministes, antiracistes, LGBTIQ+ pour des rencontres à leur adresse parisienne, ont ainsi croisé toute la semaine dernière des “personnes venues chercher du réconfort”. “Dans ces moments, on voit le gros impact des librairies sur la vie politique locale, explique Annabelle Chauvet. On devient un lieu d’accueil, d’écoute”. 

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Devoir de neutralité ?

Pourtant, ces initiatives militantes portées en majorité par des librairies engagées à gauche ne sont pas toujours vues d’un bon œil. Julie Soulié, libraire au Merle Moqueur, grande librairie indépendante parisienne qui a mis en place une vitrine au lendemain de la dissolution, souligne qu’une minorité de la clientèle trouve “cela un peu extrême de donner son avis sur la situation. Certain·es client·es pensent que les libraires ont un certain devoir de neutralité.” Pourtant, si les libraires ont l’obligation de commander les livres pour leurs client·es (loi Lang), ils et elles sont libres de présenter ce qu’iels veulent en rayon. “On aurait tort de dépolitiser les librairies et de prôner une neutralité qui de fait n’existe pas”, estime Audrey Pineau qui tient la librairie Divergences à Quimperlé, enseigne qui a été très bien accueillie au niveau local.  “On parle beaucoup de la mainmise de Bolloré sur les médias mais il a aussi une mainmise sur l’édition avec Hachette, explique-t-elle. Il y a un combat culturel à mener et on le mène en sélectionnant des livres qui prônent des principes de tolérance, de justice, de défense des minorités”.

Un combat culturel pour la diversité éditoriale qui s’avère d’autant plus urgent que le groupe de Vincent Bolloré, non content de détenir les clés du groupe Hachette (qui diffuse et distribue de nombreuses maisons d’édition françaises), est devenu propriétaire en septembre dernier de la librairie indépendante de Saint-Germain-des-Prés L’écume des pages. Le Syndicat de la librairie française a par ailleurs publié mi-juin les résultats d’une enquête réalisée par le cabinet Xerfi indiquant qu’ “en l’absence de mesures en faveur des librairies, la plupart d’entre elles se retrouveront déficitaires d’ici deux ans”. Les petites enseignes, qui souffrent de la pression des distributeurs, seront les premières à subir ce durcissement de leurs conditions de travail. 

Un commerce déjà très fragile

Les libraires sont aux premières loges pour observer le glissement de la société vers les idées d’extrême droite racistes, sexistes, homophobes, transphobes… “J’ai vu le basculement à la librairie de manière assez claire nous explique Lisa Pfister, qui a monté en 2019 la librairie La Lisette à Schirmeck en Alsace, village qui a voté à plus de 50 % pour l’extrême droite (RN et Reconquête) aux élections européennes. “Ce glissement vers les idées d’extrême droite est assez clair quand je regarde les livres qu’on me demande, analyse-t-elle. Schirmeck se situe dans un milieu très rural, très précaire, avec des gens qui sont un peu éloignés des infos et regardent surtout BFM et CNews. J’ai des clients qui lisaient des livres d’actualité assez modérés et qui se sont mis à commander des essais sur les pires théories du complot ou sur le ‘grand remplacement’”. Lisa hésite à afficher “libraire antifasciste” dans sa vitrine. “J’ai peur de perdre ma clientèle, sachant que la librairie est un commerce très fragile, déplore-t-elle. J’ai quand même fait une vitrine engagée pour les deux prochaines semaines pour dire qu’un gouvernement de gauche n’est pas utopiste et qu’il pourrait profiter aux gens d’ici qui sont très précaires.”

À Marseille, la librairie jeunesse Petit Pantagruel a été vandalisée dimanche. La fondatrice, Émilie Berto, explique qu’elle avait mis en place une “manifestation de doudous” avec des tracts appelant au vote.  

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Une dynamique de mobilisation

Dès le soir de la dissolution, les libraires d’Un livre une tasse de thé ont ouvert une conversation sur Instagram qui, de fil en aiguille, a réuni une bonne centaine de libraires “indépendantes et antifascistes”. “On a commencé par partager des contenus, des textes, des affiches qui pouvaient être mises en vitrine”, explique Thibaut Willems, qui a co-fondé la librairie Le Pied à terre dans le nord de Paris et fait partie, comme toutes les personnes interrogées, de ce groupe “qui reste très informel” comme nous le souligne Julie Galabert, co-fondatrice de la librairie indépendante À la Marge à Montreuil. Les réflexions mènent rapidement à la rédaction d’un premier texte, publié vendredi 14 juin sur Instagram, qui appelle les libraires qui le peuvent financièrement à fermer leur magasin pour se rendre la manifestation et à “mettre [leurs] moyens à disposition”.

Depuis, les libraires d’Un livre une tasse de thé, du Pied à terre et des Parleuses planchent sur la rédaction d’une tribune publiée ce mercredi qui appelle notamment à voter pour le Nouveau Front populaire. “Je me doute qu’on ne va changer l’avis de personne en faisant cela, explique Thibaut. Par contre je pense qu’on peut créer une dynamique de mobilisation, participer à un récit d’unité, de mobilisation et d’action qui n’est pas motivé que par la peur”. De leur côté, les libraires d’Un livre une tasse de thé espèrent “que ce mouvement va perdurer autant que possible” après les élections. Annabelle Chauvet songe déjà à organiser une contre-soirée électorale le 7 juillet. Pour faire communauté autour des livres et des idées, quels que soient les résultats. Et pour réfléchir à l’avenir d’une profession toujours plus fragilisée. 

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Author : Pauline Le Gall

Publish date : 2024-06-19 09:30:12

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Tags :Les Inrocks

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