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Au Eye Filmmuseum, Albert Serra nous invite à participer à une sépulcrale partouze

Au Eye Filmmuseum, Albert Serra nous invite à participer à une sépulcrale partouze



À quelques encablures du licencieux “quartier rouge”, c’est un autre type d’échanges sexuels qu’abrite le Eye Filmmuseum, cinémathèque très arty de la capitale néerlandaise.

Depuis le 8 juin et jusqu’au 29 septembre, le cinéaste catalan Albert Serra (Pacifiction, La Mort de Louis XIV) y a été invité pour proposer une géniale installation dérivée de son dernier film, Liberté (2019), qui avait lui même été inspiré d’une pièce de théâtre présentée à la Volksbühne de Berlin. En plus de l’installation, Serra a élaboré une carte blanche qui sera assortie de rencontres, d’une rétrospective et pour finir de la projection de son nouveau film. 

Monarchie décadente

Le pari de l’exposition est de casser le quatrième mur pour que s’y répandent les ébats sadomasochistes et libertins de la noblesse fin de règne du film. Ce vaste espace de cruising ainsi dédoublé est plongé dans la pénombre de la nuit échangiste de Liberté. En y pénétrant, on est saisi par une forte odeur d’humus. À mesure que nos yeux s’habituent à l’obscurité, on commence à distinguer un sol jonché d’une terre meuble, çà et là clairsemé de buissons ras, mais aussi de tout un tas d’objets abandonnés : électroménager et matériel informatique décrépis, mobilier royal défoncé, éléments de carrosserie, jouets d’enfants, parpaings fracassés, pochons de drogue vides, fer à cheval, capotes usagées, canettes de bière écrasée, ainsi que les fameuses chaises à porteur que l’on voit dans le film.

Aux murs, quatre immenses toiles projettent des extraits du film synchronisés de façon à créer des jeux de rappel et une multiplication des points de vue sur les ébats de cette monarchie déchargeant ses désirs grivois. Tandis que des haut-parleurs amplifient autant les sons de leurs échanges que ceux des bruits de la nuit ; les élytres vibrants des grillons mâles, le vent dans les feuillages, et un orage menaçant. 

Imagerie érotique

Entre deux écrans, une sorte d’œilleton ouvre sur d’autres écrans qui projettent cette fois des films érotiques du cinéma muet du début du siècle dernier, une façon de rappeler le lien fort qui lie ontologiquement cinéma, voyeurisme et représentation de la sexualité. L’installation permet aussi, et peut-être encore plus efficacement que le film, de tisser des liens avec la peinture érotique rococo de Jean-Honoré Fragonard et François Boucher. 

Ce que ce joyeux bordel anachronique accomplit, c’est l’ouverture d’un portail temporel entre les pratiques libertines d’hier et d’aujourd’hui. Celles des nuits débauchées du XVIIIe siècle se télescopent joyeusement avec celles de nos backrooms contemporaines. On y retrouve les mêmes pratiques BDSM, les mêmes jeux de regards lubriques et voyeurs entre participant·es. Immersive, l’exposition nous invite donc à participer, ne serait-ce que par le regard, à ces jeux sexuels. 

Entre décharge sexuelle et ménagère, la frontière se brouille à mesure que le temps s’écoule. Il se dégage de ce vaste terrain vague une ambiance délétère. La fin de la monarchie résonne avec celle du capitalisme. D’un coup, les lumières se rallument et c’est le jour qui pointe. Il est tant de sortir du bois. 

Albert Serra, Liberté jusqu’au 29 septembre au Eye Filmmuseum, Amsterdam



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Author : Bruno Deruisseau

Publish date : 2024-06-20 16:30:17

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