Comment vous est venue l’idée de cette initiative ?
Geoffrey Dorne – À l’origine, on a été motivés par l’élan qu’il y avait autour du Front Populaire, qui proposait des choses nouvelles. Puis, on a aussi vu des gens qui n’y croyaient pas, et Mathias [Rabiot, l’autre cocréateur] et moi avons été assez surpris. On s’est dit : “Wow, il se passe quelque chose d’assez inédit.” Il fallait qu’on fasse quelque chose, qu’on participe, qu’on promeuve cette idée progressiste et positive. Et vu qu’on est tous les deux designers depuis des années, on s’est mis à faire des maquettes. C’était l’occasion de soutenir l’initiative, de proposer des imaginaires positifs, et de se mobiliser à notre manière sans être dans des partis politiques. On s’est dit que ce serait un petit projet, qu’on n’allait pas y passer trop de temps, et que s’il y avait une dizaine d’affiches partagées, ce serait déjà chouette ! On voulait proposer nous-mêmes quelques visuels sur le site, puis proposer à chacun d’envoyer sa propre affiche. Ce sont les gens qui réalisent eux-mêmes des images avec leurs propres slogans, leurs traits d’humour….
Il y a des tendances qui se distinguent dans les visuels qu’on vous propose ?
Les Français ont le verbe haut et l’humour facile, donc la tendance la plus forte, c’est vraiment le jeu de mots. Tout ce qui tourne autour de “front” et de “populaire”, il y en a dans tous les sens, c’est assez fascinant. C’est beaucoup grâce à ça que ça s’est partagé sur les réseaux sociaux. Il y a aussi le fait de faire le pont entre 1968 et 2024 qui revient souvent, avec des figures historiques comme Léon Blum ou contemporaines comme Zinedine Zidane ou Aya Nakamura. Ce sont les deux traits qui ressortent le plus.
Est-ce qu’il y a une sélection ?
Au début, on espérait juste avoir quelques visuels, donc on été ravis de voir qu’on en avait beaucoup. Et quand il y en a eu de plus en plus, on s’est dit qu’il fallait vraiment qu’on trie. Donc on essaie plutôt d’avoir des visuels qui sont optimistes, engageants, qui font rire et rêver, qui parlent même d’amour parfois, pour donner de la motivation et de l’énergie aux gens. L’autre critère concerne le graphisme. Parfois, c’est vraiment des affiches bricolées, des petits mots faits au stylo bille, donc on essaie d’avoir une certaine qualité graphique qui ressorte des visuels. Le dernier critère, sur lequel on est de plus en plus attentifs, c’est la redondance, notamment dans les jeux de mots et les concepts.
#Graphisme — On arrive bientôt aux 800 affiches reçues sur le site https://t.co/P5b0FEMd0z mis en place pour mouvement #FrontPopulaire Quelques exemples de visuels reçus pic.twitter.com/rnUWAybEj5— Geoffrey Dorne (@GeoffreyDorne) June 16, 2024
Samedi dernier, vos affiches inondaient les manifestations à travers la France. Vous vous attendiez à un tel engouement ?
Ce serait mentir de dire oui. Quand j’en ai parlé à Mathias, je lui ai dit qu’on ferait un truc efficace et rapide, et que ce serait déjà super cool d’avoir 20 affiches à proposer aux manifestants. Mais on a été débordés, on recevait une affiche par minute dans nos boîtes mail ! Heureusement, ça s’est calmé un petit peu [rires]. Mais ce qui est chouette, c’est que ça montre qu’il y a des forces vives, pleines de motivation politique, intellectuelle, qui ont envie de diffuser des messages, et de faire un vrai front populaire. Pendant les manifs, je reçois plein de photos d’amis qui me montrent les affiches de 24×36. J’ai déjà certaines de mes affiches en tant que graphiste en manif, mais là c’est autre chose, ça fait chaud au cœur : ce ne sont pas les miennes, mais celles des gens qui les ont créées spécialement pour l’occasion. Je trouve que le fait d’imaginer quelqu’un devant son ordinateur qui va sur le site, télécharge une affiche, allume son imprimante, l’imprime, puis la découpe, la colle sur un carton, l’accroche sur un bâton et va dans la rue, qui a fait tous ces efforts pour sortir du numérique et aller dans la rue, c’est extrêmement fort ! Je suis hyper surpris, hyper content, et ça donne beaucoup d’espoir dans ce mouvement politique, de se dire que les gens arrivent à se coordonner et à manifester pour des idéaux.
C’est quoi une bonne affiche ?
Il n’y a pas vraiment de formule magique, ce serait trop facile. Mais il faut bien comprendre qu’un bon visuel, c’est un visuel qui nous échappe, c’est quand tout à coup, les gens le reprennent. “Je suis Charlie” par exemple – que je ne considère pourtant pas vraiment comme un bon visuel –, ça a totalement échappé à son auteur. Mais c’est vrai que moi, dans le design, j’essaie toujours de faire des choses simples, colorées et qui ne mentent pas. C’est plus accessible et simple à appréhender.
Deux jours qu’avec @mathias_rabiot on a sorti https://t.co/P5b0FEMd0z et il y a des affiches que l’on reçoit, ce sont des perles pic.twitter.com/AwKXxC7EXJ— Geoffrey Dorne (@GeoffreyDorne) June 14, 2024
Parmi celles de votre site, vous avez une favorite ?
C’est difficile [rires], on se pose souvent la question. Celle qui a fait mourir de rire Internet, c’est Grosminet qui dit “Fafuffit !” pour faire référence à son zozotement et au “faf” de “fachiste”. C’est un visuel qui est très mignon, tout à fait non-violent, mais qui milite justement contre la violence, c’est le meilleur rapport de force contre l’ultra-violence de l’extrême droite. Celle-ci m’a beaucoup touché, mais il y en a plein de magnifiques, la liste est longue.
Et c’est totalement bénévole ?
Ah non, on est milliardaires grâce à ça [rires] ! Non non, c’est totalement indépendant, et j’y tiens. On a tout mis en licence libre. Pourtant, on a reçu des mails qui nous proposaient d’acheter des affiches, d’en faire des T-shirts et autres produits dérivés, mais on a tout refusé en bloc. Il n’y a rien du tout de monétaire dans cette histoire. Ça ne m’a même pas rapporté un client [rires] !
Vous pensez à la suite ? À faire évoluer le site ?
On n’en a pas vraiment parlé. On y réfléchit succinctement, mais on verra surtout au niveau du résultat des élections. Le site existe, c’est déjà super. Je pense qu’on va bientôt arrêter le formulaire pour clôturer les envois d’affiches, parce qu’on en a bien assez. Mais je tiens à remercier tous les amateurs, les graphistes, les illustrateurs, les étudiants, tous ceux qui ont participé à diffuser cette pensée politique, cette volonté de proposer des imaginaires. Ils ont fait un travail formidable.
Source link : https://www.lesinrocks.com/societe/fafuffit-qui-se-cache-derriere-le-site-qui-appelle-a-creer-des-affiches-pour-le-front-populaire-622341-21-06-2024/
Author : Jolan Maffi
Publish date : 2024-06-21 14:09:08
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