Depuis quelques films, l’œuvre de Hong Sang-soo s’est renforcée d’une nouvelle attention pour les gestes les plus banals. Une célébration de chaque instant qui peuple une existence, comme dressée en réaction à un mal venu désagréger celle-ci (une cécité qui va bientôt frapper dans Introduction, 2021, une maladie incurable dans Juste sous vos yeux, 2021, une addiction à l’alcool et au tabac qui condamne le protagoniste dans De nos jours…, 2023). Parce qu’elle sait qu’elle n’a plus que quelques mois à vivre, Sang-ok déclare, dans Juste sous vos yeux, qu’il n’y a pas d’autre paradis que le moment présent.
Dans In Water, si les trois jeunes adultes en train de tourner un court métrage ne sont atteint·es d’aucune dégénérescence physique, c’est l’image elle-même qui se retrouve contaminée. Une image presque entièrement floue, plaçant l’action au centre d’une toile abstraite, emplie de formes brumeuses et indiscernables. On sait que depuis quelques années, la vue de Hong Sang-soo se détériore de film en film. De cette vision altérée, In Water restitue un nouveau monde où le flou agit, malgré tout, comme la reconnaissance du miracle que constitue une image en mouvement. Et de cette défaillance qui distord le réel, In Water s’affirme comme l’une des œuvres les plus picturales et envoûtantes du Coréen. Comme une grande aquarelle impressionniste dont certains recoins n’auraient pas encore séché.
Le flou, c’est aussi le reflet du manque de clarté qui envahit l’artiste en pleine création. Invitant deux ami·es sur une île pour tourner un film qu’il autoproduit, un apprenti cinéaste cherche mais ne trouve pas. In Water fige ici avec autant de clairvoyance que de douceur cette contradiction cruelle du créateur envahi par des images obsédantes, qui s’agitent dans sa tête, tout en étant incapable de les reproduire parfaitement. Tout film est le fantôme du film rêvé.
On connaît bien le motif de la répétition dans l’œuvre de HSS, où tout événement advenu doit nécessairement réapparaître sous une forme plus ou moins similaire. Ici, cette variation surgit d’un accident du réel. Alors que le personnage du jeune cinéaste observe une bénévole en train de trier les déchets échoués sur la plage, il vient à sa rencontre et entame une conversation avec elle. Devenant source d’inspiration, ce fragment de vie sera rejoué devant la caméra et incorporé dans la matière du court métrage en train de se faire. L’événement survenu dans la vraie vie est aussitôt idéalisé lorsqu’il est rejoué devant une caméra.
Le méta-film devient aussi bien une restitution du laboratoire hongien, tant sa méthode de travail est mise à nu (finir l’ébauche d’un scénario le jour du tournage, prendre une caméra et une poignée d’acteur·rices fidèles, se rendre dans un lieu, chercher un cadre et les placer à l’intérieur de celui-ci), qu’un matériau théorique et réflexif sur l’image de cinéma et sa captation. “Je pense qu’il existe un monde que nous ne pouvons pas voir”, affirme un des personnages. Chez Hong Sang-soo, il n’y a que le cinéma pour capturer ce royaume de l’indicible.
In Water de Hong Sang-soo, avec Shin Seok-ho, Ha Seong-guk, Kim Seung-yun (Cor., 2023, 1 h 01). En salle le 26 juin.
Source link : https://www.lesinrocks.com/cinema/in-water-de-hong-sang-soo-film-meta-envoutant-sur-la-creation-618581-23-06-2024/
Author : Ludovic Béot
Publish date : 2024-06-23 06:00:00
Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.