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Après 7 ans d’absence, Anohni fait un retour magnétique



La salle est comble, attendant dans un seul souffle l’apparition de la reine de la soirée – qui n’a pas joué à Paris depuis 2017. Tombe l’obscurité. Surgit, tel un ectoplasme à cornes de cerf, Johanna Constantine. Dans les années 1990, elle faisait partie du collectif  Blacklips Performance Cult, fondé à New York par Anohni. Ici, Constantine se meut, étrange fantôme rappelant des coutumes ancestrales d’ici et d’ailleurs. Puis elle disparaît. Place au spectacle. 

Why Am I Alive Now? Anohni réussit une entrée bouleversante sur la scène de la Philharmonie, la voix toujours aussi singulière, puissante, impressionnante, avant d’enchaîner sur l’éco-conscient 4 Degrees. Ce soir, elle convoque ses fantômes chéris, Marsha P. Johnson en tête, qu’on voit ici s’exprimer face caméra lors d’une interview télévisée, et qui figure également sur la couverture de son superbe dernier album, My Back Was a Bridge for You to Cross (2023). Il aurait pu donc constituer la majeure partie de la setlist de la soirée, mais le choix a été fait d’une rétrospective qui ne peut que ravir l’assistance, piochant dans I Am a Bird Now (2005), The Crying Light (2008), Hopelessness (2016), My Back Was a Bridge for You to Cross (2023). En sus, Cut the World, jadis composé pour The Life and Death of Marina Abramović de Robert Wilson, et Manta Ray, qui illustrait le documentaire d’Anohni sorti en 2015, Racing Extinction – accompagné des images de ces micro-organismes marins dont la surchauffe planétaire remet en cause la (magnifique) existence. Et en bonus, son dernier single, Breaking, joyau épuré de cordes et d’une voix au plus près des tripes.

Diva inclassable

Autour d’elle, neuf musiciens, dont plusieurs présents à l’enregistrement de My Back Was a Bridge for You to Cross, notamment celui qui l’a réalisé, Jimmy Hogarth. Guitares, basse, violons, contrebasse, piano à queue, batterie, vibraphone, saxophone… L’instrumentation richement déployée se pratique au cordeau en cherchant l’amplitude qui sied à la performance d’Anohni, diva inclassable, revêtue d’une longue robe blanche s’imprégnant du magnifique jeu de lumières et des couleurs qui nimbent la scène. Au-delà d’une volonté de ne pas transformer sa musique en un simple divertissement et de préserver toute son identité alternative, résonne le groove (It Must Change) ou l’élan synthétique (Drone Bomb Me), tandis que sur l’écran derrière Anohni, des êtres cherchent, par leur gestuelle ou simplement par le simple fait d’habiter leur corps, à survivre à la précarité sociale, au racisme, à une violence ayant détruit leurs rêves d’enfant.

Comme à son habitude, l’émotion suscitée par le répertoire d’Anohni est à fendre le cœur – sublime, forcément sublime You Are My Sister… Lorsqu’elle reprend Sometimes I Feel Like a Motherless Child, spiritual incarné avant elle par Odetta ou Jimmy Scott, qu’elle cite comme son héros, son a capella impressionne. Peu loquace, elle se lancera néanmoins dans le récit d’anecdotes autour de son concert de 2009 à l’Olympia, citant avec amusement un compte rendu qui avait qualifié son show de “manifeste trans”. Ce qu’elle récuse, évoquant plutôt la célébration d’une pluralité féminine, des sorcières aux outsiders.

Émotions

En deux heures, Anohni met à ses genoux un public certes déjà acquis à sa cause, lui rappelant son âme et sa conscience, ses fautes et ses toujours possibles rédemptions – Man is the Baby et ses déchirants “forgive me” en disent long sur nos éprouvantes quêtes existentielles. Applaudissements. Retrait de la chanteuse, nouvelle apparition dansée de Johanna Constantine, cette fois vêtue de noir. Et Anohni revient, recouverte d’un voile, pour Her Eyes Are Underneath the Ground. Final qui ne pouvait se contenter d’autre morceau, pour le rappel qui a suivi, de Hope There’s Someone.

Seule au piano, elle remue les tripes avec ses notes et ses paroles qui, au-delà de la solitude dont elles témoignent, soulignent l’impossibilité d’Anohni à se contenter de la demi-mesure. Ce soir, la vie est une tragédie dont l’absurdité, de plus en plus prégnante, ne peut éradiquer la poésie, ni éteindre nos espoirs : “I’m scared of the middle place/Between light and nowhere/I don’t want to be the one/Left in there, left in there” (“J’ai peur du juste milieu/Entre lumière et nulle part/Je ne veux pas être celui.celle Qu’on laisse là-dedans, qu’on laisse là-dedans.”)

Anohni and the Johnsons en concert les 26 et 27 juin à la Philharmonie de Paris (Festival Days Off).



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Author : Sophie Rosemont

Publish date : 2024-06-27 13:31:29

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