Certains dénoncent par avance le manque de courage supposé des fonctionnaires qui accepteront de continuer à travailler avec un Premier ministre d’extrême droite à Matignon ; d’autres agitent au contraire la menace d’une démission massive des hauts fonctionnaires qui laisserait le Rassemblement national sans cadres pour faire fonctionner l’appareil d’Etat, en supposant sans doute que tous les fonctionnaires sont de gauche, ce qui est loin d’être le cas.Toute alternance entraîne ainsi une vague de nominations “à la discrétion du gouvernement”. Il s’agit notamment des emplois de secrétaires généraux et directeurs d’administration centrale dans les ministères, des préfets, des ambassadeurs, des recteurs, des présidents et directeurs généraux d’établissements publics, d’entreprises publiques et de sociétés nationales, etc.Les réseaux d’appartenance ont une importance déterminante dans les choix qui sont faits à cette occasion. L’exécutif est libre de choisir qui il veut nommer pour occuper ces postes. Et le Rassemblement national, en cas de victoire, ne dérogera pas à la règle. Si le RN arrivait au pouvoir et décidait de mettre en œuvre la politique de “préférence nationale” qu’il promeut, cela soulèverait de graves questions juridiques et morales quant au respect des principes d’impartialité, d’égalité des citoyens devant la loi et d’accès aux services publics. Les hauts fonctionnaires occupant les postes les plus sensibles pourraient être démis de leurs fonctions ou démissionner s’ils ne veulent pas travailler avec le nouveau gouvernement.Chaque fonctionnaire décidera ce qu’il souhaite faire en son âme et conscience. Mais démissionner n’est ni possible pour la plupart d’entre eux, ni souhaitable pour le pays. Par ailleurs, la loi et la jurisprudence garantissent la liberté d’opinion des agents publics et le respect de l’autorité hiérarchique laisse également aux agents publics une certaine marge d’appréciation sur les moyens à mettre en œuvre et sur les objectifs poursuivis dans l’exercice de leurs fonctions.Une crise des services publicsAu-delà de ces cas particuliers, il est fort probable que l’immense majorité des fonctionnaires restera à son poste et le vrai sujet est sans doute ailleurs. Depuis le milieu des années 1990, l’existence de la fonction publique elle-même est mise en cause par les responsables politiques dont l’objectif principal est de réduire le coût et la place des services publics.Nicolas Sarkozy a beaucoup fait pour affaiblir l’administration de l’Etat grâce à sa “revue générale des politiques publiques”. Il a affaibli les ministères et multiplié les établissements publics de moins en moins contrôlés par les ministres, qui se considèrent comme des agences indépendantes. Il n’a laissé dans les départements et les régions que des squelettes d’administration déconcentrée de l’Etat. Le mal a été aggravé par François Hollande qui a poursuivi la même politique de réduction des moyens de l’administration, qu’il méprisait autant que son prédécesseur.Enfin, Emmanuel Macron a voulu porter le coup de grâce. Ancien fonctionnaire lui-même mais qui n’a jamais vraiment travaillé dans la fonction publique, il se méfie comme Donald Trump de ce qu’il appelle “l’Etat profond”. Il désigne par là une supposée opposition organisée des fonctionnaires de l’Etat à ses projets réformateurs, qui expliquerait que “les choses ne changent pas assez vite”, comme il ne cesse de le répéter. Il a renforcé le contrôle direct du président de la République sur la haute fonction publique, si bien que si elle faisait preuve d’une docilité excessive vis-à-vis d’un éventuel gouvernement du RN, ce travail de domestication devrait être incriminé autant que l’autoritarisme du parti d’extrême droite.Le mode de désignation des hauts fonctionnaires et les décisions individuelles qu’ils pourraient être amenés à prendre ne sont qu’un aspect, pas le plus important, de la crise des services publics. La question plus cruciale est de savoir si l’entreprise de destruction des services publics conduite depuis une vingtaine d’années sera poursuivie ou s’il y sera enfin mis un terme.* Ancien élève de l’ENA, haut fonctionnaire à la retraite, Jean-François Collin a travaillé dans différents ministères (économie, agriculture, environnement, culture et communication) et à la ville de Paris. Il fut notamment directeur de cabinet de Louis Le Pensec, Dominique Voynet et Yves Cochet.
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Publish date : 2024-06-28 08:41:18
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