“Tu as l’air ailleurs ? – Mais non, je suis là, où veux-tu que je sois ?” Dès les premières répliques de Plus qu’hier moins que demain, le “là” se vit comme l’impossibilité d’un “ailleurs”. Une impression renforcée par le cadre : la frontalité du gros plan plaque contre un mur et enserre deux jeunes amoureux·se, Françoise et Bernard, tandis que les grands yeux bleus de Françoise se perdent dans le vague du hors champ.
Ce lieu étouffant, c’est celui de la province rurale anonyme, que Laurent Achard filme avec une intensité saisissante. De nombreux plans larges et fixes filment avec insistance la façade de la maison familiale, la cour intérieure de l’entreprise locale ou l’entrée d’un cimetière. Derrière la familiarité de ces décors sans qualité, la grande précision de la composition fait sourdre un léger malaise, comme si un drame se tapissait dans le fond du cadre. Laissé à l’extérieur, sur le pas de la porte, l’enfant attend et fait face à la violence dissimulée du monde des adultes ; ce motif débouchera sur la pure terreur dans son court métrage La Peur, petit chasseur (2004), mais est déjà préfiguré ici en dégageant une inquiétude latente.
Endogamie mortifère
Ce sentiment est également cultivé par la façon dont sont présenté·es les membres de la famille, qui s’efforcent tous·tes de cacher des secrets. Il y a d’abord Françoise et sa relation clandestine avec Bernard, puis le retour de sa sœur aînée, Sonia, qui arrive dans la demeure familiale quatre ans après l’avoir mystérieusement quittée. Leur mère se fait la gardienne du silence, comme lorsqu’en un regard pénétrant, elle reproche à Julien, son plus jeune fils, d’avoir trop parlé.
Mais les murs ne suffisent pas à tout camoufler : cachés dans l’ombre ou dans le coin d’une pièce, les personnages ne cessent de s’épier, de surprendre les conversations et rapprochements des un·es et des autres. À mesure que cet empire du silence se fissure, une tragédie se dessine, celle d’une endogamie mortifère. La circulation d’une bague vient matérialiser la reproduction d’un même rapport incestueux entre deux générations, jusqu’à ce que le bijou soit au cœur d’une citation détournée de Roméo et Juliette lors de la scène du balcon rejouée. La fatalité surgit alors d’un amour qui unit les deux membres d’une même famille, et non plus de deux clans irréconciliables.
Ouvrir une brèche
Dans un cadre bucolique et ensoleillé, qui évoque à la fois Renoir et Pialat, une journée d’août au bord de l’eau semble enfin ouvrir un espace de liberté pour la famille, dont les désirs et trajectoires se reconfigurent au contact de Karim, un immigré maghrébin que la famille a accueilli clandestinement. Mais rapidement, le poison de l’endogamie vient pervertir le désir pour le transformer en violence, participant d’un mouvement d’inertie qui rejette toute figure d’altérité. Le mal n’est donc pas assigné à un individu déterminé, mais apparaît plutôt comme l’effet pervers produit par un circuit fermé avec lequel bataille chaque personnage – la mère finira même par reformuler l’adage renoirien : “Chacun a ses raisons.”
Reste à savoir si le petit Julien sera lui aussi pris dans cette spirale. Petit corps aventureux qui se glisse dans tous les recoins, il surgit à plusieurs reprises avec un visage pareil à une surface indéchiffrable sur laquelle ricoche les drames familiaux. Achard ménage une place à l’espoir à travers la fuite d’un chien ou la trajectoire de Françoise : c’est la possibilité d’ouvrir une brèche dans cet univers clos sur lui-même pour que “demain” ne soit pas semblable à “hier”. Ouvrir le champ des possibles afin que la vie ne soit pas une fatalité.
Plus qu’hier, moins que demain, de Laurent Achard, avec Mireille Roussel, Pascal Cervo, Alexis Perret… Ressortie en salles le 3 juillet.
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Author : Robin Vaz
Publish date : 2024-07-01 16:14:50
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