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Alexandre Samson : “Ceux qui ont une plateforme d’expression devraient dire de voter”

Alexandre Samson : “Ceux qui ont une plateforme d’expression devraient dire de voter”



Signe distinctif ? Toujours en noir. Ici, coiffé d’un bonnet à cornes signé Jean Paul Gaultier et d’un T-shirt sur lequel s’inscrit “Vogue” en lettres blanches, Alexandre Samson se joue des symboles. Le vêtement fait passer des messages, il le sait, et il rend un hommage provocant et amusé en s’inscrivant dans le registre des enfants terribles de la mode et simultanément d’une grande institution médiatique, avec laquelle il vient de travailler durant sept mois : Vogue. Mais plus particulièrement Vogue US et son iconique directrice aux lunettes teintées Anna Wintour.

Celle-ci ne pouvait que s’intéresser à son travail : le jeune conservateur, passé par l’École du Louvre, s’est fait remarquer en 2018 avec sa première exposition en solo, Margiela/Galliera, 1989-2009, portant sur l’un des créateurs les plus expérimentaux des deux dernières décennie, qui avait accepté de lui faire confiance. S’en est suivie Back side : Dos à la mode, au musée Bourdelle en 2019. Le point de départ ? À l’heure des réseaux sociaux, seule l’avant des silhouettes des défilés est visible, évacuant le dos et le fait que la mode est un art en trois dimensions.

En 2023, Samson revient avec une nouvelle exposition transversale à Galliera, 1997 Fashion Big Bang, dérogeant les usuelles monographies construite à la gloire des grands noms de la couture, et s’intéresse à l’année 1997, durant laquelle un nouveau paradigme de mode s’est mis en place. Anna Wintour visite l’expo l’été dernier, et trois mois plus tard, l’historien intègre le comité de direction artistique de la troisième édition de Vogue World, aux côtés de la styliste et éditrice Carine Roitfeld et du styliste Ibrahim Kamara.

L’historien, responsable des départements Haute couture et Création contemporaine au Palais Galliera, se confronte au monde des médias et des grandes marques de luxe pour créer l’un des plus importants spectacles vivants de la semaine de la mode parisienne. Un défi, qu’il voit aussi comme l’occasion de se jouer des clichés sur la capitale, jusqu’à les rendre légers, et faire passer des messages sur l’inclusivité. Rencontre.

Vogue World retrace 100 ans d’histoire de la mode parisienne à travers 10 tableaux liant mode et sport : un travail gigantesque où les archives et les noms se croisent. Comment êtes-vous parvenu à tout articuler ?

Alexandre Samson – Je suis systématiquement parti d’un point historique : par exemple, la silhouette des années 1950 est dictée par le tailleur Bar issu de la première collection de Christian Dior, et le tailleur entre dans la garde-robe à travers les cavalières qui montaient en amazone : le thème du sport équestre était donc évident. Les années 1960 sont synonymes de Space Age, caractérisées par l’omniprésence de l’argent et du blanc, d’où l’escrime. Parfois, l’union se fait sur des rapports de fond, parfois, sur des rapports de forme, parfois, les deux. L’objectif était de lier sport et mode, avec une notion historique : on aurait donc pu aller dans plein de directions. Ce n’est qu’une proposition, elle n’est pas exhaustive. Mettre en avant la jeune création dans les différents tableaux était aussi primordial, même s’il y a des jeunes créateurs dont les dernières collections ne correspondaient pas forcément aux thèmes, comme Jeanne Friot, l’une des rares créatrices défendant un message queer à Paris, ou encore le talentueux Alphonse Maitrepierre. C’est un exercice complexe, et j’ai beaucoup appris au cours de ces sept mois. En tout cas, rien n’a été fait au hasard, et chaque silhouette résulte à la fois de choix historiques et esthétiques.

Les points historiques choisis pour chaque décennie sont aussi des moyens de réfléchir sur le présent. Je pense, par exemple, à la Bataille de Versailles…

On a souligné que durant ce grand défilé opposant cinq couturiers français et cinq créateurs américains, qui a eu lieu en 1973, 11 mannequins noires avaient défilé pour les Américains. Il s’agissait de mettre en avant l’inclusivité et de réfléchir à la place des États-Unis dans l’histoire de la mode, et surtout à l’influence des Noirs américains sur les couturiers français. C’était aussi l’occasion d’écouter les modèles noires américaines parler de leur expérience en France : même si les extrêmes politiques existent, elles décrivaient alors un monde de la mode tolérant, qui les a acceptées.

Si ce défilé est un grand spectacle, il y a aussi de nombreux choix et messages audacieux.

Il y a une approche sociologique et une volonté de montrer la diversité aujourd’hui. La mode en France s’est aussi faite dans les cafés – d’où ma volonté de mettre la course des garçons de café. C’est un clin d’œil aux heures passées par les créatifs et les gens de la mode dans ces lieux, et chacun des 15 garçons porte un dossard lié à un café particulier, un café de la mode ou lié à l’histoire de Paris – comme La Belle Équipe, attaquée pendant les attentats du 13 novembre 2015, symbole des attaques faites au mode de vie français. La culture française, c’est aussi Rokhaya Diallo, qui marche habillée en Kenzo – premier créateur japonais reconnu à Paris –, en rouge et noir avec un béret à la Black Panther. Elle a ouvert la décennie 1980 : on y tenait beaucoup avec Ibrahim Kamara, et c’est une grande fierté. La diversité de Paris, c’est aussi la présence de la mannequin trans Alex Consani, ou l’inclusivité des corps féminins, avec une diversité de modèles. Sur les années 1940, décennie du défilé des maillots de bain, des mannequins hommes sont présents. On a aussi fait défiler des personnes handicapées, comme la triple championne de tennis en fauteuil roulant Pauline Déroulède, sublime en Dior, ou le spécialiste du saut en longueur et du triple saut Arnaud Assoumani, merveilleux en Lacoste. Carine Roitfeld tenait à laisser leurs prothèses visibles, et on a dit non ensemble aux prothèses couleur peau.

“Paris est la seule capitale qui donne autant de place aux étrangers et qui possède une ouverture d’esprit et une curiosité”

La diversité est aussi présente chez les créateur·rices convoqué·es, notamment la jeune scène. 

Je suis assez fier d’avoir cette diversité, car c’est Paris : capitale de la mode internationale depuis le XIXe siècle. C’est la seule capitale qui donne autant de place aux étrangers et qui possède une ouverture d’esprit et une curiosité. On leur donne voix au chapitre. Je pense aux Six d’Anvers, dont fait partie Dries Van Noten, qui vient de quitter la mode : en 1986, ils ont commencé à Londres, qui leur a finalement demandé de partir. Au final, c’est chez nous qu’ils ont fait carrière. Paris est une plateforme et le restera.

Parmi les symboles importants, on pense à Aya Nakamura, qui était en couverture du premier numéro de Vogue France par Eugénie Trochu, et est victime depuis le début de sa carrière de commentaires racistes et sexistes en France.

Aya Nakamura est un choix que Vogue soutenait depuis le début. Pour sa robe, elle a choisi un modèle du dernier défilé en 2020 de Jean Paul Gaultier, et j’ai adoré qu’elle choisisse ce style Belle Époque, inscrit en amont des débuts de la haute couture. Par ailleurs, JPG est lui aussi un symbole, parfois oublié, quand il est question d »inclusivité, de genre et de racisme. Il a été central !

Un autre point intéressant, c’est la présence du drapeau français à plusieurs reprises, notamment en fermeture, en pleine période de campagne pour les législatives. Est-ce qu’il y a un lien ?

Les législatives nous ont confortés sur plusieurs points, comme insister encore plus sur la diversité des modèles. Le drapeau a lui aussi pris une nouvelle place. Il y a cinq mois, je mettais en garde les Américains quant aux rapports conflictuels des Français face à ce symbole qui peut paraître nationaliste. Mais finalement, il semblait primordial de dire que le drapeau français n’appartient pas au RN. Il appartient à tout le monde. Ainsi, nous l’avons détourné des visions extrémistes pour le faire incarner par des femmes qui représentent l’inclusivité. Marie-José Pérec dans le drapeau : immédiatement ! Et même d’autres filles dans le drapeau, plein de drapeaux ! Par exemple, les trois femmes qui portent les tailleurs Dior bleu, blanc, rouge, ce sont trois Françaises avec des doubles nationalités : la Franco-Djiboutienne Malika Louback, la Franco-Japonaise Mika Schneider et la Franco-Italienne Deva Cassel. J’aimerais aussi souligner que la robe de Marie-José Pérec n’est pas une robe couture de maison, mais une pièce conçue par Carine, Ibrahim et moi, et réalisée par la couturière de Carine, Alice Chastel Mazin. On a développé la pièce en se disant que c’était notre Jessye Norman d’aujourd’hui, en référence à la robe conçue par Azzedine Alaïa, qu’elle portait à l’occasion des cérémonies commémoratives du bicentenaire de la Révolution française, le 14 juillet 1989. C’est aussi un hommage à Jean-Paul Goude, qui était derrière le défilé nocturne et nous a beaucoup inspirés.

“Ceux qui ont une plateforme d’expression devraient juste dire de voter, inviter à s’exprimer. C’est important de sensibiliser les gens”

Est-ce que la mode réagit suffisamment à la situation politique actuelle ?

Je ne vais pas jusqu’à dire aux créateurs : “Faites un appel au vote”… mais il faut quand même le dire. Je suis désolé. Durant la semaine, Rick Owens a envoyé un message de paix, composant un tableau de 200 silhouettes en blanc, avec quasiment que des étudiants aux corps très différents. Quel esprit brillant : tout est dit avec ce show. Ceux qui ont une plateforme d’expression devraient juste dire de voter, inviter à s’exprimer. À la fin des épisodes de Drag Race, les présentateurs ont des panneaux de vote : c’est important de sensibiliser les gens.

Est-ce que si le RN passe, la situation va devenir inquiétante pour la mode ? Les expositions de mode seront-elles menacées, par exemple ?

Je travaille dans l’administration française, et il faut dire que c’est une machine indéboulonnable avec des personnes qui sont majoritairement de gauche et qui sont là pour rester. C’est plutôt rassurant, même si insuffisant. Quant à la mode, elle a déjà fait face à des situations complexes – par exemple, les années 1940 – et a prouvé tout son soft power. Même si en tant que designer, tu restes et que tu te tais, tu peux montrer des choses et faire passer des inframessages que les gens vont comprendre. C’est de l’indicible, et la mode, c’est aussi ça. On peut tout faire passer par le vêtement, et il y a plein de gens qui ne le liront peut-être pas, mais d’autres le comprendront.



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Author : Manon Renault

Publish date : 2024-07-02 16:09:28

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