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[Avignon 2024] “Hécube, pas Hécube” de Tiago Rodrigues : la tragédie (trop) maîtrisée



La voilà, la (vraie) première pièce du directeur. Tiago Rodrigues aura laissé passer un an avant de proposer une création pour le festival qu’il dirige. (Présentée l’an passé, Dans la mesure de l’impossible était une reprise pour pallier une annulation de dernière minute). Cette Hécube, pas Hécube était conçue pour Avignon, pour l’écrin de la Carrière de Boulbon, et pour la troupe de la Comédie-Française. Alors on l’attendait, forcément.

Parce que Tiago Rodrigues est de ces auteur·ices (metteur·ses en scène, mais surtout auteur·ices) qui parviennent à déployer des mondes subtils, complexes et délicats, avec des phrases simples et des effets somme toute modestes. Parce qu’il incarne l’idée d’un certain théâtre public populaire, mais exigeant. Parce que les comédien·nes de la Comédie-Française, Elsa Lepoivre en tête, sont rarement aussi bon·nes que quand on les voit jeté·es sur d’autres scènes, hors de la maison de Molière, confronté·es à d’autres plateaux.

L’émotion corsetée

Mais, peut-être qu’on l’attendait trop, ce spectacle. Lequel nous parut un brin académique, et un brin scolaire après ceux d’Angélica Liddell (Dämon) et de Séverine Chavrier (Absalon Absalon !) (Lequel nous fit sûrement du bien, tout de même, avec sa baisse d’intensité.) Au départ, le concept narratif est assez séduisant. Tiago Rodrigues raconte un événement dont il fut témoin. Alors qu’il répétait en Suisse, l’une des comédiennes avec lesquelles il travaillait fut confrontée à un drame qui devint un scandale médiatique. Son fils, autiste, était victime de maltraitances dans l’institut où il séjournait. Elle porta plainte, et fut prise dans les rouages de la machine judiciaire, et sous les projecteurs. Le metteur en scène confronte cet événement au texte d’Euripide Hécube donc, créant un savant entrelacs fait-divers-tragédie, réel-fiction, public-privé.

La réussite tient justement au passage extrêmement fluide d’un monde à l’autre, quand on bascule des scènes de répétition au tribunal ; quand l’actrice se sert des douleurs de son personnage pour affronter les siennes ; quand, dans cet interstice, parfois, jaillissent des moments de poésie, de danse, et même de folie. C’est intelligent, et c’est bien fait. La mise en scène est inventive, et les acteur·ices sont justes. Même dans cette Carrière de Boulbon, où l’on se confronte au vent, aux insectes, et à l’obscurité, on était sensible à leur sens du détail, à la moindre variation d’intensité, à l’expression de leur visage. Et pourtant…

Et pourtant la pièce ne parvenait pas tout à fait à nous saisir. La faute, peut-être, à ce fait-divers justement. Aussi bouleversant soit-il, ainsi racontée, cette intrigue est vue et revue ; elle s’inscrit dans un genre aux codes balisés. On devine la douleur, le combat, la solitude de cette femme. On sait exactement où ces (bons) sentiments vont nous toucher. Tout est à sa juste place, et tout fait sens ; on ne peut que le constater. C’est impeccable, et encore une fois, c’est très bien fait. Mais parfois cela ne suffit pas. Pour qu’il soit parfait, Tiago Rodrigues devrait peut-être lâcher davantage la bride de son savoir-faire.

Hécube, pas Hécube, mise en scène par Tiago Rodrigues. Du 30 juin au 16 juillet, dans la Carrière de Boulbon, au festival d’Avignon.



Source link : https://www.lesinrocks.com/arts-et-scenes/avignon-2024-hecube-pas-hecube-de-tiago-rodrigues-la-tragedie-trop-maitrisee-623449-03-07-2024/

Author : Igor Hansen-Løve

Publish date : 2024-07-03 09:18:10

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