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Warlikowski adapte J. M. Coetzee dans un “Elizabeth Costello” bouleversant

Warlikowski adapte J. M. Coetzee dans un “Elizabeth Costello” bouleversant



Avec ce titre, Elizabeth Costello, personnage éponyme du roman de J. M. Coetzee présent également dans d’autres livres de l’auteur sud-africain, on pourrait croire que Krzysztof Warlikowski engage à nouveau son théâtre sur le chemin d’une unité textuelle et narrative. Ne pas se fier aux apparences ! Le montage hétérogène du spectacle associe plusieurs artistes – J. M. Coetzee, Philippe Parreno, Sophie Calle – ainsi que différent·es acteur·rices pour incarner Elizabeth Costello et nous plonge une fois de plus dans les méandres de la complexité de l’expérience humaine.
“Je ne vois plus de sens à raconter des histoires ; je m’intéresse plutôt à montrer quelqu’un de libre et qui l’exprime à travers la parole. Je ne voulais pas trop la déterminer, d’où les différentes incarnations du personnage sur scène”, indiquait le metteur en scène lors de la création du spectacle au Nowy Teatr de Varsovie, lieu de travail de sa troupe, en avril dernier. “Mais après, ce qui est le plus évident, c’est qu’il s’agit d’un personnage inventé par J. M. Coetzee pour défendre la littérature, défendre la liberté, défendre l’artiste.”
Sauver son âme
Double fictif de l’auteur, écrivaine et conférencière, elle trouve un malin plaisir à prendre à rebrousse-poil les conventions pour traquer, comme on s’épouille, les derniers retranchements où se calfeutrent la bonne conscience et son corollaire, l’ignorance volontaire. C’est une teigne, semant sur son passage au pire la polémique, au mieux l’incompréhension, récusant les étiquettes trop commodes de féministe ou de moralisatrice pour se focaliser sur son ultime combat : sauver son âme.
En saisissant Elizabeth Costello par les différents prismes de son apparition d’un livre à l’autre de Coetzee – outre Elizabeth Costello, le spectacle combine aussi des extraits de L’Abattoir de verre et de L’Homme ralenti –, Warlikowski s’attache à restituer la palette infinie des émotions humaines en butte à l’exigence bornée de la raison, la folie tyrannique de la norme et l’inflexible courbure du temps qui nous mène fatalement de vie à trépas.
Mise en abyme
Scindé en deux parties, le spectacle reprend d’abord le dispositif des conférences successives données par l’autrice, de l’Amérique à l’Europe en passant par l’Australie, qui constitue l’ossature du roman Elizabeth Costello. Les interprètes se succèdent, éclairant chacun·e un pan du personnage. S’y déclinent les thématiques chères à J. M. Coetzee et à son double fictif, la question du réalisme, de la vie des animaux (et leur mise à mort), et celle, épineuse, des rapports sexuels entre les hommes et les dieux, pour finir par la question du mal absolu.
Le motif de la mise en abyme est central. D’abord parce que Warlikowski est un familier de l’auteur, ayant déjà puisé à son roman Elizabeth Costello dans deux précédents spectacles, (A)ppolonia en 2009 et La Fin (Koniec) en 2011. “Il fallait trouver d’autres pistes pour approcher cette femme fictive tellement excentrique et inspirante”, nous dit le Polonais. Il les trouve en se colletant à nouveau avec la question du mal. Sa banalité ou sa contagion, son déni ou sa dénonciation et, surtout, la question de sa représentation et des limites – tant morales qu’esthétiques – entre fiction et documentaire.
Comédie humaine
Courte et intense, la deuxième partie du spectacle nous montre Elizabeth Costello en famille ; un condensé des nouvelles de L’Abattoir de verre et de L’Homme ralenti qui revêt les atours colorés et chatoyants de la comédie humaine pour nous proposer une méditation aigre-douce, prodigieusement attachante, sur la transmission, le vieillissement, la mort et ce qui compte alors le plus.
En confiant la scène finale à Maja Komorowska, actrice de 86 ans qui draine avec elle tout un pan de la culture polonaise depuis les années 1970 (et que Warlikowski avait déjà dirigée dans Angels in America à Avignon en 2007), le metteur en scène réaffirme avec force sa croyance dans le théâtre qui se joue du réel pour mieux le réfléchir, le questionner. Ou le mettre en doute, reprenant à son compte ces mots que J. M. Coetzee confie à Elizabeth Costello : “Non, je ne me vois pas défiant Joyce. Mais certains livres sont si prodigieusement inventifs qu’il y a tout un matériau qui subsiste à la fin, un matériau qui vous invite pour ainsi dire à le reprendre et à l’utiliser pour en construire quelque chose qui vous est propre.”  
Elizabeth Costello – Sept leçons et cinq contes moraux d’après l’œuvre de J. M. Coetzee, mise en scène Krzysztof Warlikowski (en polonais surtitré en français et en anglais), avec Mariusz Bonaszewski, Andrzej Chyra, Magdalena Cielecka. Au Festival d’Avignon, dans la Cour d’honneur du Palais des Papes, du 16 au 21 juillet (relâche le 18).



Source link : https://www.lesinrocks.com/arts-et-scenes/warlikowski-adapte-j-m-coetzee-dans-un-elizabeth-costello-bouleversant-622093-13-07-2024/

Author : Fabienne Arvers

Publish date : 2024-07-13 07:00:00

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Tags :Les Inrocks

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