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“Voyage à Nantes” : une treizième (et dernière) édition qui explore la vie secrète des arbres

“Voyage à Nantes” : une treizième (et dernière) édition qui explore la vie secrète des arbres



“Comme un arbre dans la ville, j’ai des chansons sur mes feuilles, qui s’envoleront sous l’œil de vos fenêtres serviles”, chantait Maxime Le Forestier dans les années 1970. Plus qu’ailleurs, cet arbre dans la ville, que la civilisation du béton abhorre, respire grandement à Nantes, où tant de jardins l’accueillent avec envie. Pour s’en convaincre, il suffit de faire le “Voyage à Nantes”, proposé pour la treizième, et dernière fois, par son concepteur Jean Blaise (qui sera remplacé à la fin de l’été).

Fidèle à sa promesse fondatrice de révéler un patrimoine historique et naturel que beaucoup ne voient plus, le “Voyage” active cet été la curiosité pour la présence d’arbres fantastiques dans la ville, grâce à des interventions et installations in situ d’artistes jouant avec eux, moins pour les effacer sous le poids de leur geste plastique que pour intensifier l’expérience du regard porté sur eux. Tous en font des arbres “augmentés”, comme on parle des hommes augmentés sur lesquels on greffe des appareils techniques performants. Sauf qu’ici, les greffes n’ont que le plaisir contemplatif comme horizon. L’augmentation n’est pas ici affaire de performance, mais de reconnexion avec la simplicité primitive du végétal, de retour aux sources du contrat naturel et du dialogue amical avec le bois et les feuilles, même dans la ville.

Anneau de croissance

La preuve la plus accomplie de ce dialogue entre l’arbre et l’artiste au cœur de cette traversée nantaise se loge au square Maurice-Schwob, sur les hauteurs de la ville dans le quartier Sainte-Anne, où l’artiste, originaire de Taïwan, Yuhsin U Chang, installée en France depuis 2003, intervient par un geste sculptural subtil et très technique sur des cèdres et pins parasol. Constatant qu’un cèdre peut vivre 2 000 ans et un Pin parasol 250 ans, l’artiste a projeté en sculpture le diamètre que pourraient atteindre ces arbres à l’issue de leur croissance. Si l’idée conceptuelle paraît simple, la réalisation de cet anneau de croissance greffé au tronc relève d’un tour de force pratique, obligeant à tenir compte à travers des calculs d’ingénierie de l’inclinaison de l’arbre et du nombre de ses branches.

Elle dévoile surtout une troublante beauté, conférant à l’arbre, magnifique en soi, une nouvelle existence, presque mutante. Comme si l’arbre, aspiré par le motif de la légèreté, se transformait en danseuse, parée d’un tutu. Où comment un arbre se métamorphose en sculpture aérienne, sans que sa dimension surréaliste n’écrase la matérialité brute de sa forme organique.

Prise en main

Cette splendeur de l’arbre augmenté de Yuhsin U Chang trouve une traduction tout autant inspirée, mais plus ludique, chez le jeune artiste Max Coulon, présent aussi cet été dans le parcours d’“Un été au Havre”. Le pin couché à proximité de l’arrêt de tramway Duchesse Anne lui a inspiré un jeu sculptural minimal mais techniquement complexe, comme s’il pouvait se permettre de livrer une interprétation formelle de sa forme horizontale étrange, une prolongation poétique de l’étonnement qu’il suscite par lui-même.

Avec sa sculpture, Luffy and the Tree, L’artiste a ainsi décidé d’enserrer simplement l’arbre par une main gigantesque, taillée directement dans un tronc de Séquoia (déjà mort sur pied au moment de sa coupe). Une main semblant sortir d’un conte pour enfants, où un géant menace, ou protège, les enfants perdu·es dans la nature. L’effet de puissance cartoonesque que dégage cette main monumentale interroge les spectateur·ices qui attendent le tramway : envisage-t-elle de faire ployer l’arbre sous sa force, ou vise-t-elle à le redresser ? Veut-elle le dominer ou l’aider à retrouver son inclinaison naturelle ? Max (la menace) Coulon nous laisse choisir la réponse, préférant laisser flotter l’ambivalence interprétative de son geste formaliste.

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Vertige

À quelques mètres du pin couché de Coulon, aux abords du Miroir d’eau face au Château des ducs de Bretagne, un autre pin radiata, de 20 mètres de haut, attire le regard. L’artiste Séverine Hubard s’est incrustée dans l’arbre pour y réaliser une sculpture inspirée des clochers nantais : une charpente de près de 7 mètres de haut, mais renversée dans l’arbre, réalisée en collaboration avec le service Nature & Jardins de la Ville de Nantes et avec un bureau d’étude spécialisé en biomécanique et sécurité de l’arbre. Chaque élément de la charpente est ainsi soigneusement placé en fonction des positionnements des branches de l’arbre, pour ne pas les casser. Son Chef-d’œuvre torse se fond ainsi dans l’arbre, fusionne avec lui, comme une manière de relier, par la célébration du bois, un geste artisanal et un environnement naturel. Vivons dans les bois si le loup n’y est pas. 

On trouve même dans les arbres du “Voyage à Nantes“ des bijoux enfilés à la manière d’une bague, d’un bracelet ou d’un pendentif, par des branches de chênes.Trouver les égards : des objets d’ornement en verre, à moins que cela soit des porte-bonheur ou “des champignons nécessaires au bon développement de l’arbre”, suggèrent les créateur·ices, Aurélie Ferruel et Stéphane Pelletier. Les bijoux des arbres, ce sont aussi plus simplement les odeurs qui s’en dégagent, comme le suggèrent Nicolas Barreau et Jules Charbonnet dans leur installation Le sursaut des bois courbes. Grâce à la construction d’une sorte de belvédère en bois tors, inspirée de la charpenterie navale, le duo de designers invite les marcheur·euses à monter dans les arbres du Cours Cambronne pour sentir les magnolias qui y logent. La montée vaut la peine tant leurs effluves, ainsi que la vue sur le jardin, produisent un léger vertige.

Plus loin, à l’entrée du cimetière de la Bouteillerie, où nous accueillent un autre magnolia et quatre tilleuls, Aurélie Ferruel propose avec sa complice Florentine Guédon, deux sculptures en pierre et verre, Glaner les germes, en relation avec chacun des arbres, cachant une fiction archéologique dédiée à la graine et aux symboles qu’elles véhiculent.

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Homme des bois

Ailleurs, d’autres sculptures inspirées par la vie des arbres, mais extérieures à leurs feuillages, s’imposent dans le parcours, ouvert à des rencontres avec des figures mi-humaines mi-végétales comme celle sculptée par Jean-François Fourtou, L’enfant Hybridus, place Royale, assis face à la fontaine : un géant de 5 mètres en pyjama rayé et en chaussons, dont la tête n’est autre qu’un palmier. Une autre sculpture géante, de plus de six mètres, L’homme des bois, exposée dans le jardin des Plantes, donne l’occasion à Fabrice Hyper, le local de l’étape, de remodeler l’une de ses plus célèbres pièces, L’homme de Bessines : tout en bois, cet homme mutant dégage une tranquillité apparente, et pisse de l’eau par tous les pores de la peau, de la bouche aux fesses, du ventre aux oreilles ; l’eau jaillit de tous côtés, telle une fontaine déchaînée et généreuse, donnant vie au jardin qui l’entoure ; le jardin des délices dont l’homme des bois serait le roi, comme dans un conte pour enfant.

La poésie qui se dégage de cette célébration partagée des arbres, de cet éloge de la nature féconde, de cette ode à la cosmétique végétale…, doit-elle nous combler jusqu’à l’aveuglement face à tout ce qui le menace dans notre époque ? La puissante vidéo, Wildfire, de l’artiste belge David Claerbout, projetée passage Sainte-Croix, nous rappelle à une vigilance nécessaire, en imaginant à travers un long plan fixe sur des paysages d’arbres, un incendie de forêt. Unique image d’apocalypse dans le parcours, cet embrasement évoque la menace répétée des mégafeux dans notre monde actuel. La beauté funeste de ces arbres rougis par le feu, comme le diable aurait pris possession de nos vies, évoque la magnificence des images de Bill Viola, celles qui semblent toujours sorties de rêves, des beaux comme des mauvais.

Rêves aquatiques

Place Graslin, c’est précisément un sublime rêve qui se manifeste à ciel ouvert, celui suggéré par Henrique Oliveira avec sa sculpture Le rêve de Fitzcarraldo, la plus spectaculaire œuvre de ce “Voyage à Nantes”. Se référant au film de Werner Herzog, Fitzcarraldo (1982), dans lequel le héros (Klaus Kinski) se démène pour construire un opéra en pleine forêt amazonienne, l’artiste brésilien a imaginé la présence d’un arbre géant, posé devant le théâtre classique de la place, qui pourrait tout aussi bien être un monstre inquiétant, dont les branches comme les pattes d’une bête méchante semblent prêtent à capter des proies sur le passage. La force plastique de la pièce procède autant de l’ambivalence de sa forme, rétive à toute interprétation facile, que de son amplitude esthétique, comme si ce rêve de Henrique Oliveira trouvait sur cette place classique un espace à la mesure de son imaginaire débridé, poétique, boisé. D’autres rêves aquatiques vibrent dans le parcours, dont ceux de Pierrick Sorin abrités dans son atelier, qu’il est possible de visiter, parallèlement à sa grande exposition au musée d’arts de Nantes ; mais aussi ceux du dessinateur Cyril Pedrosa qui, avec son projet L’Évasion, a réécrit l’histoire des fontaines Wallace (à l’origine conçues par le sculpteur nantais Charles-Auguste Lebourg), en sculptant dans quatre jardins de la ville des nouvelles fontaines, en déplacant à peine leurs codes esthétiques ; ou encore ceux de Claire Tabouret, qui a sculpté Deux baigneuses en maillot de bain rayé dans une fontaine près de la gare, comme deux silhouettes tranquillisées par l’eau qui les recouvre, moment de suspension à la fois réaliste et onirique.

Des arbres fous à la douceur de l’eau, d’installations suspendues à des sculptures terrestres, de la fragilité du bois à la force du bronze, ce “Voyage à Nantes” trouve dans les interstices secrets de la ville des espaces d’expansion artistique, qui sans chercher à en “mettre plein la vue” mise sur des effets de surprise constants, accomplissant ce qui guide Jean Blaise depuis toujours : confronter simplement le public à l’art dans la ville, conjurer les préjugés ou la timidité des spectateur·ices pressé·es, troublé·es par la façon dont les artistes transforment l’ordre normé du monde, et la vie secrète des arbres.

Le Voyage à Nantes du 6 juillet au 8 septembre



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Author : Jean-Marie Durand

Publish date : 2024-07-15 13:02:53

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