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Jamil Anderlini : “L’équipe autour de Macron ? C’est digne du Parti communiste chinois !”

Emmanuel Macron le 14 juillet 2024




Qui est donc cette “personnalité étrange” qui “a semé le chaos et le carnage dans la politique française” ? Dans un article publié le 8 juillet dans le magazine européen Politico, Jamil Anderlini, son rédacteur en chef, s‘est livré à un exercice périlleux sur le plan humain et… journalistique : se plonger dans la tête d‘Emmanuel Macron et tenter de saisir l‘essence du personnage. Cet ancien rédacteur en chef pour l’Asie du Financial Times fait partie des rares journalistes à avoir eu accès au président français et à son cercle proche, lors de sa visite d‘Etat en Chine, en avril 2023, lors de laquelle il avait suscité la polémique après ses propos sur Taïwan. Un article qu‘il a rédigé un an après avoir côtoyé Emmanuel Macron et son équipe – “Je supervise environ 200 journalistes dans toute l‘Europe, le management occupe une grande partie de mon temps” –, mais qu‘il a jugé essentiel et finalement plus pertinent de publier au lendemain des législatives surprises provoquées par le président français. A la sortie, un portrait magistral du chef de l‘Etat qui évite l‘écueil de basculer dans le voyeurisme et la psychologie de comptoir. Et ne vous fiez pas à son titre un brin grandiloquent – “L‘esprit magnifique d‘Emmanuel Macron” –, ce portrait, qui a rencontré un certain écho sur les réseaux sociaux, n‘a rien de flatteur. Il décrit un président “péchant par excès de confiance en lui”.L‘Express s‘est entretenu avec Jamil Anderlini pour tenter d‘approfondir la psychologie d‘un président mal-aimé, dont l‘action recueille la désapprobation de près des trois quarts des Français. “Stupéfait” par ce qu‘il a vu du chef de l‘Etat lors du déplacement à Pékin, le journaliste nous raconte au passage les coulisses d‘un voyage qui en dit long sur le leadership d‘Emmanuel Macron.L‘Express : En quoi Emmanuel Macron est-il différent des autres dirigeants internationaux que vous avez eu l‘occasion de rencontrer ?Jamil Anderlini : Que ce soit en Asie, où j‘ai passé la plus grande partie de ma carrière, ou à Bruxelles, où je suis désormais installé, j‘ai eu l‘occasion d‘interviewer de nombreux dirigeants. J‘ai trouvé Emmanuel Macron plus impressionnant que la plupart des leaders internationaux qu‘il m‘a été donné de rencontrer. C‘est comme s‘il était toujours en action, dans son personnage, dans différents personnages parfois même. Il donne l‘impression d‘être un étudiant en art dramatique qui cherche constamment à obtenir une bonne note. Je ne l‘ai jamais trouvé un seul instant l‘air fatigué. Il semblait être dans un jeu permanent, toujours conscient que des personnes le regardaient. De mon point de vue, c‘est assez inhabituel. De nombreux dirigeants se mettent en scène pour les caméras et, lorsque celles-ci s‘éteignent, ils sont beaucoup plus détendus, moins dans un rôle. S‘agissant d‘Emmanuel Macron, c‘est différent. Je n‘ai jamais eu le sentiment qu‘il s‘adressait à moi en tant que personne. Il me regardait comme un comédien regarde un spectateur présent dans le public.Qui écoute-t-il ? Je lui ai posé la question et il m’a répondu : “Personne, je m’écoute moi-même”Malgré cela, avez-vous eu le sentiment de toucher du doigt le véritable Emmanuel Macron?Avant toute chose, permettez-moi de préciser qu‘il aurait été plus difficile pour moi d‘écrire un article comme celui-ci si je suivais l‘Elysée au quotidien. D‘abord, je n‘aurais pas eu le recul nécessaire pour essayer de capturer l‘essence du personnage. Ensuite, j‘ai été témoin du petit jeu des accès médiatiques auquel se livre l‘Elysée… Cela ressemblait plus au Parti communiste chinois qu‘à une démocratie occidentale ! J‘ai été ainsi très surpris de la manière avec laquelle ils ont essayé de manipuler le contenu des articles. A commencer par l‘approbation des citations et la relecture. J‘ai trouvé cela absolument stupéfiant. Dans la tradition médiatique britannico-australo-américaine qui est la mienne, il est inacceptable pour un journaliste de soumettre des citations et son article à l‘attaché de presse et que celui-ci les modifie ensuite à sa guise. Bien sûr, en France, c‘est différent. L‘Elysée contrôle l‘accès à Emmanuel Macron. Par conséquent, si vous êtes un journaliste dont le travail consiste à couvrir l‘actualité du président, et que le Palais vous dit : “Vous ne serez plus jamais convié à une conférence de presse”, votre travail devient plus compliqué. Je ne prétends donc pas avoir saisi toutes les facettes de l‘esprit d‘Emmanuel Macron, mais cela est plus facile pour un outsider comme moi, qui arrive avec un regard neuf sans avoir à s‘inquiéter de ne plus jamais être invité à une conférence de presse à l‘Elysée. De toute façon, je n‘y vais pas. [Rires.]Quel regard portez-vous sur la façon dont Emmanuel Macron est traité par les médias en France ? Les jugez-vous trop tendres ?De ce que j‘ai pu lire et de ce que mes collègues de Politico à Paris me racontent, j‘ai tout de même l‘impression que les médias français ne sont pas toujours tendres à son égard. Mais je pense qu‘il ne faut pas sous-estimer l‘aspect culturel. Que ce soit en France, en Allemagne, ou ailleurs en Europe, j‘observe une relation entre les politiciens et les médias qui est différente de celle à laquelle je suis habitué. Il y a un problème général de relation entre les médias et le pouvoir dans de nombreux pays. En Pologne, par exemple, vous devez soumettre les citations, et les dirigeants politiques peuvent les modifier à leur guise, c‘est la loi. En France, la presse est plus proche du pouvoir. Il en va parfois de même à Washington. Prenez Joe Biden. Les journalistes accrédités à la Maison-Blanche savaient tous, ou presque, qu‘il était un peu lent, peut-être un peu sénile, mais l‘ont-ils écrit ? Non. Pourquoi ? Du fait d‘une trop grande proximité.Vous avez beaucoup observé et parlé avec l‘entourage d‘Emmanuel Macron. Qu‘en avez-vous retenu ?Il est entouré de gens très compétents, très charmants. Ce qui m‘a frappé, en revanche, et je l‘ai écrit dans l‘article, c‘est le contraste sur place avec les équipes dirigeantes chinoises. Au sommet de la structure du Parti communiste, il y a des armées de grands experts de l‘histoire de la France et des relations franco-chinoises qui sont au service de Xi Jinping. Macron, lui, n‘avait pas ces ressources à portée de main, j‘ai pu constater qu‘il n‘était pas bien informé. Certes, il y avait sur place des représentants du ministère des Affaires étrangères français, mais il ne semblait pas les consulter ni les écouter. Emmanuel Macron a improvisé, pensant peut-être qu‘il pouvait convaincre et charmer ce dictateur diabolique sur la seule base de son intelligence. Il a semblé faire preuve d‘une grande naïveté. Il m‘est apparu évident qu‘il connaissait très peu la Chine, l‘histoire entre les deux pays, le programme de Xi Jinping, ses objectifs. Il est arrivé là comme une feuille blanche.Les gens autour d’Emmanuel Macron m’ont tous raconté la même chose : il veut juste être aiméJ‘ai vécu vingt-deux ans en Chine. J‘ai donc eu affaire au Parti communiste tous les jours. En tant que journaliste, j‘ai appris à reconnaître les méthodes utilisées par le régime de Pékin pour humilier les dirigeants étrangers et obtenir les concessions qu‘il souhaite. Lors de mes discussions officielles et parfois officieuses avec Emmanuel Macron, j‘ai été stupéfait par la façon dont lui et son entourage, sans le savoir, faisaient des concessions au Parti communiste chinois et à Xi Jinping [NDLR : le président français avait suggéré de ne pas faire preuve de “suivisme” à l‘égard des Etats-Unis face à la Chine, en particulier au sujet de Taïwan]. Des concessions qui ont nui à la France et à l‘Europe par la même occasion. Sur place, côté chinois, des personnes très haut placées que je connais personnellement, riaient. Comme beaucoup de gens à Bruxelles, d‘ailleurs, qui se sont dit : “Oh mon Dieu ! Qu‘est-ce qu‘il fait ?” Je me suis demandé : comment cela peut-il se produire ? Qui écoute-t-il ? Je lui ai alors posé la question, et il m‘a répondu : “Personne, je m‘écoute moi-même.” Et là j‘ai compris.
Pourquoi avez-vous choisi le qualificatif “magnifique” pour décrire l‘esprit de Macron ?Je ne choisis généralement pas les titres de mes papiers, mais j‘ai fait une exception pour celui-ci. Je l‘ai d‘abord choisi pour ce sens de la grandeur, qui est celui de la présidence française, mais aussi le sien. C‘est un homme relativement petit avec des mains de géant, mais il y a la grandeur de l‘homme, qui est parfois ridicule, parfois appropriée. J‘ai eu le sentiment qu‘elle reflétait l‘idée qu‘il se fait de lui-même et l‘idée qu‘il veut projeter. C‘est donc aussi un titre légèrement ironique.Comment voyez-vous la fin de son quinquennat ?Les mieux placés pour répondre à la question sont mes collègues à Paris. Ce sont eux les vrais experts. Mais ce que je dirais, à l‘heure actuelle, c‘est qu‘Emmanuel Macron est en passe de devenir un président boiteux jusqu‘en 2027. La majorité présidentielle a perdu un tiers de ses sièges lors des législatives. Il est manifestement très diminué. Emmanuel Macron et les gens autour de lui se sont réjouis de ces résultats, mais c‘est toujours l‘extrême droite qui a totalisé le plus grand nombre de voix. Et puis que dirons-nous du macronisme dans dix ans ? Probablement qu‘il se résumait à lui et à rien d‘autre. Comme s‘il avait créé ce puissant mouvement, il y a sept ans, par la seule force de sa personnalité et de son “magnifique” esprit. Et qu‘en a-t-il retiré ? Une France très affaiblie.“C‘est un homme à l‘ego interstellaire qui manque profondément de confiance en lui”, avez-vous écrit. Le pensez-vous vraiment ?Les gens autour d‘Emmanuel Macron m‘ont tous raconté la même chose : il veut juste être aimé. Sous cette arrogance apparente, se cache, selon moi, une profonde insécurité. Par ailleurs, les attributs d‘une fonction comme la présidence française et la sorte de machinerie qui l‘entoure tendent à nourrir les personnalités narcissiques.Comment l‘Elysée a-t-il réagi à la publication de votre article ?J‘ai eu de leurs nouvelles. Ils n‘étaient pas très heureux, vous pouvez l‘imaginer.



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Author : Laurent Berbon

Publish date : 2024-07-17 16:00:00

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