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Les frères Larrieu adaptent un “Roman de Jim” doux-amer et gracieux

Les frères Larrieu adaptent un “Roman de Jim” doux-amer et gracieux



Trahiront-ils un jour la montagne ? À nouveau fidèles à ces paysages, Arnaud et Jean-Marie Larrieu ont cette fois-ci posé leur caméra dans le Haut-Jura, afin d’y adapter Le Roman de Jim de Pierric Bailly, publié en 2021 chez P.O.L. C’est la deuxième fois seulement qu’ils font faux bond à leurs Pyrénées natales, dix ans après L’amour est un crime parfait, qui était déjà une adaptation littéraire (de Philippe Djian) et une franche réussite. Les vallons jurassiens (“petites dépressions allongées entre deux collines”, selon Le Robert) conviennent en tout cas parfaitement à ce récit doux-amer, infiniment gracieux, aussi émouvant que pourrait l’être une saison condensée de This Is Us, cette grande œuvre sérielle sur les aléas de la parentalité.
Trois ans après le charmant Tralala, les frères lourdais suivent ici la trajectoire d’Aymeric (Karim Leklou) de ses 25 à ses 48 ans, marqué par sa “rencontre” avec un enfant (le Jim du titre) dont il va être un temps le père adoptif avant d’en être cruellement séparé. Intérimaire au travail, il le devient aussi dans sa paternité. Se laissant porter par le désir des autres – en l’occurrence celui d’une compagne indécise –, Aymeric est l’archétype du gentil.
Mais un gentil à ce point têtu dans sa tendresse, dans son sens du sacrifice, qu’il en échappe au cliché, pour se rapprocher d’une figure appartenant à la culture juive américaine : le mensch. Ce terme yiddish, popularisé au cinéma par Billy Wilder dans La Garçonnière (“Be a mensch !”, s’y entend professer Jack Lemon), désigne un homme de bien, accroché à ses vertus morales, quoi qu’il en coûte. Cette injonction qui innerve tout un pan de la comédie américaine fait ici le lit d’un mélodrame absolument imparable, sans pour autant négliger la légèreté – on reste chez les Larrieu.
Une sève inédite
C’est là toute leur élégance que de ne jamais appuyer sur la pédale d’effets faciles, de laisser tranquillement couler les larmes plutôt que de les tirer au forceps. Maniant l’ellipse et la litote, ils avancent d’un pas tranquille dans leur récit au long cours, signant un film plus classique, moins fantaisiste qu’à leur habitude. Et de cette épure, ils extraient une sève inédite. On retrouve, dans ce portrait sans pathos d’un prolétariat rural, quelque chose de certains films de Kore-eda.
Le quatuor de comédien·nes est aussi pour beaucoup dans cette réussite. Laetitia Dosch compose avec brio un personnage sur le fil, une sorte de baba cool dont l’anticonformisme revendiqué finit par enfanter un égoïsme impardonnable – mais qu’elle donne toutefois envie, si ce n’est de pardonner, au moins de comprendre. À ses côtés, Bertrand Belin joue à la perfection de sa présence de rockeur taiseux, bourré d’ambiguïté, pour façonner son personnage de père opportuniste. Sara Giraudeau, en une poignée de scènes, impose sa vitalité salvatrice. Mais c’est bien Karim Leklou qui, capable de foudroyer d’un regard, porte le film sur ses épaules.
Le “travail du négatif”
Son personnage a une particularité, révélée dès les premiers plans : il ne cesse de prendre des photos. Chaque instant de bonheur, il a besoin de le figer sur pellicule. Et ces clichés, tout au long du film, nous sont montrés en négatif. Jusqu’au moment, déchirant, où Aymeric dévoile qu’il les a développés et numérisés, par milliers et dans le désordre. La révélation soudaine de ces photos, qu’on a jusqu’ici vues sans vraiment les voir, est un pur moment de grâce.
Mais cette idée ouvre également une belle perspective théorique : en fait, ces négatifs témoignent d’une vie qui refuse d’être développée ; une vie qui sait jouir de l’instant présent mais ne parvient pas à fixer son désir et finit par glisser entre les doigts… Or le fixateur est l’un des trois bains par lesquels passe une pellicule. C’est donc en faisant ce travail (que Lacan, à la suite de Hegel, appelait le “travail du négatif” et qui consiste à affronter et à dompter ses névroses) qu’Aymeric parvient à se créer une ligne de fuite, à prendre la tangente, à s’inventer un nouveau plan d’existence. Éternel mouvement des Larrieu, qui trouve ici l’une de ses plus belles exécutions.
Le Roman de Jim d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu, avec Karim Leklou, Laetitia Dosch, Bertrand Belin, (Fr., 2024, 1h41). En salle le 14 août.



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Author : Jacky Goldberg

Publish date : 2024-08-10 06:00:00

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