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Filmer du porno amateur : un travail de pros !

Filmer  du porno amateur : un travail de pros !



Un instituteur se masturbe en pensant à son amante. Une femme mariée inonde le carrelage de sa cuisine. Depuis plus d’un an, Georgia Azoulay et son chef op Alexandre Cambron ont lancé un étonnant concept : un service de sextapes à domicile, où le duo filme des couples en caméra DV (format d’enregistrement vidéo numérique sur cassettes).
Ces lovetapes, comme il et elle les appellent, sont ouvertes à tous et toutes : queers, hétéros, jeunes, racisé·es, vieux, vieilles, blancs, blanches, moches, beaux, belles, peu importe les pratiques sexuelles… à condition que “ces personnes s’aiment” et qu’elles soient majeures.
Des plateformes éthiques qui misent sur “l’authenticité des sentiments”
Les vidéos ne sont pas postées sur le net mais se passent sous le manteau. Certaines ont même été projetées dans des festivals de films pornos (comme le Brussels Porn Film Festival), avec l’accord du couple filmé. Les interprètes ne sont jamais des professionnel·les, c’est souvent même la première fois qu’ils et elles font l’amour devant une caméra.
Pour l’instant, la plupart étaient en couple, mais Georgia et Alexandre sont ouvert·es à des relations plus fluides, amicales, à plusieurs, et même aux premières rencontres : “On pourrait prendre des gens qui s’écrivent depuis longtemps et se rencontrent pour la première fois. Tant qu’il y a de la sincérité… Dans le porno, tu pourrais filmer des acteurs amoureux que ça ne se verrait pas. Nous, on fait l’inverse.”
On pense en les écoutant à l’essai sur l’érotisme de la poétesse afro-américaine Audre Lorde : “La pornographie, éliminant les véritables émotions, nie en bloc la force de l’érotisme. La pornographie met en valeur une sensation vidée de toute émotion.” Cette recherche de “joie partagée” dans le X n’est heureusement pas nouvelle.
De plus en plus de plateformes de pornos éthiques, comme Lustery ou MakeLoveNotPorn, misent sur “l’authenticité des sentiments” pour contrer un porno amateur à la Jacquie et Michel qui met en scène des acteurs et actrices pros, s’échinant dans des bukkakes ou des doubles pénés.
Le ras-le-bol des scandales à répétition provoqués par ces productions sordides, qui ne respectent ni le droit du travail ni les actrices (lire sur cette question l’excellent récit de non-fiction Judy, Lola, Sofia et moi du journaliste Robin D’Angelo aux Éditions Goutte d’Or), a entraîné la création de nouveaux espaces.
Pas de découpage façon porno mainstream
Les anti-pornos de Georgia et Alexandre s’en démarquent, ne serait-ce que par leur grammaire esthétique. Leur première vidéo, qui saisit Julian et Léa, couple rencontré au hasard d’une soirée à Los Angeles, est comme une sextape au ralenti. Durant une cinquantaine de minutes tournées dans leur chambre, on éprouve la durée réelle de leur relation sexuelle. À la jouissance physique répond une certaine extase esthétique.
Leurs ébats se transforment en une lente chorégraphie, qui se met parfois en pause, le temps de déguster une pomme, d’aller aux toilettes ou de sombrer dans un demi-sommeil. Presque aucun montage. Pas de POV (plan montré depuis le point de vue du ou de la protagoniste) ou de découpage façon porno mainstream avec fragmentation des corps ou gros plans sur les parties génitales.
“On est comme des photographes de famille, mais pour la chambre à coucher”
Bien au contraire, la beauté de leur vidéo tient au travail de la lumière et à leur manière de capturer la vulnérabilité de ces deux corps nus, très élégamment positionnés dans l’espace, comme pris à la volée derrière une baie vitrée.
“Il n’y a que la beauté qui nous intéresse. C’est une forme de respect envers les gens qu’on filme et, de manière générale, envers la vie. On est comme des photographes de famille, mais pour la chambre à coucher.”
“Exciter l’objectif”
Un matin d’avril, nous les suivons sur un de leurs tournages, dans une fermette de l’Eure-et-Loire. Y vivent Céline et Pierre, marié·es et parents de deux enfants, dont la fébrilité se sent à leur façon de tirer sur leurs cigarettes.
Georgia et Alexandre les ont déjà rencontré·es à deux reprises avant le tournage. Pour faire connaissance, être certain·es qu’il et elle soient bien consentant·es. Entre le couple et eux, le courant passe très bien. Céline et Pierre parlent même d’“alchimie”.
“C’est comme un loisir. Un moment où on peut être nous-mêmes, loin de la famille et du travail” Pierre, “acteur” amateur
S’il·elles avaient été “des Parisiens coincés, pas capables de déconner”, précisent-il·elles, ça ne se serait pas passé ainsi. Aide-soignante de 37 ans, Céline arrondit ses fins de mois en étant modèle pour des photos X et en postant avec son mari des vidéos sur son compte MYM (équivalent d’OnlyFans). Cela l’“épanouit beaucoup plus que de traiter des personnes âgées à la chaîne en Ehpad”, surtout qu’elle “adore exciter l’objectif” et recevoir les commentaires hot de ses abonné·es.
Même chose pour Pierre, qui n’éprouve plus aucun plaisir à bosser dans sa boîte d’électronique. Tous·tes deux ont fait du sexe leur échappatoire. “C’est comme un loisir. Un moment où on peut être nous-mêmes, loin de la famille et du travail. On avait besoin de retrouver du plaisir, en partie à cause de plusieurs FIV [fécondations in vitro] qui ont rythmé notre sexualité par des contraintes médicales.”
Avec le libertinage, Céline assouvit ses désirs saphiques avec d’autres femmes fontaines
Dans leur cuisine surchauffée, le couple finit par se déshabiller pour se sentir moins gêné au moment du tournage. Alors que l’installation lumière d’Alexandre transforme leur maison en studio de cinéma (“que va penser le facteur en passant devant chez nous ce matin ?”), il·elles nous racontent leurs plaisirs libertins : première sortie en club échangiste il y a deux ans, applis de rencontres. Avec le libertinage, Céline assouvit ses désirs saphiques avec d’autres femmes fontaines.
Les propulsant hors de leur quotidien, ces expériences renforcent leur complicité et dressent des ponts insoupçonnés avec des personnes qu’il·elles n’auraient, sans le sexe, jamais rencontrées : “On voit toutes les classes sociales. Des gens pétés de thunes qui ont des maisons qui ressemblent à des châteaux, des caissières, des anciens militaires et là, avec ce film, on rencontre même des artistes. Pour nous, le sexe a fait tomber pas mal de barrières… On juge moins les autres, ça rend plus tolérant.”
Le tournage doit se terminer vers 15 heures, avant que le fils de 16 ans de Céline n’arrive
Avant de les filmer durant plusieurs heures, Georgia les entraîne dans un long exercice de relaxation inspiré des méthodes yogiques. S’échappent de derrière la porte des nappes de musique hypnotique et la voix sensuelle de la réalisatrice, qui parle de “fil tendu”, d’un “sexe unique entre deux êtres” et d’“arrachement”. Le tournage peut ensuite commencer. Il doit se terminer aux alentours de 15 heures, avant que le fils de 16 ans de Céline n’arrive. Pas de scénario.
Les performers et le duo d’artistes se sont simplement mis·es d’accord sur l’espace où il·elles allaient baiser : une cuisine ouverte à l’américaine avec un grand bar, un canapé et un tabouret en cuir noir, posés sur du carrelage blanc – détail cinégénique sur lequel Georgia et Alexandre ont tout de suite flashé.
C’est toute une intimité que Georgia et Alexandre documentent
À la caméra, le tatouage d’araignée de Céline sur son avant-bras palpite comme un cœur qui bat. On se croirait dans un pavillon américain des années 1980, en train d’épier une ancienne playmate perchée sur de hauts talons rouges à lacets.
À quatre pattes, elle s’avance lascivement vers le canapé. Le sexe de Pierre est hors champ. Mais les mouvements de tête de Céline donnent une certaine idée de sa grosseur. Comparée à leurs précédentes lovetapes, celle-ci est beaucoup plus BDSM.
Le couple entremêle sauvagerie sexuelle splendidement assumée et élans de complicité amoureuse
Le couple se prend avec férocité. Céline adore obéir à son mari, attraper son sexe et le plonger tout entier dans sa bouche, attendre lascivement la fessée, se faire insulter ou étrangler.
Derrière ces jeux coquins, exutoires à un quotidien rangé, entremêlant sauvagerie sexuelle splendidement assumée et élans de complicité amoureuse, c’est toute une intimité que Georgia et Alexandre documentent.
“Il n’y a pas forcément de cohérence entre nous et nos jeux sexuels”
La nonchalance de Céline quand elle se caresse les seins, sa manière déterminée d’enfiler son collier de chien. Les grandes mains de Pierre quand il la prend tendrement dans ses bras, après avoir loupé une éjaculation faciale. Leurs lovetapes sont des antiperformances, mais n’ont pas grand-chose à voir avec certains pornos militants à volonté éducative. Georgia le revendique même. Elle veut faire confiance au réel.
“Je suis une nana, bi, féministe, qui a été abusée, mais je veux continuer d’accueillir l’amour partout où il est. Les fantasmes sont bien évidemment pris dans un bain d’imagerie collective, mais je veux croire que les gens restent tout de même actifs dans leur imagination.
Georgia Azoulay, 36 ans, a eu mille vies : danseuse, comédienne, modèle vivant, prof de yoga
Je ne veux pas qu’on me dise ce qu’il est convenable de désirer ou non, ce qui est beau ou pas. Nous sommes des êtres complexes. Il n’y a pas forcément de cohérence entre nous et nos jeux sexuels. Surtout qu’ils peuvent servir inconsciemment, comme dans un carnaval, à se réapproprier les logiques de domination de la société.”
Avant d’être réalisatrice, Georgia Azoulay, 36 ans, a eu mille vies : danseuse, comédienne, modèle vivant, prof de yoga… Le sexe l’a toujours fascinée. Déjà petite, elle rampait sous les lits des adultes, se collait aux portes des chambres à coucher pour espérer les entendre… Exposée au sexe dès le plus jeune âge, témoin malgré elle des ébats de sa mère avec différents partenaires, cette violence s’est transformée en obsession.
Longtemps, Alexandre s’est réfugié dans les images pornos où il trouvait un plaisir facile
Elle se souvient des BD de Manara volées à son père, de Sliver, un thriller sexy avec Sharon Stone, et des nuits passées sur M6. Depuis ses premiers films (J’ai rêvé à d’infinis mouvements ou Entra el calor, sélectionnés au festival Côté Court à Pantin), Georgia, accompagnée déjà par Alexandre à l’image, cherche une certaine tension sexuelle. Celle qui ouvre une profonde béance en bas du ventre quand deux corps brûlants s’apprêtent à se toucher.
Alexandre Cambron, 29 ans, s’est souvent vu comme “le mec coincé” à côté de son amie “libérée”. Celui qui avait du mal à être tactile, alors que Georgia voulait le prendre dans ses bras. La tête rentrée dans les épaules, il restait méfiant face à la réalisatrice, qu’il percevait à leur rencontre il y a six ans comme “une bourge illuminée”. Et puis les galères de tournage, les chambres à partager lors d’autoproductions fauchées ont achevé de les rapprocher. Il s’est mis à se confier sur son intimité.
“À un moment, j’ai réalisé que je prenais plus de plaisir en me masturbant qu’en faisant l’amour…” Alexandre, réalisateur d‘”anti-pornos”
Chef-opérateur de plusieurs courts métrages, dont Le soleil dort de Pablo Dury, sélectionné cette année aux César, Alexandre revendique de filmer le sexe tout “en n’étant pas forcément libéré sexuellement”.
Les relations sexuelles ont longtemps été pour lui source d’inquiétude, “à cause d’une virilité subie”. Peur de ne pas réussir à donner du plaisir à l’autre, au point de ne jamais lâcher prise. Longtemps, il s’est réfugié dans les images pornos où il trouvait un plaisir facile : “À un moment, j’ai réalisé que je prenais plus de plaisir en me masturbant qu’en faisant l’amour…”
Georgia a des rêves de tour de France et aimerait documenter toutes les manières de s’aimer
Mais, comme Georgia, ses premiers émois érotiques viennent d’abord du cinéma. Fans des films de Tsai Ming-liang et de Chantal Akerman, tous·tes deux voulaient filmer le sexe en s’extirpant de toute narration. Conserver simplement le moment où les deux acteur·rices font l’amour et le faire durer pour l’éternité. Comme une cassette VHS qu’on rembobinerait à l’infini sur la scène obsédante.
Pour l’instant, Georgia et Alexandre réalisent ces lovetapes gratuitement, mais aimeraient à terme se faire rémunérer par les personnes filmées. L’idée de se dégoter un mécène leur trotte aussi en tête. Les amoureux·ses qui n’auraient pas 7 500 euros à débourser pourraient ainsi passer devant leur objectif.
Georgia a des rêves de tour de France et aimerait documenter toutes les manières de s’aimer, créer une plateforme où l’on verrait toutes leurs vidéos, comme autant de fenêtres sur les chambres à coucher de nos voisins et voisines de palier.
lovetapes.fr
Bonus : le top 5 des chansons à mettre avant d’enregistrer une lovetape, par Georgia Azoulay
William Basinski A Red Score in Tile
Roberto Musci Nexus on the Beach 
Tricky Wait for Signal
Suzanne Kraft Never Heated
Eulalie Mirror in the Mirror



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Author : Annabelle Martella

Publish date : 2024-08-11 08:00:00

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