Souriant, Karim Leklou semble heureux de parler du Roman de Jim, le nouveau film des frères Larrieu, présenté en mai dernier à Cannes, qui restera sûrement comme l’une des grandes étapes de sa carrière. On le sent d’abord timide, et puis pas plus que ça, Leklou. Altruiste, il aurait envie de citer tous·tes les collaborateur·ices du film. Rencontre avec un acteur qui monte, qui monte, notamment depuis la série Hippocrate de Thomas Lilti et Vincent doit mourir de Stéphan Castang.
On dit que les frères Larrieu vous ont choisi très vite pour jouer le rôle d’Aymeric. Est-ce vrai ?
Oui. Ils étaient dans ce processus de casting depuis quatre mois quand je suis arrivé. Donc, ils m’ont choisi rapidement, mais au bout de quatre mois de recherches (rire). Au départ, je me suis dit, au regard de mon cinéma et du leur : “C’est un peu comme une rencontre du troisième type…” Ils m’ont envoyé le scénario, qui m’a beaucoup touché. On s’est vu et on a discuté autour du rôle.
La dimension à la fois individuelle et sociétale, locale et en même temps universelle de l’adaptation m’a beaucoup frappé. C’est très rare, un scénario comme ça. On était d’accord sur le personnage, sur ce qu’il raconte. Leur vision des gens, leur humanité m’a beaucoup touché, elle est désarmante. Moi, je n’y allais pas du tout en séduction – de toute façon j’en suis de moins en moins capable vu mon grand âge (rires). Le soir même j’ai appris que j’étais choisi. J’étais très heureux.
C’est comment, de vieillir, dans un film qui raconte la vie de personnages sur vingt-cinq ans ?
Ce que je trouve de particulièrement réussi dans le film, c’est que les scènes où je suis censé avoir 20 ans sont racontées en voix off. Alors oui, il y a du maquillage, des filtres, etc., mais on voit bien que je n’ai pas 20 ans. Ce qui fait tout passer, c’est que la voix off est une voix du souvenir. J’adore cette phrase écrite par les Larrieu : “J’avais vingt ans et je ne sais plus trop à quoi je ressemblais.” Ça crée une sorte de contrat, une convention avec le spectateur.
Comment les définiriez-vous, les fameux frères Larrieu ?
Ce sont des intellectuels sans esbroufe, sans papier cadeau, les Larrieu. Je suis très touché par leur sincérité, leur projet, sur ce qu’ils sont, voilà. Ensuite, j’avais un peu peur d’aborder un cinéma de mots, d’écriture. Je savais qu’ils tiennent beaucoup au respect du texte. Pour eux, l’impro est un concept qui n’existe pas (sauf quand les bébés parlent, bien sûr).
Pourquoi pensiez-vous vous ne pas pouvoir faire partie de leur cinéma ?
J’avais peut-être un a priori sur ce cinéma de mots, de situations qui ne m’étaient pas tout le temps offertes. Je pensais ne pas faire partie de leur famille d’acteurs, parce que je savais qu’ils étaient souvent fidèles aux mêmes. Et finalement, c’est l’une de mes plus belles expériences de cinéma, enrichissante intellectuellement. Et puis, ils ont un sens de la nuance que j’aime. C’est un film qui n’est pas manichéen.
Vous n’avez jamais pris de cours. Vous êtes un acteur autodidacte…
Non, je suis un acteur laborieux ! (rire) Je suis venu très tard au cinéma. Jusqu’à mes 25-26 ans, j’ai fait beaucoup de petits boulots. Ça me faisait du bien, me réparait le corps et l’esprit, m’évadait, me faisait rêver. Dès l’enfance. Je regardais souvent des films avec mon père, quand il sortait du boulot et moi de l’école, vers 17 h-18 h, des films qu’on avait enregistrés la veille, et on partageait ça, quasiment tous les jours ! Mon père m’a transmis l’idée de l’importance de la culture, alors que c’était un ouvrier. Ce n’est pas parce qu’on vient d’un milieu populaire qu’il n’y a pas de la culture.
À un moment, je faisais du télémarketing, ce qui est un boulot très fatigant pour le cerveau. Alors j’ai commencé à prendre de cours du soir de théâtre. J’étais nul, mais ça me faisait du bien. Ça me libérait, ça m’amusait. Et puis j’ai travaillé sur Un Prophète de Jacques Audiard, où j’avais un petit rôle… C’est la première fois que je me suis dit : “C’est génial”. Wow ! Un temps vibrant. Je ne savais même pas que ça existait, avant. Les journées passent vite, l’instant devient à la fois éternel et immense d’intensité. Et puis j’ai enchainé.
Avec Bouli Lanners sur Les Géants, Radu Jude sur La Source de femmes, Raphaël Jacoulot sur Coup de chaud, Romain Gavras sur Le monde est à toi, etc. Vous avez déjà une belle filmo…
Oui, et puis sur des films très différents. Ce que j’aime, c’est me glisser dans la grammaire des réalisateurs avec lesquels je travaille. Je veux que le cinéma reste un moment vibrant pour moi, et c’est toujours le cas.
On assiste à la montée inexorable du Rassemblement national ? Qu’en pensez-vous ? [Cette interview a eu lieu le 27 juin dernier, donc quelques semaines après l’élection européenne et trois jours avant le second tour des élections législatives – ndr]
Le Roman de Jim parle d’amour, rassemble sur des valeurs d’amour. Rassemble aussi des corps différents, des personnalités différentes. Je suis né en 1982 en France, et je suis attaché à “Liberté, égalité, fraternité”. Ce ne sont pas que des mots. Nous avons la chance de vivre dans cette société-là et j’y suis très attaché. J’aime mon pays.
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Author : Jean-Baptiste Morain
Publish date : 2024-08-16 09:47:25
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