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Acteur fascinant, star mythique, figure publique réac, Alain Delon est décédé.

Acteur fascinant, star mythique, figure publique réac, Alain Delon est décédé.



Alain Delon a joué dans de mauvais films (pas mal, même) mais il n’a jamais mal joué. Il a souvent dit qu’il était un acteur, qu’il ne savait jouer que lui-même (c’est assez injuste avec soi-même), et non un comédien, comme Belmondo. Il n’a jamais pris de cours, n’aurait même pas eu la vocation de ce métier qui lui serait tombé dessus par hasard et qu’il a tout de suite aimé.

La « story » Delon est assez connue. Elle commence par une enfance pas très heureuse : il nait en 1935 dans une famille petite-bourgeoise de la banlieue sud de Paris (précisément à Sceaux), puis grandit à L’Haÿ-les-roses. Son père dirige le cinéma de Bourg-la-Reine, Le Regina, et sa mère est employée dans une pharmacie. Ils divorcent quand Alain a quatre ans. A la fin de sa vie, Delon déclara qu’il souhaiatait, après la mort, les voir à nouveau réunis.

Il est confié à une famille d’accueil dont le père est gardien à Fresne, la prison toute proche. Puis retourne vivre avec sa mère quand elle devient Mme Boulogne, femme de boucher-charcutier qui a réussi. Alain ne fout rien dans les écoles religieuses où on essaye de le faire travailler (notamment à Igny), fugue, vole – à la Truffaut, à la Doinel – alors on lui trouve un emploi dans la boucherie-charcuterie Boulogne, au milieu des 16 autres employés. Ras le bol, il s’engage dans l’armée, vole du matériel, fugue avec une jeep, fait le con (toujours Doinel) et se retrouve à Saïgon pour échapper à la prison, Premier matelot dans la Marine, c’est la guerre d’Indochine, “l’Indo” comme on dit alors.

Delon l’a raconté souvent : c’est à l’armée qu’il s’est trouvé une famille. Il n’est pas le seul ni le premier, ni le dernier (la délinquance juvénile rebelle fait souvent de bons soldats bien réacs) mais c’est une histoire triste, au départ, toujours. Elle peut expliquer, sans du tout les excuser, aussi bien les dérives politiques droitistes un peu instables de Delon tout au long de sa vie, pour qui l’expression viriliste “frère d’arme” a un sens véritable (Jean-Marie Le Pen aussi a fait l’Indochine…). C’est sans doute aussi ce qui le fera jouer dans certains films où il interprète des militaires : Adieu l’ami de Jean Herman avec Charles Bronson, Le Toubib de Pierre Granier Defferre, par exemple), et surtout Mort d’un pourri, un film idéologiquement assez rebutant. Et sympathiser d’une manière extrêmement gênante avec Poutine d’abord aux alentours de 2010, mais ensuite avec le président ukrainien Zelensky ensuite, en juillet 2022, en pleine guerre… Sa fascination pour l’imaginaire militaire est assortie d’un goût pour les armes à feu bien au delà de la cohorte de polars dont les affiches le représentent révolver au point : en 2024, une perquisition à son domicile permet aux autorités de saisir soixante-douze armes à feu sans aucune autorisation de les détenir ne soit délivrée. Politiquement, il n’aura jamais fait mystère de son attachement à la droite, admirateur de De Gaulle, soutient successif à Giscard d’Estaing et Sarkozy, ami personnel de Jean-Marie Le Pen (mais pas du de sa fille).

Quand il revient en France après l’Indochine, Delon, bien que vingtenaire, est un enfant perdu sans collier. Il fait à nouveau le con et des petits boulots, travaille aux Halles, est serveur dans un bar des Champs Elysées, etc. Il fréquente un peu la pègre parisienne, et l’on raconte qu’il fut le protégé d’un célèbre maquereau homosexuel. Mais le sujet est tabou, Delon refuse d’en parler et tente même parfois de censurer certains passages des biographies qui lui sont consacrées. Cette ambivalence profonde, cette félinité androgyne sera fixée à jamais sur un album mythique des Smiths en 1986 : on y voit l’acteur français en position de gisant (photogramme de L’insoumis d’Alain Cavalier) avec inscrit au-dessus de lui The Queen is dead. On ne sait ce que l’intéressé a pensé de cet outing crypté.

Delon est beau, beau comme un demi-dieu, oui. Les bruns aux yeux clairs, c’est ce qu’il y a de plus beau, non ? Il rencontre des gens, commence à tourner, et voilà Romy Schneider, René Clément (Plein soleil, le titre semble parler de Delon tant il le lance) et puis Visconti (Rocco et ses frères mais surtout Le Guépard, où il est sublime de fougue, de classe, de jeunesse – c’est Delon qui prononce dans le film la fameuse phrase : “Pour que tout reste pareil, il faut tout changer”), il n’a que 24 ans et il est déjà une star. La machine Delon est lancée.

Delon joue deux sortes de rôles : évidemment des rôles d’hommes virils, visage fermé, blafard, impénétrable, inexpressif, jusqu’à la stylisation, dont le sommet est le personnage de tueur dans Le Samouraï de Jean-Pierre Melville. Avec Melville, il va se trouver un vrai père de cinéma. Et Melville – qui avait la dent très dure avec ses acteurs : Lino Ventura, Belmondo et surtout l’Italien Gian Maria Volonte en ont pris plein la figure – trouver son interprète idéal, celui dont il ne dira jamais le moindre mal. Les deux hommes, enfermés dans les studios de Melville de la rue Jenner, dans le 13 arrondissement de Paris, quand ils ne tournent pas en extérieur bien sûr, sont sur la même longueur d’onde. Delon joue aussi dans Le Cercle rouge et Un flic, film injustement sous-estimé à sa sortie, où, aux côtés de Catherine Deneuve, Delon est génial dans le rôle d’un commissaire implacable. On lui amène un suspect italien baraqué, au visage buté et buriné, un dur, qui déclare qu’il ne dira rien. Delon, assis, lui adresse en contre-plongée un regard d’acier terrifiant. Sans un mot. Dans le plan suivant, on apprend que le type tout avoué. Que s’est-il passé entre les deux plans ? Le spectateur frémit.

A la mort brutale de Melville (en 1973 – il n’avait que 55 ans), Delon se sent sans doute un peu orphelin : il va enchaîner plein de rôles de flics justiciers, surtout dans les années 80 quand, après l’échec commercial de Monsieur Klein de Joseph Losey, qu’il a aussi produit, il se détourne d’un cinéma ambitieux et enquille les polars un peu ridicules. Et des truands, bien sûr (un tiers de ses rôles out au long de sa carrière), comme dans Borsalino et sa suite, Borsalino et compagnie. Mais Jacques Deray et Pierre Granier-Defferre n’ont évidemment pas le génie, la folie de Melville.

Nouvelle vague de Godard, avec Domiziana Giordano et Alain Delon (capture d’écran, TDR)

Et puis il joue des personnages beaucoup plus fragiles et non moins dangereux, comme dans Plein soleil, Rocco et ses frères de Visconti, L’assassinat de Trostsky de Losey, où il tremble de peur avant de frapper mortellement Richard Burton avec un pic à glace. Ou encore Le professeur de Zurlini, qu’il produit aussi, film hautement dépressif sur un personnage qui ne l’est pas moins. Le ournage ne se passe pas très bien, mais Delon reconnaît des années plus tard qu’il est magnifique. Mais aussi les deux films qu’il tourne avec Simone Signoret (La Veuve Couderc et Les Granges brûlées) et puis Nouvelle vague de Godard et Notre histoire de Bertrand Blier, qui lui vaut de recevoir en 1985 un César qu’il ne va pas chercher – ce qui permet à Coluche, son remettant de l’exécuter publiquement en direct en raillant son statut d’exilé fiscal en Suisse « après avoir été toute sa vie contre l’immigration ». Chez Blier, chez Godard, à l’aube de sa cinquantaine, il se montre au bout du rouleau, avec un masochisme assez étonnant. Il retrouve enfin toute la puissance magnétique qu’avait sublimée Melville.

Delon, Belmondo, Trintignant : Trintignant a l’air d’un gringalet, Belmondo arbore ses muscles mais excelle surtout dans la comédie, Delon, c’est la beauté absolue, dont le sommet peut être daté à 1975 : il a déjà des poches sous les yeux, mais elles mettent tellement en valeur ses yeux bleus d’acier. Mais ne le faites pas trop sourire, car ce sourire est souvent inquiétant. Le comique, ce n’est pas du tout son dada. Il ne donne pas envie de rire, Delon (même quand il s’autoparodie en Jules César dans une des nombreuses adaptations d’Astérix).

L’amitié était une valeur très importante pour Delon. On retrouve souvent les mêmes acteurs de second rôle dans ses films, comme Paul Crauchet et Christian Barbier (deux acteurs melvilliens, d’ailleurs). L’acteur André Pousse, qui s’était payé un restaurant à la fin de ses jours, raconta dans une interview, avec son fameux accent de titi parisien, qu’il eut un jour un revers de fortune. Un peu penaud, il demanda à son ami Delon s’il pouvait l’aider. Qui ne discuta même pas, lui donna l’argent en espèce et refusa qu’ils signent une reconnaissance de dette. André Pousse protesta : “Mais si je meurs sans t’avoir remboursé !?”. Delon lui répondit : “Si tu meurs, je serai tellement triste que je m’en foutrai, de l’argent”.

Les humoristes et les imitateurs se sont beaucoup moqué d’Alain Delon dans les trente dernières années de sa vie, de son auto-centrage, de sa supposée habitude de parler de lui à la troisième personne du singulier. A récouter ses interviews, ils ont raison. Son narcissisme mégalomaniaque l‘ont même parfois poussé à tenir publiquement des propos sans doute destructeurs (du genre : “Oui, c’est dur d’être l’enfant d’Alain Delon, mais c’est difficile aussi d’être Alain Delon”). Avec le temps, pourtant, il semblait s’être adouci.

Nous nous étendrons pas sur les conflits qui ont pu opposer ses trois enfants ces dernières années. Selon le communiqué de presse annonçant sa mort publié par ses Anthony, Alain-Fabien et Anouchka Delon, « Il s’est éteint sereinement dans sa maison de Douchy, entouré de ses trois enfants et des siens« .

Depuis 1999, Delon avait la double nationalité franco-suisse. Souvent, dans les journaux, il disait détester son époque, le cinéma français, vouloir mourir (il le déclara même à Cannes en 2019, venu recevoir une Palme d’honneur pour l’ensemble de sa carrière, devant des milliers de spectateurs venus l’acclamer). Pour parler de la mort, il citait en italien le titre original du Professeur de Zurlini, preuve que cette oeuvre avait compté pour lui : La prima notte di quiete (la première nuit tranquille). Cette nuit est enfin venue.

Je préfère me souvenir de son regard (provisoirement borgne, car il porte un bandeau noir pour cacher une blessure) dans Le Guépard, quand il voit pour la première fois la fille du maire, Angelica, jouée par Claudia Cardinale, qu’il avait connue enfant et qu’il voit pour la première fois depuis qu’elle est devenue une femme. Un coup de foudre, un coup au cœur, un regard incroyable où brillent le désir et la joie.

Claudia Cardinale, Paolo Stoppa, Alain Delon



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Author : Jean-Baptiste Morain

Publish date : 2024-08-18 09:50:40

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