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L.A. Calling : “Le sens nous échappe de plus en plus à mesure que la réalité, cette folle fiction, s’emballe”

L.A. Calling : “Le sens nous échappe de plus en plus à mesure que la réalité, cette folle fiction, s’emballe”



“L’Amérique n’est ni un rêve ni une réalité, c’est une hyperréalité. C’est une hyperréalité parce que c’est une utopie qui dès le début s’est vécue comme réalisée. Tout ici est réel, pragmatique et tout vous laisse rêveur”, écrit Jean Baudrillard dans Amérique. On me demande souvent pourquoi j’aime tant vivre à Los Angeles. La réponse est multiple – le bleu du ciel, les Angelenas et les Angelenos, l’architecture –, mais l’une des raisons principales est ce qu’on pourrait nommer, à la suite de Jean Baudrillard, “l’hyperréalité” américaine. Pour le dire autrement, ce qui apparaît ailleurs comme de la fiction est ici bel et bien réel.
N’importe quel·le cinéphile qui a passé au moins quelques jours à L.A. s’est ainsi dit, à propos d’un lieu visité, d’une personne croisée ou d’une situation vécue : “Mais c’est complètement lynchien !” Tout simplement parce que Lynch filme ce qu’il y a autour de lui et que ce qui peut paraître exotique vu de France est ici banal. Mulholland Drive, par exemple, n’est pas un film surréaliste : c’est un quasi-documentaire sur Hollywood, les rêves qu’il suscite, les déchets qu’il recrache. Et j’exagère à peine en affirmant que si les frères Dardenne tournaient ici, ils en repartiraient avec Inland Empire.
Quand la “machine à rêves” se matérialise
Allez à une soirée chic sur les Hollywood Hills et vous vous retrouverez téléporté·e chez Bret Easton Ellis ; faites un tour à la salle de sport et ce sont des personnages de Paul Verhoeven qui vous entoureront. Parce que L.A. est une “machine à rêves”, ce phénomène y est exacerbé. Mais il pourrait au fond s’appliquer à l’ensemble des États-Unis, tant le destin de cette nation s’est écrit sur des écrans. L’exemple le plus fameux est l’effondrement du World Trade Center, qu’on a immédiatement comparé aux films catastrophe hollywoodiens. Le dernier en date est la tentative d’assassinat de Trump, qui a tout de suite convoqué dans nos mémoires des scènes de Taxi Driver (Martin Scorsese), À cause d’un assassinat (Alan J. Pakula), Un crime dans la tête (John Frankenheimer)…
Le sentiment d’irréalité (ou plutôt d’hyperréalité) devant les images déjà iconiques du meeting de Donald Trump était si fort qu’il nous a fallu nous référer à de vieilles fictions pour leur donner un sens. Or, ce sens nous échappe de plus en plus à mesure que la réalité, cette folle fiction, s’emballe. On regarde ainsi cette campagne comme une série télé, accros à ses rebondissements : le débat bouche bée de Joe Biden, l’oreille cassée de Trump, l’émoji cocotier de Kamala Harris devenu viral, les bizarreries de J. D. Vance…
La suite au prochain épisode…
Et qui sait quel autre cliffhanger nous réserve cette nouvelle saison du réel ? Armando Iannucci, le showrunner de la série comique Veep, une sorte de The Office à la Maison-Blanche qui cartonne à nouveau depuis que Harris est devenue la candidate démocrate, s’est justement fendu d’une tribune dans le New York Times pour s’inquiéter du fait que “la politique ressemble tellement au divertissement que la première chose que l’on fait pour donner un sens à l’instant que nous vivons est de le mesurer à l’aune d’une sitcom”.
Et la France, me direz-vous ? Eh bien, la France n’est plus en reste, avec son incroyable scénario politique du début d’été, qui a pu évoquer les séries Baron Noir ou La Fièvre d’Éric Benzekri – c’est plutôt Les Sauvages de Rebecca Zlotowski et Sabri Louatah qu’on aurait aimé voir se réaliser, avec son président d’origine kabyle et son complot déjoué, mais passons. La fiction dévore tout, nous laissant incrédules. L’Amérique semble en tout cas ne plus avoir le monopole de “l’hyperréalité”.



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Author : Jacky Goldberg

Publish date : 2024-08-25 17:00:00

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