1768. Alors qu’un navire s’apprête à débarquer au port de Buenos Aires, trois silhouettes encapuchonnées apparaissent sur le pont, accompagnées par un bouc. Quelques minutes plus tard, on les revoit dans une barque, toujours avec leur animal. Mais cette fois-ci, un petit garçon, enlevé à sa mère, les a rejointes. Après Naphtaline (2020), roman graphique familial qui, du début des années 2000 et la crise économique argentine, remontait jusqu’à la prise de pouvoir de Mussolini en Italie, la dessinatrice Sole Otero s’est lancée dans une entreprise encore plus ambitieuse. Ici, elle propose un fascinant puzzle narratif courant sur plusieurs siècles. Attention : malgré les lectures attentives, celui-ci ne perdra pas facilement sa dimension énigmatique.
Désignant un sortilège réalisé grâce à la magie noire, Walicho est une collection de nouvelles fantastiques construite autour d’un quartier de Buenos Aires et de trois personnages récurrents, des sœurs qui entretiennent un culte leur permettant de résister au temps. Pour Sole Otero, chaque récit est l’occasion de changer de registre, d’époque, de perspective. On passe ainsi d’une tragicomédie autour d’un homme marié qui ne bande plus à une histoire beaucoup plus sinistre où une jeune fille, victime de violences sexuelles, est accusée par les religieuses censées la protéger d’user de ses “charmes sataniques”.
Pour mieux nous immerger dans cette fresque qui fait peur, l’autrice argentine se livre à des jeux graphiques. Ici, elle imite le journal intime d’une enfant, là, elle multiplie les cases pour symboliser l’écoulement du temps dans la vie d’une femme recluse, joue avec les couleurs ou le bord de la page. S’il suscite par moments le frisson et crée son propre suspense – on s’amusera dans un deuxième ou troisième temps à recoller toutes les pièces –, Walicho est presque un leurre. Otero profite du genre horrifique pour aborder quantité de questions féministes passées et actuelles, comme le sort réservé à celles qui, trop indépendantes, étaient qualifiées de sorcières, ainsi que l’empowerment ou la liberté d’avorter.
Walicho de Sole Otero (çà et là), traduit de l’espagnol (Argentine) par Anne Plantagenet, 376 p., 28 €. En librairie.
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Author : Vincent Brunner
Publish date : 2024-08-27 07:00:00
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