Lorsque le journaliste John Robb écrit pour la première fois le terme “Britpop”, dans un numéro de Sounds daté de 1987, l’idée est de mettre un mot sur une génération de jeunes têtes brûlées qui font du rock en mode explosif, toutes guitares en avant. Le pari est risqué, et peut donner l’impression de formuler une sorte de légitimation intellectuelle dont ces artistes ne se soucient guère.
Malgré tout, l’expression “Britpop” a le mérite de rappeler à quel point la musique de The La’s, The Stone Roses, The Charlatans et autres Inspiral Carpets est faite d’hymnes fédérateurs, de refrains imparables qui claquent comme un slogan, d’influences sixties, de riffs mis au premier plan et de textes écrits en écho au mal-être d’une jeunesse plombée par les politiques conservatrices de l’Angleterre des années 1980.
Fracassante maturité
Il faut toutefois attendre le début de la décennie suivante pour que la Britpop trouve sa pleine mesure. Pulp, Blur, Supergrass, Suede : tous créent alors un pont entre la scène de Madchester et le shoegaze (réécouter Leisure de Blur, sorti en 1991, est en cela frappant !), tous sont fans des Beatles, tous se sont pris en pleine face le glam rock à la Bowie et tous parviennent à se réapproprier les codes patriotiques du Royaume-Uni pour mieux les marteler au sein de l’inconscient collectif.
Avec le recul, il n’est pas irraisonné de voir en cette période, bientôt nommée “cool Britannia”, les prémices du Brexit, la promotion d’une fierté nationale aux bas instincts populistes, l’incarnation d’un soft power qui ne dit pas son nom. À l’époque, il s’agit plus simplement de répondre avec fracas à la déflagration du grunge, de requinquer le rock local sans rien renier du passé. Britannique par essence, Oasis va exceller dans ce rôle-là.
Héritiers, énervés
Pour comprendre comment les frères Gallagher sont parvenus à incarner à la perfection ce renouveau du rock british, il faut remonter au 31 mai 1993, lorsque les Mancuniens louent un van pour se rendre à Glasgow. Ils ont entendu qu’un groupe qu’ils connaissent, Sister Lovers, allait y donner un concert, et compte bien forcer le passage pour jouer quelques morceaux sur scène.
Le problème, c’est que personne au King Tut’s Wah Wah Hut ne connaît ces jeunes gars sapés en jeans et baskets Adidas. Mieux vaut ne pas y prêter attention. Sauf que Liam, Noel et les autres (Paul Arthus, Paul McGuigan et Tony McCarroll) refusent de rentrer bredouille à Burnage, une banlieue morne de Manchester qu’ils considèrent comme “totalement déprimée et ouvrière”. Alors, une fois arrivés sur place, ils menacent de tout casser, le promoteur splitte le set de Sister Lovers en deux parties et leur accorde cinq chansons.
Dans la salle, Alan McGee, patron du mythique label Creation Records (The House of Love, My Bloody Valentine, Ride, Teenage Fanclub), n’en revient pas. Il est sous le charme de ces mecs qui pissent sur le politiquement correct, ont la dégaine de jeunes lads et semblent avoir déjà quelques classiques sous le coude : Rock’N’Roll Star et Bring It On Down, que McGee aime tout particulièrement pour son énergie punk. Héritiers énervés de la scène rock britannique, les Mancuniens comptent même dans leur répertoire une reprise puissante d’un titre des Beatles, I Am the Walrus. Conquis, le manager leur propose aussitôt de rejoindre sa structure et, sympa, leur fait parvenir cinq jours plus tard des billets de train afin de se rendre à Londres pour signer leur premier contrat.
Cool as fuck
La suite ressemble à l’histoire de n’importe quel groupe de rock promis aux plus hauts sommets. Avec, en coulisses, les mêmes comportements de sales gosses irresponsables : alors que la démo d’un de leur titre envoyé à la presse (Columbia) entre en rotation sur BBC Radio 1, les cinq potos jouent clairement les mauvais garçons dès qu’ils mettent le pied dans un hôtel. Un certain nombre d’établissements les invite même à ne pas renouveler leur séjour. Trop turbulents, trop bordéliques, les Mancuniens saccagent tout ce qu’ils voient, se bagarrent (déjà !) devant les journalistes et finissent par se faire arrêter sur le ferry.
En studio, c’est la même pagaille, si bien que trois ingénieurs du son se succèdent au cours des sessions entamées par le groupe en janvier 1994 aux Valley Monnow (pays de Galles) et au Sawmills Studio. D’abord Dave Batchelor, à qui les frères Gallagher reprochent de les tenir à bonne distance du son live qu’ils recherchent ; puis Mark Coyle et enfin Owen Morris, l’homme providentiel du son d’Oasis. Imposé par l’équipe de Creation Records, ce dernier est chargé d’épurer les chansons, de le dépouiller de leurs multiples couches de guitares saturées, de n’en conserver que la substantifique moelle, l’essence pop.
Le public, lui, tombe carrément sous le charme de ces gars capables de postillonner à la face de l’establishment britannique, qui ont la gouaille des délaissé·es, le tempérament des laissé·es pour compte, l’arrogance et l’humour de ces working class hero du quotidien qui n’ont que ces armes à disposition pour tenter d’exister. Une semaine avant la sortie de Definitely Maybe, Oasis fait ainsi la couverture successive du Melody Maker, NME et The Face, tandis que Live Forever, qui se vend nettement plus que les précédents singles (Supersonic et Shakermaker), entre dans le top 10 au Royaume-Uni, séduit outre-Atlantique et parvient à faire de l’ombre au Love Is All Around de Wet Wet Wet dans les classements de fin d’année.
Prémices de l’Oasismania
Lorsque Definitely Maybe paraît, le 29 août 1994, impossible d’échapper au phénomène Oasis. En une semaine, plus de 150 000 exemplaires sont vendus. Un record, une véritable secousse électrique prolongée quelques semaines plus tard par la sortie d’un quatrième single, l’iconique Cigarettes & Alcohol. Beaucoup ne savent pas très bien ce dont parlent les chansons du groupe, mais qu’importe, l’enjeu est ailleurs.
Il est dans ces refrains grandioses, canailles et pourtant taillés pour les stades. Il est dans cette voix, morveuse, provocante, profondément mélodique, qui se soucie moins de ce qu’elle chante que de la profondeur qu’elle donne à chaque mot, et qui donne l’impression à la jeunesse anglaise (et mondiale) d’avoir trouvé là de fiers représentants. Il est dans cette attitude, classe et provocante, effrontée et charismatique, qui permet aux frères Gallagher, déjà, de balancer des punchlines comme on assène des vérités impossibles à contester : “Tout le monde peut lancer une chaise à travers une fenêtre, mais tout le monde ne peut pas écrire Live Forever”, confiait Noel Gallagher, quelques jours avant la sortie de l’album. Car, oui, derrière les bons mots et les pitreries, Oasis reste avant tout un sacré groupe de rock.
À l’époque, Noel n’a que 27 ans. Liam en a 22. Ensemble, ils érigent un rock qui se soucie peu de la complexité et des arrangements sophistiqués. Rock’N’Roll Star, Up In the Sky, Slide Away et les autres sont là pour offrir aux mauvaises graines une raison de gueuler chaque refrain, et aux autres l’occasion de s’encanailler au contact d’une musique tumultueuse, débraillée, combative, quoique capable de se montrer relativement douce et romantique à l’occasion – Married With Childen, grande pop song estivale et mélancolique.
Moins attendu que (What’s the Story) Morning Glory? (1995), plus condensé que Be Here Now (1997), tout simplement plus puissant et poignant que les quatre autres disques du groupe, ce premier album s’impose d’office comme un classique, dont on connaît et reprend chaque idée mélodique, non pas la tête baissée, mais sur un ton fier, rempli de certitudes. Le début de l’Oasismania ? Definitely maybe.
Definitely Maybe (30th Anniversary Deluxe Edition) (Big Brother Recordings/The Orchard). Sortie le 30 août.
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Author : Maxime Delcourt
Publish date : 2024-08-28 09:30:58
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