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Qui est Chappell Roan, la nouvelle icône queer qui dynamite les codes de la pop ?

Qui est Chappell Roan, la nouvelle icône queer qui dynamite les codes de la pop ?



Les goûts musicaux relèvent parfois de la posture. Si l’on s’était mis en tête que la pop d’aujourd’hui n’avait rien d’autre à nous offrir que l’ennui (à l’exception des fulgurances de l’hyperpop, sa version triturée et sous stéroïdes), il semble qu’une artiste soit bel et bien en train de défaire une à une nos idées préconçues, fruits de nos caboches étriquées : Chappell Roan.

Initialement, on rechignait un peu à écouter l’œuvre de cette native du Missouri – pas envie de se fader les mêmes litanies pop, ce côté mièvre et convenu, sans aspérités ni profondeur. On s’était bien fourvoyé.

Extravagance kitsch

Son nom est sur toutes les lèvres depuis la sortie de Good Luck, Babe!, un single aux synthés tout en délicatesse, irruptions de violon et crescendos enivrants – alliage sur lequel se déploie sa voix, limpide. Les textures sonores que Chappell Roan y manipule nous renvoient tout droit aux grandes heures de la (synth)pop des années 1980, où Kate Bush régnait en maîtresse.

Pourtant, sa musique est résolument actuelle, des textes qui la serpentent au modèle d’émancipation que la chanteuse a choisi d’incarner – à tous points de vue. Elle ne pastiche pas la pop d’hier, ne copie pas non plus ses comparses d’aujourd’hui. Elle chambarde. 

Il n’y a qu’à voir la pochette du single en question pour comprendre que l’artiste se fait un malin plaisir à dynamiter les codes de la pop, les détourner, s’élancer tête baissée vers une extravagance kitsch dont l’audace réjouit. Coiffe médiévale et groin fièrement exhibé au milieu de son visage, elle lance un regard inquisiteur vers l’objectif.

Une esthétique qu’elle décline de mille et une manières, sur scène comme dans ses clips : qu’elle soit vêtue de plumes blanches, comme lors de son passage au Tonight Show (diffusée sur NBC) en juin dernier, ou bien que son visage soit recouvert d’un maquillage flamboyant – une épaisse couche de poudre blanche sur sa peau, des paupières ornées de bleu, des lèvres écarlates – semblant puiser dans l’imagerie drag. Culture que la musicienne met d’ailleurs en lumière à chacun de ses concerts, invitant systématiquement une drag-queen locale à ouvrir la soirée. 

Un succès à retardement 

Si Chappell Roan explose aujourd’hui, il semble que la marche du succès ait été, plusieurs années durant, un brin trop haute pour elle. Elle y a pourtant cru, à 17 ans, lorsque Atlantic Records la signe après que l’une de ses vidéos postées sur YouTube a “fait le buzz” (vidéo désormais introuvable, on a cherché). Un itinéraire commun à de nombreux·ses artistes ayant flirté avec le succès dans les années 2010 : partager spontanément sa musique sur ladite plateforme, c’était espérer attirer l’attention des labels. 

Pari gagné en 2015, lorsque son premier album – Pink Pony Club – sort, après un déménagement à Los Angeles pour mener à bien sa carrière artistique. Malheureusement, le disque ne parvient pas à trouver son public, son propos n’est pas audible, le label la renvoie. Merci, au revoir. La voilà contrainte de rentrer dans le Missouri où elle doit désormais cumuler les petits jobs pour avoir de quoi vivre : barista, assistante de production, nourrice. 

Et puisqu’un malheur n’arrive jamais seul (en était-ce vraiment un, tout compte fait ?), elle se sépare au même moment de son copain de l’époque. Un type du cru pour qui elle avait renoncé à rejoindre les bancs de l’Interlochen Arts Academy, lycée réputé pour son enseignement artistique, dans le Michigan. “Ils m’ont dit : ‘On te veut, bitch’, et j’ai répondu un truc du genre : ‘J’aime mon petit ami plouc, qui est éleveur laitier et qui ne va nulle part.’ En y repensant, je me dis : ‘Bon sang, tout ça pour un marine ?’”, raconte-t-elle à Interview Magazine.

Près d’une décennie plus tard, c’est une Chappell Roan au tout autre visage qui s’impose dans le paysage musical. Désormais signée chez Island Records (The Last Dinner Party, Sparks, Olivia Dean), elle sort son deuxième album, The Rise and Fall of a Midwest Princess, en 2023. Mais ce n’est que cette année que le disque trouve la résonance qu’il mérite, atteignant, la semaine du 20 août, la deuxième place du top 200 de Billboard. 

“Je ne sortirai plus jamais avec un homme. […] Ils ne m’attirent pas”

Un succès corrélé à son émancipation personnelle, elle qui se décrit comme “une fille pop très camp [une esthétique issue de la culture queer], bruyante autant dans ses tenues que dans ses déclarations et ses paroles”, dont les concerts sont “très festifs” et le projet “basé sur l’amusement et la culture queer”, disait-elle à Konbini, pleine d’assurance.

La voilà alors affranchie de la crainte du mépris des cadres de l’industrie, de l’envie de plaire… tout comme des carcans de l’hétérosexualité. Dans une interview donnée à Pitchfork, la musicienne cinglait ainsi : “Je ne sortirai plus jamais avec un homme. […] Ils ne m’attirent pas, je n’aime pas avoir de relations sexuelles avec eux, je ne pense pas qu’ils me comprennent, je ne pense pas qu’ils fassent de bonnes œuvres d’art.” 

Ce n’est donc pas pour rien que Chappell Roan chante, exhalant un girl power de bon ton, ce Femininomenon (combinaison de “féminine” et “phénomène”) qu’elle appelle de ses vœux : une prise de pouvoir féministe. Si d’apparence, ses textes font le récit de ses déboires amoureux ou de ses nuits passées à fouler le dancefloor, ils témoignent avant tout de cette liberté infinie qu’elle savoure enfin, la même qui balaie d’un revers de main les vestiges d’un monde désuet. “Je ne chante pas seulement de la pop, c’est automatiquement politique parce que je suis gay”, assurait-elle à Interview Magazine à ce propos.

Fixer ses propres limites

Puisqu’elle sait à quel point succès et célébrité peuvent être vénéneux, l’artiste s’efforce de garder les pieds sur terre. Si son album se hisse en haut des charts, elle semble ne pas y accorder une importance capitale : “Allez vous faire foutre, les gars, de ne pas voir ce qui compte vraiment. […] Un classement est tellement éphémère”, lâchait-elle dans la même interview.

Fini le temps où les popstars se muraient dans le silence, serrant les dents face à une industrie vorace (et des fans qui le sont tout autant). Chappell Roan comptabilise des millions de streams à l’échelle internationale à ce jour, se produit dans des salles pleines à craquer (elle s’apprête d’ailleurs à suivre Olivia Rodrigo dans sa tournée nord-américaine, l’année prochaine, pour y assurer les premières parties) et bénéficie donc d’une communauté de fans gargantuesque. Pour autant, l’instance de certain·es admirateur·rices pousse la musicienne à taper du poing sur la table, pour mieux s’en protéger.

“Je me fiche que les abus et le harcèlement soient une chose normale pour les personnes célèbres ou un peu célèbres”

Le 20 août dernier, Chappell Roan a ainsi publié deux vidéos sur son compte TikTok – comptabilisant pas moins de 14 millions de vues chacune –, dans lesquelles elle dénonce les “comportements effrayants” auxquels elle est confrontée ces derniers mois. Quand certain·es fans expriment leur colère après avoir essuyé un refus de sa part (de prendre une photo, de la prendre dans leur bras, de discuter…), d’autres la suivent dans ses déplacements, lui hurlent dessus depuis leur voiture, la harcèlent sur les réseaux sociaux… “Je me fiche que les abus et le harcèlement soient une chose normale pour les personnes célèbres ou un peu célèbres. […] Je me fiche de savoir que ce type de comportement fou va de pair avec le travail, la carrière que j’ai choisie”, a-t-elle fustigé.

@chappellroan Do not assume this is directed at someone or a specific encounter. This is just my side of the story and my feelings. ♬ original sound – chappell roan

Un coup de semonce en appelant un autre, elle a remis ça sur Instagram, trois jours plus tard. “J’ai eu trop d’interactions physiques et sociales non consensuelles, et je dois juste vous le dire et vous rappeler que les femmes ne vous doivent rien”, y a-t-elle écrit, ajoutant que “cette situation est similaire à l’idée selon laquelle si une femme porte une jupe courte et se fait harceler ou siffler, elle n’aurait pas dû porter cette jupe”.

Et de conclure, opiniâtre : “Ce n’est pas le devoir de la femme de s’en remettre et de l’accepter, c’est le devoir du harceleur d’être une personne décente, de la laisser tranquille et de respecter le fait qu’elle peut porter ce qu’elle veut tout en méritant la paix dans ce monde.” Amen. 

Chappell Roan sera en concert le 3 septembre au Bataclan, à Paris.



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Author : Louise Lucas

Publish date : 2024-08-28 16:05:11

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Tags :Les Inrocks

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