Depuis sa dernière grande exposition au MAC VAL en 2018, Les racines poussent aussi dans le béton, et la fermeture au début du Covid de la Colonie, le café qu’il avait ouvert à Paris pour y accueillir des rencontres sur la question décoloniale ou sur l’art et la politique en général, Kader Attia, installé à Berlin, s’était fait plus discret en France. C’est la raison pour laquelle la monographie Descente au paradis, proposée au MO.CO à Montpellier, vient réparer le relatif effacement d’un artiste marquant de la scène artistique française, qu’il a ouverte depuis le début des années 2000 à des enjeux encore trop minimisés : les traces traumatiques de la mémoire coloniale, le déracinement, la réparation, les angles morts de la démocratie universaliste et progressiste, mais aussi la question de la spiritualité dans un monde désenchanté.
Comment trouver sa place dans un temps qui occulte ses blessures passées et obstrue tout horizon d’espérance ? On retrouve dans toutes ses largeurs réflexives l’articulation de ce travail dans l’exposition du MO.CO., où le réalisateur Numa Hambursin l’a invité avec une idée fixe en tête : mettre en lumière la part de beauté de son œuvre, que beaucoup ont tendance à réduire à sa dimension strictement politique. De fait, les installations, films, sculptures, photographies de Kader Attia dégagent une force plastique évidente ; chez lui, la poésie surgit des ruines de l’histoire, dans un parfait équilibre entre des engagements publics et des dégagements méditatifs.
Exposées au fil d’un parcours pensé comme un vrai récit initiatique – le récit d’une ascension inversée du purgatoire vers le paradis, logé au sous-sol du musée –, les œuvres, dont plusieurs inédites, naviguent entre des paysages dévastés et des territoires cosmiques. Ses anciennes installations, traduisant l’idée d’un enfer sur terre – La Mer morte (2015), composée de vêtements d’occasion bleus échoués sur le sol, comme une image glacée des exilé·es noyé·es en Méditerranée ; On n’emprisonne pas les idées (2018), des barrières métalliques où se coincent des pierres ; Halam Tawaaf (2008), des cannettes de bière voûtées comme des pèlerins ; On Silence (2021), installation de prothèses suspendues au plafond –, font place à la possibilité d’une rédemption intérieure, sinon collective.
D’une chute à une élévation, d’un chaos politique à un réveil spirituel, incarné ici par le film magnétique d’une rencontre avec un médium en Thaïlande (Pluvialité #1, 2023), d’une perte de repères à une écoute sensorielle du monde, Kader Attia invite à nous écouter, à mieux approcher la matière, à la fois physique et métaphysique, de notre environnement. L’intérêt qu’il porte à la psychanalyse et aux névroses (Les Oxymores de la raison, 2015) se fonde sur sa curiosité pour la fonction des ancêtres défendue par la pensée extrême-orientale. Le paradis, dont il dessine ici des contours possibles, n’a de sens que s’il abrite des formes d’attention à soi, mais aussi au cosmos, aux arbres, à l’air, aux pierres, à tout un environnement dont nous sommes les héritier·ères secret·ètes.
En se tournant aujourd’hui vers les bords du Mékong, Kader Attia réoriente son travail vers des territoires qui le plongent dans des rêveries pures, d’où s’esquisse une voie nouvelle. À la mesure de son attachement au dispositif de l’exposition, “dernier espace physique contre la virtualisation généralisée et la perte de l’attention”, cette voie tend à élever les esprits vers les paradis terrestres. Transformant la chute en ascension, par la grâce d’un renversement de formes autant que de mouvements, Kader Attia amplifie son approche critique pour l’adosser à une forme de sagesse. Sachons l’écouter et le regarder, il trace des chemins inspirants.
Descente au paradis de Kader Attia, au MO.CO, Montpellier, jusqu’au 22 septembre.
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Author : Jean-Marie Durand
Publish date : 2024-08-30 06:00:00
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