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Au Centre Pompidou, une grande exposition pour le centenaire du surréalisme

Au Centre Pompidou, une grande exposition pour le centenaire du surréalisme



Le surréalisme a 100 ans, si l’on s’accroche au geste fondateur d’André Breton, qui a signé son fameux manifeste en 1924 en définissant le mouvement comme un “automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée”. Il est peut-être plus vieux encore, ou plus juvénile, selon que l’on identifie les traces de son esprit au XVIIIe siècle ou dans notre présent même. S’échappant des frontières du temps, cet esprit pourrait être condensé par les mots cinglants de Georges Bataille que la spécialiste du mouvement Annie Le Brun citait dans son essai récemment réédité, Qui vive – Considérations actuelles sur l’inactualité du surréalisme (Flammarion) : “En matière d’arrachement de l’homme à lui-même, il y a le surréalisme et rien.”
Ce saisissant “surréalisme et rien” cache pourtant dans ses plis une longue histoire interne : une page écrite et mythique de l’histoire de l’art, fixée entre 1924 et 1969, comme le met en scène l’exposition au Centre Pompidou, curatée par Didier Ottinger et Marie Sarré, vingt ans après une autre exposition du musée national d’Art moderne consacrée à La Révolution surréaliste (2002), sans compter d’autres expositions thématiques (La Subversion des images, 2019 ; Le Surréalisme et l’Objet, 2013 ; Art et Liberté, 2016 ; Dalí, 2013 ; Magritte, 2016 ; Dora Maar, 2019…). Avec le surréalisme, le Centre Pompidou avance donc sur un territoire familier, tout en proposant un récit renouvelé et élargi, destiné notamment à une nouvelle génération de visiteur·ses, pour qui Breton, Duchamp, Ernst, Magritte, Dalí et les autres restent associés aux images de vieux livres d’histoire de l’art.
S’appuyant sur des recherches académiques récentes, Marie Sarré indique que l’idée longtemps dominante selon laquelle le mouvement d’avant-garde aurait pris fin en 1940 a eu le défaut de “l’amputer d’une moitié de son histoire”, puisqu’“il se poursuit, au moins, jusqu’en octobre 1969, date de sa dissolution officielle”. Le parcours de l’exposition, structuré comme un labyrinthe autour du manuscrit original du Manifeste, accorde ainsi une place de choix au surréalisme d’après-guerre, tout autant qu’à ses figures internationales oubliées, mais aussi à des femmes longtemps invisibilisées : Valentine Hugo, Jacqueline Lamba, Toyen, Dorothea Tanning, Lee Miller, Dora Maar, Claude Cahun, Leonor Fini… “Aucun mouvement du XXe siècle n’a compté autant de femmes parmi ses membres actifs, loin du statut de muses auquel on a souvent voulu les réduire”, précise Marie Sarré.
En plus de corriger la vision fixe d’un mouvement d’avant-garde dominé par des hommes, cette relecture du surréalisme tend aussi à en comprendre la résonance dans notre époque, n’en déplaise à Annie Le Brun qui le pense inactuel par définition. Cette contemporanéité du surréalisme se joue surtout, selon Didier Ottinger, dans son articulation fondatrice entre les deux grandes aspirations émancipatrices de la modernité. “‘Transformer le monde’, disait Marx ; ‘Changer la vie’, disait Rimbaud : ces deux mots d’ordre pour nous n’en font qu’un”, estimait André Breton. Fondatrice du surréalisme, cette fusion des deux mots d’ordre se serait-elle réactivée dans le paysage des désirs actuels, même si l’on peut évidemment douter de la capacité de l’art à accomplir aujourd’hui ce geste fou, fou comme l’amour ?
Dès sa naissance, le surréalisme a en tout cas “voulu agir dans le champ politique”, rappelle Ottinger, en dénonçant notamment les dégâts du colonialisme, les totalitarismes, mais aussi le culte moderniste de la technique, du machinisme et du consumérisme marchand, avant ses héritiers situationnistes. “C’est par le modèle civilisationnel qu’il porte que le surréalisme s’affirme comme remarquablement contemporain”, estime le commissaire de l’exposition. C’est en quoi “la dissolution officielle du surréalisme n’a pas marqué la fin de son influence sur l’art et la société”.
C’est bien ce à quoi invite le parcours rythmé en treize chapitres, où le·la visiteur·se navigue comme un·e somnolent·e dans la nuit entre les souvenirs de figures littéraires inspiratrices (Lautréamont, Sade, qui défend une vision renouvelée de l’amour affranchi de tout interdit, Lewis Carroll, le “premier maître d’école buissonnière de tous ceux qui gardent le sens de la révolte”, d’après Breton) et les mythologies qui structurent son imaginaire poétique.
Tous les motifs surréalistes s’éclairent au fil de la divagation labyrinthique : le rêve, appliqué à la résolution des questions fondamentales de la vie ; l’alchimie, comme voie d’une coexistence de la connaissance et de l’intuition ; la forêt, théâtre du merveilleux et du parcours initiatique ; l’enfance, “qui approche le plus de la vraie vie” (Breton) ; l’érotisme, seule passion capable de provoquer les effets de la folie ; la place modeste de l’homme au sein du cosmos, loin de la domination prométhéenne issue du rationalisme moderne… Cent après le Manifeste de Breton, le surréalisme n’a pas que sa seule histoire artistique et littéraire à exposer : il nous offre aussi le miroir brisé d’un rêve fou, la certitude qu’il y a un autre monde, mais qu’il est, selon le mot connu de Troxler, “dans celui-ci”.
Le Surréalisme, l’exposition du centenaire au Centre Pompidou, Paris, du 4 septembre 2024 au 13 janvier 2025.



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Author : Jean-Marie Durand

Publish date : 2024-09-03 07:00:00

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