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Laura Cappelle : “La danse est trop protéiforme pour qu’on la résume à une seule esthétique”

Laura Cappelle : “La danse est trop protéiforme pour qu’on la résume à une seule esthétique”



La BD s’est emparée de figures de la danse. Mais une histoire dessinée est une première. Comment est né ce projet ?

Laura Cappelle – C’est effectivement une première a priori. L’idée initiale a germé il y a trois ans au Salon du Livre de Saint-Dié-des-Vosges, où je présentais Nouvelle Histoire de la danse en Occident. Un éditeur m’a suggéré de réfléchir à une version illustrée, sur le modèle de l’Histoire du théâtre dessinée d’André Degaine (aux éditions Klincksieck, ndlr), une référence pédagogique, qui avait eu beaucoup de succès. Notre projet est au final assez différent – une BD plutôt que du texte illustré – mais ça m’a tout de suite semblé être une belle idée. La danse se prête à la représentation visuelle et le dessin permet de remettre en mouvement des époques dont on ne garde que des traces historiques assez statiques. J’ai proposé le projet au Seuil et me suis ensuite formée à l’écriture de scénario de BD pour pouvoir développer le récit moi-même.

Il y a un “fil” conducteur, les personnages Andréa et Camille. 

L’histoire de la danse est une histoire qui s’inscrit dans les corps. La raconter avec une figure de narrateur omniscient qui interviendrait principalement pour partager son savoir, comme cela arrive dans d’autres BD de non-fiction, me semblait donc réducteur : j’ai créé Andréa et Camille pour avoir des personnages vivant les évolutions de la danse dans leurs corps et parler de leur ressenti. Andréa et Camille traversent l’histoire un peu à la manière ludique d’Orlando chez Virginia Woolf, en interagissant avec les acteurs et actrices qui ont réellement fait évoluer la danse.

 Les deux représentent en outre des manières différentes de vivre la danse, qu’on retrouve à beaucoup d’époques – une soif de nouveauté et d’expression totale de soi par le mouvement, plutôt dionysiaque, chez Andréa, et un désir de raffinement du geste et de la technique chez Camille.

Passer de l’Académie royale à Willi Ninja, star du voguing, ou Pina Bausch, c’est pratiquer le grand écart ou faire œuvre d’historienne ? 

Prendre en compte ces grands écarts fait partie du travail de l’historienne. La danse est trop protéiforme pour que l’on puisse résumer des époques à une seule esthétique, et les historiens et historiennes ont beaucoup travaillé récemment pour mettre en valeur la complexité de scènes chorégraphiques qui avaient été réduites à une figure ou institution majeure (par exemple, ce qui se passe sur les boulevards au XIXe siècle prépare le développement du ballet romantique, ce n’est pas le fait uniquement de l’Opéra – ou encore tout le début du XXe siècle, avec des figures comme la danseuse Mariquita et la diversité esthétique du music-hall). Pina Bausch et Willi Ninja ont existé et dansé en même temps, et il faut tenir compte de ça.

La difficulté, c’est de raconter cette histoire protéiforme de manière synthétique sans être réducteurs, de lancer les lectrices et lecteurs sur des pistes esthétiques variées, en apportant des éléments venus de la recherche actuelle.

Qu’est-ce que le dessin de Thomas Gilbert apporte à la danse?

Pour beaucoup d’époques, le dessin vient astucieusement compenser le côté statique des sources visuelles (gravures, dessins, etc.) pour leur redonner du mouvement et de la liberté. Contrairement à une reconstruction scénique, ça n’implique pas pour autant “d’inventer” des chorégraphies perdues. On en a gardé tellement peu avant le milieu du XXe siècle ! Thomas est parti des archives que je lui ai transmises pour essayer de capter le parfum et les postures d’une époque donnée. Il a un dessin très inventif, très dynamique, et s’est adapté de manière incroyable à la variété des époques traitées. J’ai eu vraiment beaucoup de chance de travailler avec lui.

Propos recueillis par Philippe Noisette

Une histoire dessinée de la danse, Laura Cappelle et Thomas Gilbert. Le Seuil, 256 pages, 27 euros

Conférence La danse en dessins, le 6 septembre, au Festival Le temps d’aimer à Biarritz



Source link : https://www.lesinrocks.com/arts-et-scenes/laura-cappelle-la-danse-est-trop-proteiforme-pour-quon-la-resume-a-une-seule-esthetique-628171-04-09-2024/

Author : Philippe Noisette

Publish date : 2024-09-04 10:14:01

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