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“The London Youth Portraits” de Derek Ridgers, des photos rock cultes à (re)découvrir

“The London Youth Portraits” de Derek Ridgers, des photos rock cultes à (re)découvrir



Il en va donc des grands livres de photos comme des grands disques : 78-87 London Youth, l’ouvrage mythique de Derek Ridgers, inabordable dans sa version originale publiée il y a un peu plus de dix ans, ressort dans une édition augmentée, magnifiquement réalisée (la qualité des tirages, du papier, en format surdimensionné sans pour autant se faire écrasant), d’ores et déjà qualifiée de définitive pour celles et ceux qui, depuis une décennie, vouaient à ce livre un culte fervent.
Un destin finalement semblable à ces albums de new wave qui reviennent nous hanter en version 180 grammes, remasterisés, doublés de démos et de titres rares. Quoi de plus normal au final : les images de Derek Ridgers sont déjà des disques. Elles brûlent de la même électricité, elles portent la même arrogance, elles vous toisent du regard, fières de se présenter à nous avec la morgue des gens qui ont 20 ans et ont décidé de vous éjecter manu militari de ce monde dont vous n’avez pas su être indigne.
À ceci près que si Ridgers a gagné sa vie en faisant des portraits de rock stars commandés par le gratin de la presse anglaise (de NME à The Face), immortalisant quelques figures tutélaires du Londres des années 1980 (Morrissey, Adam Ant, Steve Strange, Boy George étaient les intimes de ce pur Londonien né en 1950, qui a fréquenté une art school en même temps que Freddie Mercury et sorti deux livres autour de ses sessions avec Nick Cave étalées sur plus de trente ans), il a aussi photographié des anonymes. Il faudrait même écrire : il a surtout photographié des anonymes. Cela doit tenir à son caractère, mais comme portraitiste, Derek Ridgers a toujours eu plus d’appétence face à un garçon ou une fille sorti·e de nulle part et déboulant dans Londres avec un look inédit, interdit peut-être.
On connaît tous·tes ici la vieille phrase de Brian Eno qui veut que le Velvet Underground n’ait vendu que 200 exemplaires (comme dans toutes les bonnes légendes, les chiffres varient selon qui vous raconte l’histoire) de son premier album, celui dit “à la banane”, mais que chacun·e de ces 200 acquéreur·ses ait formé un groupe. C’est pareil ici : Ridgers passait ses soirées au Club 100 comme à l’Hammersmith Odeon, en traquant qui dans la salle, devant tel concert du Clash, des Slits, des Damned, de Bauhaus, d’Alien Sex Fiend, du Southern Death Cult, du Gun Club, de The Birthday Party ou des Cramps, allait se saper au point de voler la vedette au groupe. Avant d’aussitôt en monter un et devenir une star de quinze minutes ou d’un mois.
L’Angleterre a inventé cette loi politique qui veut que la mode soit chaque saison renversée par la rue, quatre révolutions par an minimum : cette nation pas comme les autres où l’inventivité est de mise, l’excentricité une nature, qui impose comme mesure d’hygiène esthétique que dix gosses fauchés comme les blés soient tenus de s’inventer en dehors du marché, en bricolant des looks avec ce qu’ils trouvent. Comme tout cela est dans chaque image de Ridgers, The London Youth Portraits est une bible pour qui s’intéresse autant à la mode qu’aux sous-tribus qui fondent les contre-courants musicaux.
Ici, on les voit déambuler par petites bandes, par monades. Un portrait d’une seule personne arrive à charrier avec elle un son, une allure, une sexualité, une éthique. La beauté des images réunies dans ce livre tient à la cohérence de sa forme : des portraits en noir et blanc, la plupart du temps posés, parfois dans leurs lieux (clubs, bars, soirées fetish), s’inscrivant dans la tradition de la nouvelle objectivité. Ce fut le coup de force visuel de Ridgers que de ressusciter en plein moment cold wave la force, l’évidence et la frontalité des images de son seul maître avoué : August Sander. Et soudain l’Angleterre de l’after-punk, peuplée de skinheads, de pirates, de fétichistes latex des soirées Skin Two, de se réorganiser en une cohorte d’enfants perdu·es appelant, face à la brutalité des années Thatcher, à l’avènement d’une nouvelle décadence. No Future.
The London Youth Portraits de Derek Ridgers (ACC Art Books), 176 p., 74 €. En librairie.



Source link : https://www.lesinrocks.com/arts-et-scenes/the-london-youth-portraits-de-derek-ridgers-des-photos-rock-cultes-a-redecouvrir-626009-04-09-2024/

Author : Philippe Azoury

Publish date : 2024-09-04 07:00:00

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Tags :Les Inrocks

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