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Mostra de Venise : « The Room next Door » de Pedro Almodovar rafle le Lion d’or

Mostra de Venise : « The Room next Door » de Pedro Almodovar rafle le Lion d’or


Après dix jours de compétition à Venise marqués par une canicule moite cuisant les peaux et parfois les cerveaux, Isabelle Huppert et son jury certifié cinéphile (on comptait les cinéastes James Gray, Kleber Mendoça Filho, Andrew Haigh, Agnieszka Holland, Abderrahmane Sissako, Giuseppe Tornatore et Julia Von Heinz, pour une seule comédienne, la chinoise Zhang Ziyi) n’ont pas perdu la tête au moment de choisir les gagnant.e.s, parmi vingt-et-un films. A commencer par le Lion d’or, décerné à Pedro Almodovar, son troisième après Tout sur ma mère (1999) et Parle avec elle (2002), récompensé pour le superbe La Chambre d’à côté. Bien que multi-récompensé au Festival de Cannes (prix de la mise en scène, prix d’interprétation…), le grand cinéaste espagnol n’a jamais eu la Palme d’or. La Mostra a donc coiffé son rival français au poteau.

Almodovar, Lion d’or superbe et funèbre

Dans le premier long-métrage en anglais du madrilène, aux allures de cérémonie funèbre, Tilda Swinton et Julianne Moore jouent deux amies de la haute bourgeoisie culturelle newyorkaise qui se sont perdues de vue et dont l’une sait qu’elle va mourir d’un cancer. Elles se retrouvent et organisent finalement la disparition de l’une en parallèle à la réapparition de l’autre dans sa vie. Marqué par des figures tutélaires d’un cinéma qui ne se fait plus (Gens de Dublin de John Huston, Cris et chuchotement de Bergman, le Resnais tardif), La Chambre d’à côté reste purement almodovarien par sa veine mélo et ses aplats de couleur omniprésents, au service de l’intériorité de ses personnages. Le film bouleverse par sa simplicité, la glaciation de ses effets, comme si le cinéma posait un voile mortuaire sur la réalité. En conférence de presse, le cinéaste de 75 ans n’a pas détendu l’ambiance, expliquant que cette histoire l’avait intéressé parce qu’elle montre « une femme qui va mourir dans monde qui va lui-aussi mourir ». Alors que la lagune vénitienne est menacée de disparaitre, c’était fort à propos.

Nicole Kidman à corps perdu

La tragédie a frappé dans la réalité, samedi soir, quand Nicole Kidman, arrivée à Venise pour recevoir le prix de la meilleure actrice, en est repartie peu après sa descente d’avion, ayant appris le décès de sa mère Janelle Ann Kidman, à l’âge de 84 ans. Sur scène, la réalisatrice du sulfureux Babygirl, Halina Reijl, a lu un message de la star australienne évoquant son « cœur brisé ». Cette récompense, sa première à la Mostra, ne souffre d’aucune contestation. Dans le rôle de Romy, une puissante femme d’affaires qui entame une relation SM avec l’un de ses stagiaires, celle qui n’a reçu l’Oscar qu’une seule fois pour un film moyen (The Hours, 2003), montre à la fois sa capacité à incarner un moment très actuel du cinéma et de la société – la représentation du sexe et des rapports de pouvoir dans un contexte post MeToo – et son désir d’audace sans limites. Il est beaucoup question ici du corps de l’actrice et de ce qu’elle fait pour en sublimer l’image, botox compris. Quand son personnage choisit d’être dominé, tout se dérègle et tout fait sens à la fois.

Le trouble de la comédienne, très palpable, fait la force de Babygirl et sort le film de l’autoroute thématique et formelle qu’il emprunte parfois. Face au vénéneux Harris Dickinson, Kidman reprend une partition entamée il y a un quart de siècle dans Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick, mais cette fois, la mise à nu a lieu à travers son regard, au fil de son désir d’épouse qui ne jouit pas dans les bras de son mari. Isabelle Huppert a peut-être reconnu dans la prestation de Nicole Kidman un puissant geste de remise à jour comme celui qui avait pu être le sien en 2001, quand elle avait impressionné dans La Pianiste. On le savait déjà, mais on le ressent encore plus maintenant : à 57 ans, rien n’est interdit au cinéma pour Nicole Kidman. Et cela devrait durer longtemps.

Entre classicisme et nouvelles voix

Dans le reste du palmarès, une conception assez classique de la mise en scène comme coup de force permanent a valu à l’acteur-cinéaste Brady Corbet (36 ans seulement, mais une carrière déjà longue) le prix de la meilleure réalisation. The Brutalist, 3h25 au compteur entracte compris, s’affiche comme le biopic d’une figure qui n’a pas existée, un architecte juif hongrois nommé Laszlo Toth (Adrien Brody), rescapé de la Shoah, qui se prend de plein fouet la violence sous-jacente au rêve américain. Le film se déroule entre 1947 et les années 1980, déroulant sa partition sombre et opératique, ambitieuse mais souvent trop soulignée, dans les pas du Paul Thomas Anderson de The Master, auquel on pense parfois. Dans sa seconde partie, The Brutalist commence à dérailler et dépasse son programme prévisible, pour sonder plus frontalement la souffrance d’un génie face à l’histoire et aux discriminations. Cette perte de contrôle totale du personnage amène le film vers des contrées plus intéressantes, plus incarnées aussi, même si le dolorisme imposé à Adrien Brody n’a rien de très nouveau.

Le jury présidé par Isabelle Huppert a offert des prix à deux réalisatrices de moins de cinquante ans, comme pour souligner sa connexion avec un état contemporain du cinéma que la Mostra n’a jamais négligé ces dernières années – on se souvient du Lion d’or pour Toute la beauté et le sang versé de Laura Poitras en 2022 et celui décerné à L’Événement d’Audrey Diwan en 2021. C’est pour un film sur la même thématique de l’avortement explorée par la cinéaste d’Emmanuelle, que la géorgienne Dea Kulumbegashvili (36 ans) repart avec le Prix Spécial du Jury. April (que nous n’avons pas pu voir) s’annonce comme un film immersif, qui suit une sage-femme pratiquant des accouchements et des IVG clandestins à la campagne. Il sortira en France au printemps 2025. L’italienne Maura Delpero, quant à elle, avait titillé notre curiosité avec son premier long-métrage Maternal, tourné à Buenos Aires et lui aussi consacré au corps des femmes, des ados devenues mères. Son deuxième film, Vermiglio ou la Mariée des montagnes, chronique l’existence de trois jeunes sœurs vivant en montagne à la fin de la deuxième guerre mondiale, avec comme horizon leurs apprentissages et leurss déceptions. La rumeur est très favorable. A voir au mois de mars prochain.

Lindon, Kircher : deux acteurs français au top

Le cinéma français n’est pas resté absent du palmarès de cette 81e Mostra, Vincent Lindon raflant au nez et à la barbe d’Adrien Brody et Daniel Craig (pourtant merveilleux dans Queer de Luca Guadgnino, adapté de Burroughs) la coupe Volpi du meilleur acteur, avec un rôle de prolétaire qui lui va comme un gant, un cheminot lorrain touché par le veuvage dans Jouer avec le feu de Delphine et Muriel Coulin. Seul face à ses fils, celui-ci se confronte à la radicalisation vers l’extrême-droite de l’un d’eux. La question sociale et politique se trouve aussi au cœur de Leurs enfants après eux, le long film un peu décevant de Ludovic et Zoran Boukherma adapté du prix Goncourt 2018 de Nicolas Mathieu, dont Isabelle Huppert et ses troupes ont tiré le meilleur en offrant le prix de la révélation à Paul Kircher. Déjà admiré dans Le Règne animal de Thomas Cailley et Le Lycéen de Christophe Honoré, l’acteur de 22 ans se glisse avec une fluidité folle dans la peau d’un ado des années 1990, dans l’est de la France, amenant une forme de nonchalance et de profondeur à un film un peu engoncé dans sa volonté de bien faire, entre drame familial au long cours et polar post-Scorsese. Doux et brutal, Paul Kircher imprime sa patte, sa démarche, que l’on a envie de revoir très souvent en haut de l’affiche.

Olivier Joyard

Le palmarès de la compétition

Lion d’or

La chambre d’à côté de Pedro Almodovar

Grand Prix

Vermiglio de Maura Delpero

Meilleur réalisation

Brady Corbet pour The Brutalist

Prix spécial du Jury

April de Dea Kulumbegashvili

Meilleur scénario

Murilo Hauser et Heitor Lorega pour I’m Still Here de Walter Salles

Coupe Volpi de la meilleure actrice

Nicole Kidman dans Babygirl

Coupe Volpi du meilleur acteur

Vincent Lindon dans Jouer avec le feu de Delphine et Muriel Coulin

Prix de l’acteur.ice révélation

Paul Kircher dans Leurs enfants après eux de Zoran et Ludovic Boukherma



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Author : Jean-Marc Lalanne

Publish date : 2024-09-08 11:59:29

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Tags :Les Inrocks

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