“J’aime pouvoir toucher les choses.” Tel est le statement de Jeremy (Arthur Conti), un jeune homme séducteur qui, dans Beetlejuice Beetlejuice, justifie ainsi sa passion anachronique pour les vinyles à revers de la numérisation de la musique. Nul doute que c’est un peu Tim Burton qui, tel un ventriloque, s’exprime à travers lui. La sensation de “pouvoir toucher les choses”, c’est l’origine même du cinéma de Tim Burton, son goût pour les séries Z, un cinéma fauché où le carton des décors paraît tangible, où le bricolage généralisé inscrit à l’image la main de celui ou celle qui fabrique.
La dématérialisation des choses, la grande digitalisation des images, où l’effet de texture s’évapore à coups de CGI, c’est le mouvement général du cinéma spectaculaire qu’a accompagné Tim Burton, jusqu’à atteindre des points d’orgie numérique où plus rien ne semble faire matière, rien ne semble encore pouvoir être touché (exemplairement, Alice au pays des merveilles, indigeste coulis d’imagerie de synthèse multicolore).
Réenchanter le monde
Tout l’enjeu de ce Beetlejuice Beetlejuice est de retrouver, au sein d’une production opulente ayant à sa disposition l’arsenal infographique le plus high-tech, l’effet d’artisanat : le maquillage qui coule et les décors branlants du premier Beetlejuice. Le personnage de Beetlejuice, ce clown qui s’est donné pour tâche de faire peur dans un monde incrédule qui ne croit plus aux fantômes, est dès son origine un autoportrait fantasmé de Burton.
Faire revenir la croyance sur un mode carnavalesque, c’est évidemment sa tâche à lui – qui, du milieu des années 1980 à la fin des années 1990, a donné lieu à un crépitement de films d’une poésie, d’une inventivité et d’une fantaisie un peu magiques. Puis, l’inspiration est devenue plus intermittente. Et les films les plus passionnants de Burton sont, à partir des années 2000, ceux où la question de la croyance et l’émergence d’un doute sur la possibilité de réenchanter le monde par l’imaginaire sont au cœur du récit (exemplairement, Big Fish, son chef-d’œuvre méta).
Un mantra
Non pas Beetlejuice 2. Mais deux fois Beetlejuice. “Beetlejuice, Beetlejuice…” Si on prononce son nom trois fois, il surgit comme un diable des enfers dans notre monde. Beetlejuice Beetlejuice : le titre est une invocation. Ce ne sont pas seulement les personnages qui profèrent ce nom pour que celui qu’il désigne se matérialise. Mais c’est aussi Tim Burton qui le répète comme un mantra. Comme si, à travers l’invocation de ce personnage totem de ses débuts, c’était l’esprit de sa jeunesse qu’il convoquait. Tout le petit bestiaire spectral de l’original est là, reproduit à l’identique, avec beaucoup d’application vintage. Mais l’esprit est-il là ? Un peu. Et un peu ailleurs aussi.
Un nouveau personnage jaillit dans le petit monde grouillant de Beetlejuice. Celui interprété avec fougue par Monica Bellucci. C’est une “soul sucker”. D’un souffle, elle aspire les âmes – et ses victimes s’effondrent comme de vieilles loques. Perdre son âme, c’est le thème qui chemine dans toute la seconde moitié de l’œuvre de Burton. Un·e artiste peut-il perdre son âme (ou son inspiration) ? L’esprit d’une œuvre peut-il revenir quand on l’invoque ? Le film donne une réponse incertaine, mais il expose la question de façon particulièrement agitée.
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Author : Jean-Marc Lalanne
Publish date : 2024-09-11 08:41:39
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