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Julian Charrière : “J’ai toujours eu une fascination pour les paysages qui nous dépassent”

Julian Charrière : “J’ai toujours eu une fascination pour les paysages qui nous dépassent”



Pénétrer dans un paysage volcanique composé de sculptures minérales dont on entend les “conversations primordiales” de la terre grâce à une installation “ambisonique”, qui capte les sons de la roche et des plaques tectoniques : c’est à ce genre d’expérience, oscillant entre épreuve scientifique et éblouissement contemplatif, que Julian Charrière, artiste suisse âgé de 37 ans, invite ses visiteur·ses au Palais de Tokyo, qui l’accueillera en octobre pour une exposition, Stone Speakers – Les bruits de la terre.
“J’ai toujours eu une fascination pour les paysages lithiques, cachés sous la surface, inaccessibles, qui d’une certaine façon nous dépassent, mais sur lesquels tout repose, nous confie-t-il. Ces paysages souterrains ont permis notre évolution en tant qu’espèce. Du caillou ancestral au monocristal de silice, l’histoire de l’épopée humaine est une histoire de notre lien au monde lithique. Tout en essayant de questionner ces relations et dépendances, j’ai développé une fascination pour les volcans.” Et de préciser : “Pour moi, le volcan est un porte-parole, une sorte d’ambassadeur géologique, pour un sous-sol dont nous dépendons. Il crie, il respire, il s’agite. Il effraie, il menace, il donne naissance. Il peut projeter une ombre menaçante, mais il est aussi porteur de vie, fertilisant la terre environnante avec ses cendres.”
“Il est capital de réinvestir les espaces naturels”
Déjà, au printemps dernier, on avait pu découvrir à la galerie Perrotin ses Panchronic Gardens, fascinant espace de déambulation au cœur d’un jardin opaque tapissé de miroirs, où des lumières infrarouges et des sons bizarres surgis des arbres troublaient le·la marcheur·se plongé·e dans un laboratoire végétal et cosmique. Depuis le début de l’été, son film Controlled Burn, exposé à la Fondation Carmignac sur l’île de Porquerolles, questionne, à partir d’images explosives de mines de charbon à ciel ouvert et de plateformes pétrolières désaffectées, la façon dont le pouvoir exploite les énergies fossiles et le modèle extractiviste.
Pousser le·la spectateur·rice à questionner son rapport à l’environnement et lui ouvrir un territoire d’expériences inédit, entre la glace et le feu : c’est aux confins de la science, de l’anthropologie et de l’art que le travail plastique de Julian Charrière creuse un sillon depuis plusieurs années, le mettant en première ligne d’un champ actif du paysage de l’art contemporain consacré à la réflexion sur le changement climatique, nos manières d’habiter la terre et de prendre soin de ce que le philosophe Bruno Latour appelait la “zone critique”, cette fine couche où l’eau, le sol, les plantes, les roches et la vie animale interagissent pour créer les conditions nécessaires à la vie.
Quand sciences et arts se rencontrent
“Je m’intéresse à la façon dont nous habitons le monde et comment le monde, en retour, nous habite. Qu’est-ce que cela signifie, cette cohabitation ? Je pense qu’aujourd’hui, il est capital pour les artistes de retourner dans le paysage, de réinvestir les espaces naturels.” C’est ainsi que ces trois dernières années, il a passé du temps au pied des volcans en Indonésie, en Islande et en Sicile, “mais aussi en leur cœur, dans l’enceinte de leur cratère”, à la manière d’un Haroun Tazieff de l’art. Afin d’y enregistrer leurs sons intérieurs et de témoigner des vibrations secrètes du monde terrestre, comme il enregistrerait la voix d’une diva pour saisir la corde sensible d’un corps humain. “Sur place, ce qui m’a frappé, c’est l’intensité des sons que ces entités géologiques expriment.” Son installation vise à “nous reconnecter avec notre planète en nous apprenant à écouter différemment, malgré le brouhaha de la modernité qui rend cette tâche de plus en plus difficile”.
Tout son travail de recherche, déployé dans des vidéos, des sculptures et des installations, procède de ses longues expéditions. “En incorporant des questionnements scientifiques dans mon travail, je cherche à créer des ponts entre des domaines de connaissance apparemment distincts. La science et l’art remettent constamment en question le monde dans lequel on vit, et cherchent inlassablement des réponses, agissant ainsi comme moteurs du changement et réinventant constamment la réalité. Chaque artiste est de ce fait un chercheur : la volonté de remettre en question les choses est un besoin fondamental de l’existence artistique.”
Liée au langage scientifique, sa voie artistique donne surtout une forme aux rêves voire aux cauchemars de la destruction du vivant, dont il est l’un des plus imaginatifs témoins dans un monde de l’art qui réinvestit aujourd’hui la zone terrestre.
Controlled Burn, à la Fondation Carmignac, fort Sainte-Agathe, île de Porquerolles, jusqu’au 2 novembre.
Stone Speakers – Les Bruits de la terre, au Palais de Tokyo, Paris, du 17 octobre 2024 au 5 janvier 2025.



Source link : https://www.lesinrocks.com/art/julian-charriere-jai-toujours-eu-une-fascination-pour-les-paysages-qui-nous-depassent-626056-12-09-2024/

Author : Jean-Marie Durand

Publish date : 2024-09-12 17:00:00

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Tags :Les Inrocks

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