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Rencontre avec Nada Surf, le groupe de rock qui n’a jamais sorti un mauvais disque

Rencontre avec Nada Surf, le groupe de rock qui n’a jamais sorti un mauvais disque



On retrouve Matthew Caws dans le lobby d’un hôtel parisien un jour de pluie. Le singer et songwriter, établi à Cambridge depuis des années, est là pour la promo du dixième album de Nada Surf, Moon Mirror, attendu le 13 septembre. Il en profitera pour livrer un petit set acoustique le soir-même, dans la salle du Supersonic.

Détenteur d’un PhD en protopunk et power pop, l’Américain, un type modeste et charmant avec qui on a envie de monter un groupe dans un garage, n’a pas sorti un seul mauvais album de sa carrière aux côtés de ses amis d’enfance, Daniel Lorca (basse) et Ira Elliot (batterie). “Oui, je suis d’accord… Non, non, désolé, je rigole bien sûr. C’est sympa quand on nous dit ça”, nous répond-il dans un français impec (il était au lycée français de New York). Et Moon Mirror ne déroge pas à la règle.

Pendant une heure, le pape de l’indie made in USA, un café dans la pogne qu’il n’a pas osé refuser par politesse, a répondu à nos questions – passant du français à l’anglais sans transition – sur les trente ans de carrière de Nada Surf, livrant quelques réflexions sur la vie, la création, la passion et le sens de faire encore partie d’un groupe culte en 2024. Rencontre.

Depuis le début des années 2010, Nada Surf semble avoir trouvé un bon rythme de croisière, soit un album tous les quatre ans. C’est une cadence qui vous convient à tous ?

Matthew Caws – Il faut reconnaître que quatre ans, c’est beaucoup de temps entre chaque disque. Mais Daniel [Lorca] habite à Ibiza, le batteur [Ira Elliot] habite en Floride, le claviériste [Louie Lino] au Texas, et moi, à Cambridge, en Angleterre. Et même si ma mère vit encore à New York, je ne voyage plus autant qu’avant. On est donc tous un peu partout. D’un point de vue pratique et financier, c’est un peu fou. D’un autre côté, si nous étions tous restés au même endroit, peut-être que le groupe n’aurait pas tenu le coup. Chacun a pu faire sa vie, suivre ses envies et ses amours.

En parlant de la longévité du groupe, au cours d’une interview cette année, on se demandait avec Real Estate la chose suivante : est-il plus important d’être le meilleur groupe du monde, ou les meilleurs à être un groupe ? C’est quoi, un groupe, pour toi ?

J’aurais du mal à définir ce qu’est le groupe. Mais je sais ce que c’est que de travailler. C’est ce que je fais pour me détendre, m’éclater ou méditer. Jouer avec ma main droite, c’est presque un mantra. Cela me calme. La musique, c’est ce que j’ai trouvé. Pour d’autres, c’est la cuisine. Pour répondre à ta question en partie, je crois qu’un groupe tient aussi beaucoup au soutien de son public. Pour le reste, tout au long de ma vie d’adulte, je n’ai connu que le groupe. C’est trop vaste comme question, je suis trop impliqué.

Cette relation avec le public, tout au long de ces presque 30 années, comment la qualifierais-tu ?

C’était un rêve d’avoir un public fidèle. Néanmoins, je suis très mauvais acteur ; si je n’aimais pas ce que je fais, ou que je me forçais à faire quelque chose que je n’aime pas pour être plus populaire, je ne ferais pas du bon boulot. Je ne changerais rien à notre parcours. C’est peut-être un peu fort comme mot, mais je suis nu quand je fais mon job. Je m’efforce de rester moi-même. C’est peut-être un indice pour ta question précédente. Le groupe, c’est l’endroit où je reste honnête avec moi-même.

Cela a-t-il été dur de rester intègre en tant que musicien toutes ces années ?

Ce n’est pas toujours facile de rester honnête et lucide. Mais il me semble que le métier de songwriter consiste justement à s’asseoir avec sa guitare et se demander ce l’on ressent vraiment, et non pas ce qui est cool de ressentir. Ne pas se voiler la face. C’est quand même super de pouvoir se dire que d’un état anxieux, tu peux faire une pop song agréable et réconfortante.

“Quand tu t’autorises à rêver, tu es plus attentif à ce petit truc qui brille là-bas, qu’on appelle la mélodie”

On raconte que tu es un peu dans la lune. C’est un avantage quand on est songwriter ?

Oui, en anglais, on dit “spacey”. En même temps, si je ne l’étais pas, je ne ressentirais peut-être pas le besoin d’écrire. On parle beaucoup de cela, les troubles de l’attention. Il y a quelques années, tu lisais plein de choses sur la qualité du sommeil. Aujourd’hui, c’est les troubles de l’attention. Mes parents et ma sœur en souffrent, et j’ai cela aussi. Mais j’ai lu des trucs cool à ce sujet : dans la vie, tu es sois fermier, soit chasseur. Si tu es fermier, tu dois être rigoureux, reproduire les mêmes gestes, t’organiser, sinon tu ne manges pas. Et ton travail est important pour la communauté. Si tu es chasseur, il faut parfois se laisser distraire. Tu peux chasser pendant trois jours, puis te reposer les trois suivants. Quand tu t’autorises à rêver, tu es plus attentif à ce petit truc qui brille là-bas, qu’on appelle la mélodie.

En parlant de chasser, Nada Surf est un groupe constant, qui, contrairement à des formations comme Yo La Tengo ou Sonic Youth, n’a jamais cherché à pousser trop loin l’expérimentation musicale. C’est quelque chose que tu regrettes ?

J’expérimente un peu chez moi, mais le deal tacite que j’ai avec le groupe, c’est de ramener une douzaine de chansons qui tiennent la route. Si j’arrivais avec 24 titres, je pourrais proposer des choses plus expérimentales. Tu sais, on est un groupe assez classique : un batteur, un bassiste, une guitare. Je sais bien que Yo La Tengo a le même type de formation, mais pour en revenir à ce mantra dont je parlais plus tôt, on fait cela très naturellement. C’est ce qui nous procure du plaisir et qui nous rassemble.

Après la sortie du premier album, High/Low (1996), votre label vous a lâché parce qu’il jugeait que le disque suivant, The Proximity Effect (1998), n’était pas assez commercial. Vous l’avez finalement sorti en toute indépendance. Avez-vous déjà eu le sentiment qu’il fallait faire des concessions ?

Non, pas vraiment. Les seules concessions que l’on peut faire, c’est quand, par exemple, à l’époque de l’album The Weight Is a Gift (2005), le label décide de mettre une chanson en premier plutôt qu’une autre. C’est un label que j’adore, mais sur ce coup, je pense qu’ils ont eu tort. Je voulais Do It Again au lieu de Concrete Bed. On aurait pu insister et obtenir gain de cause, car finalement, c’était à nous de donner notre accord. Mais à la fin de l’enregistrement d’un album, je suis à court d’objectivité. Je n’arrive plus à répondre à la question : qu’est-ce qui me semble le plus naturel ? Alors, bon, je parle de concession, mais cela n’en est pas vraiment une. J’ai juste dit oui parce que j’étais fatigué.

C’était quoi le problème avec Concrete Bed ?

J’ai l’impression que le refrain, tu pourrais le retrouver sur une carte de St. Valentin ou en slogan sur un mug : “To find someone you love, you gotta be someone you love.” Je ne renie pas cette phrase, je suis raccord avec elle, mais je préfère quand ce genre de message arrive plus tard dans le disque, après l’expression de sentiments plus mélancoliques. Elle aurait été parfaite en troisième, quatrième ou même septième position. 

Les chansons de Nada Surf, même aujourd’hui, ont gardé quelque chose de juvénile, comme si vous aviez encore en tête vos aspirations d’adolescent, cette excitation de faire partie d’un groupe et de donner dans la power pop. C’est important pour toi que le message porté par Nada Surf soit positif ?

Je suis content que nos disques transmettent ce genre de sentiment. Quand j’étais petit, ma mère, toujours très positive, avec des étoiles dans les yeux, me demandait toujours : “Qu’est-ce que tu veux faire ? De quoi rêves-tu ?” Cela me vient peut-être de là. Je crois qu’on peut garder nos espoirs de jeunesse dans nos réalités d’adulte. Je me suis toujours posé cette question : “Si tu avais droit à 15 minutes par jour à consacrer à ton rêve, que ferais-tu ?” Je suis toujours dans ce genre de projection. Je ne dis pas que je ne suis pas heureux dans le moment présent, je suis très heureux, mais je crois que le meilleur est toujours à venir. On est tous les âges qu’on a déjà été. J’ai 14 ans, 35 ans, et même 3 ans s’il le faut. Tout est permis.

Je reviens souvent à certains albums de Nada Surf, comme un refuge familier. Est-ce qu’il y a des disques d’autres artistes auxquels tu reviens aussi beaucoup ?

Oui, mais ça évolue constamment. En ce moment, j’écoute beaucoup d’ambient, Brian Eno. Je peux te raconter une histoire ?

Bien sûr.

Tous les après-midis, après l’école, pendant près de dix ans, j’allais chez mon meilleur copain, qui, lui, avait un frère qui vivait en pension. Sa chambre était recouverte d’affiches de posters de prog-rock et d’art moderne, et moi j’étais fasciné. Je le trouvais tellement cool. Un jour, ce frère débarque de son pensionnat et nous dit, à moi et mon ami Philip : “Hey, tous les deux, vous voulez venir écouter des disques dans ma chambre ?” Évidemment qu’on veut ! On avait 13 ans. On se pose tous les trois sur le lit, et là, il enchaîne sans dire un mot Rocket to Russia des Ramones, Loaded du Velvet Underground et Remain in Light des Talking Heads. Quel trio d’albums ! Il y avait tout, l’humour, la puissance, l’art, la country. Cela a changé ma vie. Comme une ampoule qui s’allume dans ma tête. Et j’y reviens encore aujourd’hui.

“Mes parents écoutaient beaucoup de musique baroque, et j’ai vu le rock dans la musique de Bach. J’entendais presque la batterie”

Il y a d’autres groupes auxquels tu reviens ?

Je reviens beaucoup à The Lyres, une formation de Boston des années 1980 qui donne dans le revival garage, ou encore à Big Dipper, de Boston également. Il y a aussi The Byrds, évidemment : j’aime la période qu’on aime tous, Sweetheart of the Rodeo (1968), mais surtout les premiers singles. Je pense que Turn! Turn! Turn! (1965) est mon préféré. Mes parents écoutaient beaucoup de musique baroque, et j’ai vu le rock dans la musique de Bach. J’entendais presque la batterie.

Tu te souviens de la première fois que tu as tenu une guitare ?

Ma tante jouait de la guitare folk. Un jour, elle m’a appris un accord que j’ai répété pendant une heure. J’avais 11 ans. J’aimais déjà la musique ambient, la trans, le blues avec un seul accord, comme John Lee Hooker.

Quand tu as rencontré au lycée Daniel Lorca, le bassiste du groupe, les conversations ont naturellement tourné autour de la musique ?

On n’était pas les amis les plus proches au début, mais on s’aimait bien. On était dans la même classe. Un jour, en seconde, un nouvel élève avec les cheveux gominés et une bague en forme de micro de Telecaster a débarqué. C’était un gros fan des Clash. Lui voulait monter un groupe. Et comme tous savaient que je jouais de la guitare, ils m’ont invité chez Daniel Lorca pour une audition. Ils ont mis Brand New Cadillac sur le tourne-disque et m’ont dit : “Joue ça.” Je n’ai pas réussi, évidemment, et ils ne m’ont pas pris dans le groupe. Quand je suis rentré chez moi, je me suis forcé à apprendre à jouer à l’oreille. Je suis retourné chez Daniel, et ils ont fini par me prendre. On est immédiatement devenus amis après cela.

Tu as 17 ans quand tu te retrouves à bosser dans un disquaire. Une façon de faire de ta passion pour la musique un job ?

C’était le New York punk. Le disquaire s’appelait Record Runner, niché dans une sorte de cave recouverte des murs au plafond de posters de Patti Smith, Television, The Flying Burrito Brothers, The Modern Lovers ou The Lovin’ Spoonful. On ne tenait pas à plus de six là-dedans. Le propriétaire jouait dans un groupe, Winter Hours, qui sonnait un peu comme R.E.M. Après la sortie du deuxième album de Nada Surf, j’ai bossé chez un autre disquaire de Brooklyn, où j’ai rencontré ma femme. On s’est ensuite perdus de vue pendant 12 ans, avant de nous retrouver. J’ai adoré cette époque, l’esprit de communauté. J’aime ce genre d’histoire, comme celle de la rencontre entre Peter Buck et Michael Stipe, à Wuxtry [un disquaire d’Athens, Géorgie], avant qu’ils ne forment R.E.M. ensemble.

Quand vous sortez votre premier album en 1996, tu t’attendais au succès phénoménal d’un morceau comme Popular ? Tu n’as jamais craint que ce morceau soit pour Nada Surf l’équivalent de Creep pour Radiohead, une sorte de malédiction ?

On n’imaginait pas que ce morceau aurait du succès, c’est juste arrivé comme cela. Pendant les cinq premières années, pas un papier sur nous ne mentionnait pas cette chanson. Pendant quelque temps, on avait arrêté de la jouer, pas par ressentiment, mais parce que c’était chiant de n’être réduit qu’à un seul morceau. Au bout du compte, cela nous aura bien servi. Ces dernières années, on a joué le morceau en premier, ce que je trouve fun. Pour être franc, quand le label à l’époque nous a dit qu’il fallait que ce soit le premier single, on s’est regardé en disant : “Vous êtes vraiment sûr de cela ?” Je n’imaginais pas que cette chanson puisse devenir un hit.

On parle d’un temps après le grunge et après Nirvana. C’était un peu quitte ou double pour un jeune groupe de rock alternatif, n’est-ce pas ?

Oui, on sentait bien que la fenêtre de tir était très réduite. Ce mouvement avait été si énorme. Mais là où on a vraiment ressenti cela, c’était au moment de sortir le deuxième album. Finalement, on a fait ce qu’on a voulu de ce disque, mais tu voyais bien que les labels voulaient qu’on réédite un coup de la sorte en incorporant des choses bizarres dans notre musique.

On parlait de chambres d’ado pleine de posters. Tu as senti que Nada Surf faisait partie d’une scène ou d’une communauté de musiciens dans les années 1990-2000 ?

En quelque sorte. Quand j’étais plus jeune, je pensais aux différentes scènes musicales de façon très romantique. Ma mère a écrit un livre à ce sujet [Creative Gatherings: Meeting Places of Modernism, de Mary Ann Caws, publié en 2019]. C’est une spécialiste du surréalisme. Elle est obsédée par les liens que les artistes tissent entre eux. Quel artiste a couché avec tel artiste, quel écrivain connaît tel peintre… C’est son grand truc dans la vie, l’étude de ces interactions. Donc pour répondre à ta question, oui, en quelque sorte. Néanmoins, il faut savoir que venant de New York, tu dois travailler plus que les autres. Pas pour ton art, mais pour payer ton loyer. Ce n’est pas comme si on venait de Athens ou de Seattle. C’est une vie moins relax. On traînait avec d’autres groupes, bien sûr, mais pas des tonnes non plus. Au milieu de cette scène, beaucoup d’amis font de la musique, mais n’ont jamais sorti un disque qui aurait pu tomber dans tes oreilles.

“Il y avait déjà des groupes qui s’appelaient Nada, alors j’ai proposé Nada Surf qui, pour moi, évoquait davantage une rêverie dans l’espace que l’océan”

Nada Surf est sans doute dans le top 3 des meilleurs noms de groupe de rock de tous les temps. Comment vous est-il apparu ?

Au début, on faisait partie d’un groupe très ambitieux, baptisé Because, Because, Because. Et puis, on a arrêté et on s’est dit qu’on ne ferait de la musique que pour le fun. Daniel a d’abord proposé de ne même pas baptiser le groupe. Et puis, il a proposé Nothing, puis Nada. Sauf qu’il y avait déjà des groupes qui s’appelaient Nada. Alors j’ai proposé Nada Surf qui, pour moi, évoquait davantage une rêverie dans l’espace que l’océan. J’adore la Californie, mais j’ai un peu regretté que, venant de New York, ce nom sonne si californien.

J’ai toujours trouvé que c’était un nom très new-yorkais, justement. Comme un pied de nez.

Je n’avais jamais vu cela sous cet angle en presque 30 ans d’existence du groupe.

Moon Mirror (New West Records). Sortie le 13 septembre.

Nada Surf sera en concert le 29 novembre au Bataclan (Paris), le 30 novembre à L’Aéronef (Lille) et le 8 décembre à La Coopérative de mai (Clermont-Ferrand).



Source link : https://www.lesinrocks.com/musique/rencontre-avec-nada-surf-le-groupe-de-rock-qui-na-jamais-sorti-un-mauvais-disque-628836-12-09-2024/

Author : François Moreau

Publish date : 2024-09-12 13:05:26

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Tags :Les Inrocks

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