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Nos 10 essais féministes favoris de cette rentrée

Nos 10 essais féministes favoris de cette rentrée



À celles et ceux qui prédisaient un essoufflement des thématiques féministes au sein des maisons d’édition, la rentrée littéraire 2024 vient apporter la preuve que ces sujets ont encore de beaux jours devant eux et qu’une multitude d’approches et d’histoires sont encore à explorer, notamment au rayon des essais. De l’ouvrage pile dans l’actualité de Félix Lemaître, qui a enquêté sur la soumission chimique, aux nombreuses explorations du passé qui permettent de mieux appréhender le présent, qu’il s’agisse de relire les contes ou de fouiller les archives des décennies post-esclavage aux États-Unis, de réhabiliter les femmes philosophes des siècles passés ou les écrivaines qui avaient dissimulé leur genre sous un pseudo masculin, cette sélection montre que présent et passé sont en perpétuelle conversation.

On parlera aussi culpabilité avec le nouvel essai de Mona Chollet, parentalité à travers la réactualisation de l’ouvrage culte Nos enfants, nous-mêmes, et l’on s’interrogera sur le déni d’existence des lesbiennes et des violences qu’elles subissent. À quelques jours du deuxième anniversaire de la mort de Jina Mahsa Amini, on n’oubliera pas non plus le combat que mènent d’autres femmes dans le monde – ici les Iraniennes – pour leur vie et leur liberté. Et l’on se rappellera que lire des essais féministes, par exemple, en est une qui n’est hélas toujours pas, en 2024, donnée à tout le monde.

Résister à la culpabilisation, de Mona Chollet (Éd. Zones)

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Dans ce nouvel essai, la journaliste Mona Chollet s’attaque à ce qu’elle nomme “l’ennemi intérieur”, celui-là même qui s’est fait un peu plus fort depuis qu’elle a quitté son poste de cheffe d’édition et qu’elle est désormais autrice à temps plein. Avec ce nouvel espace-temps, cette liberté retrouvée, est venue aussi “une armée de démons, surgie de nulle part”, raconte-t-elle. Un mélange de scrupules, de culpabilité, de peurs en tous genres, agrémenté parfois d’un sentiment d’imposture ou encore d’un attrait pour l’autosabotage. Le tout prend la forme d’une “voix malveillante qui nous attaque, qui nous sermonne, qui nous rabaisse” à laquelle peu d’entre nous au cours de nos vies n’échappent. En revenant sur notre héritage culturel chrétien, sur la culpabilisation ancestrale des femmes et des mères mais aussi sur le culte du travail et de la productivité, Mona Chollet nous éclaire sur nos mécanismes intérieurs pour mieux nous en défaire. Un livre incontournable en cette rentrée.

La Nuit des hommes, de Félix Lemaître (Éd. Nouveaux Jours)

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C’est une enquête qui fait particulièrement écho à l’actualité : dans cet essai, le journaliste et écrivain Félix Lemaître s’intéresse à la soumission chimique – qui désigne le fait d’administrer à une personne à son insu des substances psychoactives à des fins criminelles ou délictuelles – un procédé aujourd’hui au cœur du procès de Dominique Pelicot et des 50 autres co-accusés de viols dans l’affaire Mazan. Mêlant enquête sociétale et récit personnel au ton cash et enlevé, cet ancien doctorant en sociologie des drogues s’interroge sur ces hommes qui droguent des femmes pour les violer : quels sont leurs motivations ? Leurs modes opératoires ? Comment trouvent-ils leurs “armes chimiques” ? Et comment s’en sortent-ils sans être inquiétés ? En touchant du doigt « la banalité du mal derrière la soumission chimique”, Félix Lemaître ne fait preuve d’aucune complaisance et encourage ses pairs à se questionner sur leur socialisation.

Nos Enfants, nous-mêmes, ouvrage collectif (Éd. Hors d’atteinte)

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Presque 50 ans après la première parution de cet ouvrage culte de parentalité féministe aux États-Unis, le collectif Nos enfants, nous-mêmes, constitué de huit femmes âgées de 36 à 49 ans, propose aujourd’hui une réédition actualisée et ancrée dans notre époque. Ce manuel pensé comme « un livre-source où puiser à différents moments de la vie » tient davantage selon ses autrices de l’“outil d’autonomisation” que du guide pratique. Du (non-)désir d’enfant à l’adoption en passant par le post-partum, le baby-clash, les stéréotypes de genre ou les violences faites aux enfants, ce livre aborde une grande variété de thèmes, enrichis au fil des pages par des témoignages de parents et de personnes accompagnant des enfants. Parce que la parentalité “ne doit pas être considérée comme relevant exclusivement du domaine de l’intime”, comme elles le précisent si bien, et qu’elle est aussi – et surtout – politique, puisqu’elle construit les adultes du monde de demain, Nos enfants, nous-mêmes est un ouvrage indispensable à se procurer d’urgence en cette rentrée 2024.

Le Déni lesbien, de Sophie Pointurier et Sarah Jean-Jacques (Éd. Harper Collins)

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“La visibilité contre le déni : tel est l’enjeu. Tel est encore l’enjeu”, écrit l’historienne Christine Bard dans la préface de l’essai de Sophie Pointurier, enseignante-chercheuse en traductologie et romancière, et de Sarah Jean-Jacques, sociologue. Le déni d’existence des lesbiennes et le déni des violences qu’elles subissent, c’est justement ce à quoi s’attaquent les deux autrices avec ce “livre choral sur la condition lesbienne”. Fondatrices de l’Observatoire de la lesbophobie, elles ont mené des entretiens avec 20 personnalités ouvertement lesbiennes à l’image d’Alice Coffin, de Marie Patouillet ou encore de Mélanie Vogel, pour évoquer leurs parcours, les difficultés rencontrées et les violences subies et pour déterminer aussi s’il y avait eu ”un ‘avant’ et un ‘après’ leur exposition médiatique en tant que lesbiennes”. À travers ces témoignages, Sophie Pointurier et Sarah Jean-Jacques nous font comprendre les mécanismes d’invisibilisation des femmes qui aiment les femmes dans l’espace médiatique et public et leur lien direct avec la lesbophobie manifeste qui est là, partout au quotidien.

Peut-on encore être galant ?, de Jennifer Tamas (Éd. Seuil Libelle)

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Depuis Au NON des femmes, où elle explorait la littérature classique pour réhabiliter ses héroïnes bafouées par des siècles de lectures misogynes, Jennifer Tamas s’évertue avec passion et habileté à voyager dans le temps pour extraire la moelle féministe de textes dévoyés. Si sa dernière publication, dans la même collection que celle qui nous concerne ici, s’intéressait aux messages contenus dans les contes de fées (Faut-il en finir avec les contes de fée ?, paru cette année), son nouvel essai s’intéresse à la galanterie, concept lui aussi victime de nombreux malentendus – la faute, peut-être, aux piètres ambassadrices que furent sur le sujet l’affaire DSK et la tribune des “Catherine” parue dans le monde. Dans ce très court texte mais néanmoins complet, Jennifer Tamas rappelle que “la galanterie fut en réalité complexe et avant tout politique : elle reconfigura dès son apparition les rapports de genre et de pouvoir”. Avec un prisme féministe, elle propose, “pour comprendre comme la délicatesse émergea soudainement d’une société si violente”, de “rendre visible le rôle des femmes.” De Madeleine de Scudéry à Emily in Paris, ce dézinguage de mythes et d’interprétations biaisées est accompli avec la plus grande élégance par cette érudite passée maîtresse dans l’art de recadrer le débat avec pédagogie, et sans brusquerie.

Des Iraniennes – Femme, vie, liberté, 1979 – 2024 (Éd. des femmes – Antoinette Fouque)

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À l’approche des deux ans de la mort de Jina Mahsa Amini suite à son arrestation par la police des mœurs le 16 septembre 2022 à Téhéran, les éditions des femmes – Antoinette Fouque publient un émouvant et puissant témoignage de la mobilisation des Iraniennes et de leurs alliées féministes du monde entier depuis mars 1979. Organisé en deux parties, ce livre regroupe d’une part des archives (reproductions de télex, témoignages, tracts, photos) datant de la révolution islamique, lorsque les Iraniennes ont commencé à s’organiser et à se révolter contre le port obligatoire du tchador – peu à peu rebaptisé “hijab” -, et documente d’autre part l’émergence et l’ampleur du mouvement “femme, vie, liberté” grâce à des lettres de prisonnières politiques, des pétitions ou des photos. Si les supports ont évolué avec l’apparition d’Internet et des réseaux sociaux, la volonté de contrôler le corps des femmes et la cruelle répression mise en œuvre pour y parvenir forment une triste continuité, que seule la solidarité semble pouvoir briser. Un ouvrage fort que l’on ne referme jamais tout à fait, tant il nous invite à garder les yeux ouverts sur la situation des femmes dans le monde entier.

Ce que la philosophie doit aux femmes – L’histoire oubliée de la pensée, des origines à nos jours, de Laurence Devillairs et Laurence Hansen-Love (Éd. Robert Laffont)

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L’entrée de Hannah Arendt dans le programme officiel de terminale en 2003, ainsi que celle de cinq autres femmes philosophes en 2019, ont marqué le point de départ de ce livre codirigé par Laurence Devillairs et Laurence Hansen-Love. Les autrices se sont interrogées : “Pourquoi si tard ? Pourquoi celles-là ? Pourquoi celles-là seulement ?” Si le but de leur ouvrage n’est finalement pas tant de répondre à ces questions – on trouvera toutefois certaines explications en creux -, il est plutôt de remettre en lumière les femmes philosophes invisibilisées au cours des siècles, ainsi que leur pensée et leurs apports philosophiques. On croise ainsi Marie de Gournay, “éditrice, disciple et continuatrice de Montaigne” mais surtout penseuse à part entière, pour qui “la différence des sexes [était] une fiction”, mais aussi les phénoménologistes Sara Ahmed, Iris Marion Young ou Camille Froidevaux-Metterie, tout autant que Monique Wittig ou Maitreyi, “une figure féminine de la philosophie en Inde”. Comme un écho direct au livre sur les Iraniennes mentionné ci-dessus, c’est à l’une d’entre elles, Golrokh Iraee, écrivaine et militante pour l’abolition de la lapidation, détenue en Iran, que la parole est laissée en épilogue. Preuve, s’il en était besoin, que la philosophie est aussi un outil de lutte au quotidien.

Ils sont elles – Histoires extraordinaires d’écrivaines qui ont choisi des noms d’hommes, de Catherine Sauvat (Éd. Flammarion)

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C’est bien connu, derrière chaque grand homme se cache une femme. Et derrière certains grands écrivains, aussi. Dans un essai didactique et entraînant, Catherine Sauvat dresse les portraits de ces femmes qui ont choisi des noms de plume masculins. Si le cas d’Aurore Dupin, alias George Sand, reste sans doute le plus connu en France, son livre est l’occasion de découvrir l’histoire rocambolesque de Mary Diana Dods, alias David Lindsay, une amie proche de Mary Shelley qui se déguisa en homme et se fit passer pour l’époux d’une jeune fille enceinte afin de lui éviter le déshonneur et la condamnation. Ou celle de Renée Gouraud d’Ablancourt, alias René d’Anjou, autrice de Véga la magicienne, “la première superhéroïne de la littérature”. Du XVIIème siècle avec Madeleine de Scudéry (alias George de Scudéry) au XXème siècle avec Helen Lynden, alias P.L. Travers, qui n’est autre que l’autrice de Mary Poppins, Catherine Sauvat nous entraîne dans une fabuleuse épopée à travers le genre qui témoigne de toutes les stratégies qu’ont dû utiliser les femmes pour créer et exister, au risque, paradoxal, de disparaître entièrement.

Vies rebelles – Histoires intimes de filles noires en révolte, de radicales queer et de femmes dangereuses, de Saidiya Hartman, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Maxime Shelledy et Souad Degachi (Éd. Seuil)

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En mettant en scène les centaines d’archives qu’elle a explorées et étudiées, Saidiya Hartman redonne vie aux femmes noires “qui ont quitté le sud des États-Unis en quête d’une vie meilleure dans les villes du Nord-Est”, dans l’Amérique post-esclavage de 1890 à 1930. À mi-chemin entre la sociologie et la narrative non fiction, Vies Rebelles éclaire sur la vie quotidienne et intime de ces femmes reléguées aux bas-fonds de l’Histoire. “Ce que je sais de la vie de ces jeunes femmes provient des registres des personnes chargées de collecter les loyers ; des enquêtes et monographies écrites par les sociologues ; des comptes rendus de procès ; des photographies des quartiers de taudis; des rapports d’enquêteurs de la brigade des mœurs, de travailleurs sociaux et de contrôleurs judiciaires ; des entretiens avec les psychiatres et les psychologues ; et des dossiers judiciaires de détenus”, écrit l’autrice. De cette matière inerte, de ces lignes de dates et de chiffres, la théoricienne afro-américaine a modelé des héroïnes de chair et de sang, qui ont vocation à changer nos représentations. Un tour de force sociologique et littéraire.

De Grandes dents – enquête sur un petit malentendu, de Lucile Novat (Éd. Zones)

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“Je crois que ce que nous enseigne le Petit Chaperon rouge, c’est que le danger n’est pas dans la forêt, mais bien plutôt dans le foyer.” Avec De Grandes dents, Lucile Novat nous invite à réinterpréter l’incontournable conte de Perrault. Armée d’un ton forcément mordant, l’autrice nous embarque dans sa réflexion et nous ouvre les yeux sur un malentendu qui a fait long feu, entretenant du même coup un tabou à la peau dure (et velue), celui de l’inceste. Au-delà de la démonstration, c’est le style de Lucile Novat qui nous tient en haleine : la drôlerie de ses notes de bas de page, la singularité de son écriture directe et pince-sans-rire. Si De Grandes dents contient une révélation, il est évident que son autrice, aussi, en est une.



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Author : Julia Tissier

Publish date : 2024-09-12 14:58:44

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Tags :Les Inrocks

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