Il y a plusieurs façons de regarder Un couple parfait. La première serait d’y voir une série Netflix de plus, à base de drame familial bourgeois et de meurtre sur la plage, un pur façonnage algorithmique. La création de Jenna Lamia, adaptée du best-seller d’Elin Hilderbrand, correspond au portrait-robot.
En six épisodes, la mini-série se déploie tel un Cluedo à Nantucket, une île accueillant les nantis sur la Côte Est américaine. La veille du mariage, lors d’une soirée qui vire au drame, la meilleure amie de la future mariée termine sa course dans l’Atlantique, tard dans la nuit. Comment est-elle morte ? A-t-elle été assassinée ?
Savoir-faire et ironie
On imagine la réunion dans les bureaux de Netflix où il serait question d’un thriller chez les millionnaires, un peu Big Little Lies, un peu White Lotus, mais pas trop quand même. Un peu, pour des signes évidents de satire d’un milieu privilégié, en vase clos, avec l’océan en ligne de mire. Pas trop non plus, car Un Couple parfait n’a ni la férocité politique de la première, survenue en pleine vague MeToo pour mettre en scène une forme de violence féminine en réponse à celle des hommes, ni le swing cruel de la seconde, où le génial créateur Mike White organise depuis deux saisons un jeu de massacre dans de grands hôtels, où tout le monde a ses raisons.
Un couple parfait joue avec ses armes, un peu moins acérées que ses devancières, mais pas non plus nulles. On aurait rêvé d’un Ryan Murphy aux commandes pour pimenter tout cela. Les épisodes remontent le fil des événements menant au drame avec un savoir-faire et une légère ironie – du côté des flics, notamment – qui ne verse jamais dans le cynisme.
Liev Schreiber, Dakota Fanning : un casting solide
La série peut aussi compter sur un casting solide, d’où ressortent Liev Schreiber (Scream) en mari taciturne et alcoolique qui s’entraîne au golf en balançant des balles à la mer, Eve Hewson en future mariée troublée par le vertige de l’engagement, ou encore Dakota Fanning qui excelle dans le portrait d’une jeunesse oisive mais bloquée dans sa cage dorée. I
ll y a aussi, surprise, notre Isabelle Adjani nationale, très amusante dans un rôle de bitch-en-cheffe et croqueuse de jeune homme, amie de la famille au franglais étudié. Après Catherine Deneuve dans Nip/Tuck et Isabelle Huppert dans New York Unité Spéciale et The Romanoffs, l’héroïne de L’Histoire d’Adèle H. boucle la boucle des très grandes actrices françaises des cinquante dernières années ayant joué le jeu des séries U.S.
Nicole Kidman, une autrice à part entière
Et puis, bien sûr, il y a Nicole Kidman. Une autre raison de s’immerger dans Un couple parfait, sans doute la meilleure, pour peu que l’on considère la star australienne pour ce qu’elle est : une actrice capable d’adjoindre un récit personnel à tous les récits qu’on lui propose, ce qui en fait une autrice à part entière. Au cinéma, c’est évident depuis longtemps. Elle le prouvera encore dans les mois qui viennent avec le passionnant Babygirl de Halina Rejin, qui lui a valu le prix d’interprétation à la Mostra de Venise, où elle remet en jeu son personnage de femme au pays des fantasmes sexuels inauguré avec Eyes Wide Shut, il y a un quart de siècle.
Depuis plusieurs années, Kidman construit également dans les séries une trajectoire qui, à défaut de contenir des chefs-d’œuvre, lui permet de creuser un sillon : celui d’une domesticité outrée, violente, d’un confort bourgeois souvent vicieux et mortifère, voire tragique, dont elle dévoile les manques. Il lui faut, à chaque fois, trouver un moyen de s’en libérer. On se souvient des violences domestiques de Big Little Lies, du cauchemar marital sur fond de meurtre de The Undoing, de son personnage de mère endeuillée et solitaire dans Expats.
L’art des masques
Ici, Kidman joue Greer Garrison Winbury, une écrivaine et matriarche qui soutient financièrement toute sa famille ( et il faut pas mal de dollars pour maintenir leur train de vie), et se retrouve au milieu du bordel causé par le drame touchant le mariage de son fils. Au fond, l’actrice de Prête à tout n’a pas grand-chose à jouer, sinon à rester debout, insubmersible, régnant sur ce tableau familial traversé par les pires affects, en maintenant le cap apparent de la stabilité et du succès. Greer est de toute évidence une mère, une épouse et une écrivaine qui sait donner l’impression de la réussite, même si quelque chose semble toujours prêt à se craqueler sous le vernis.
Ce sera le cas lors d’une scène de l’épisode final, où le couple hétéro bourgeois et le patriarcat en prennent pour leur grade, lors d’une tirade bien sentie que Greer balance devant tout le monde, racontant son histoire sans filtre. On la croyait dupe, voire cynique, mais elle démontre que rien n’est plus important pour elle que d’avancer en accord avec ses désirs, y compris quand la vérité est difficile à entendre.
Tout cela, l’actrice le fait passer de manière explosive malgré le visage de cire qui est aujourd’hui le sien, à peine capable de nuances. Mais il suffit d’un geste, d’un œil qui cligne, d’une bouche qui se tend. Son visage retouché mais finalement sensible aux affects est devenu l’allié théorique de ses personnages qui dissimulent, puis dévoilent leur feu intérieur, à la fois si évident et si impalpable. Comme si Nicole Kidman ne cessait de nous de dire que derrière les masques – celui de la bourgeoise, comme celui de la grande actrice ultra retouchée – gît souvent un abîme de désir et une puissance à toute épreuve. Enlever un masque, pour elle, c’est toujours en laisser un autre en place, pour maintenir vivante la possibilité du jeu.
Un couple parfait de Jenna Lamia, réalisé par Susanne Bier avec Nicole Kidman. Sur Netflix.
Source link : https://www.lesinrocks.com/series/un-couple-parfait-que-vaut-le-thriller-netflix-a-mi-chemin-entre-big-little-lies-et-the-white-lotus-628918-13-09-2024/
Author : Olivier Joyard
Publish date : 2024-09-13 07:37:04
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