Philosophe du politique, Jacques Rancière n’en reste pas moins attentif à la question de l’esthétique. Dans Politique de la littérature (2007), il s’attardait sur la façon dont certaines révolutions littéraires (Flaubert, Tolstoï, Mallarmé, Brecht, Borges…) ont bouleversé les hiérarchies politiques traditionnelles.
L’incarnation absolue de cette “politique de la littérature” pourrait être Tchekhov, comme il le suggère dans son nouveau texte qui s’attarde sur certaines de ses nouvelles (Rêves, Trois années, À la maison, La Dame au petit chien, etc.), dont l’écriture “dessine obstinément une ouverture indécise du temps”. Ses nouvelles présentent les multiples versions d’un scénario unique : “La liberté est là, au loin, qui fait signe et indique qu’une autre vie est possible, où l’on sache pourquoi l’on vit.”
Les récits de Tchekhov surgissent de son refus de céder à “l’impossibilité d’imaginer que les choses soient autrement que ce qu’elles sont”. Car chez le dramaturge russe, la servitude est moins la soumission des hommes du peuple aux représentants de l’ordre que “leur commune soumission à la répétition du même”. Ce que Rancière salue chez Tchekhov, c’est, derrière un appel constant de la vie nouvelle, la nécessité de changer les manières de sentir. “Cette révolution des affects” forme le cœur de cette politique de la littérature dans laquelle Rancière perçoit le nerf d’une émancipation collective.
Au loin la liberté – Essai sur Tchekhov de Jacques Rancière (la fabrique éditions), 128 p., 13 €. En librairie le 13 septembre.
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Author : Jean-Marie Durand
Publish date : 2024-09-14 06:00:00
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