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Agnès Jaoui au sommet de son art dans “Ma vie, ma gueule”, l’œuvre posthume de Sophie Fillières



Le septième et dernier film de Sophie Fillières tient à la fois du miracle et du drame. De façon assez vertigineuse, ces deux versants opposés s’entremêlent dans l’œuvre elle-même, mais aussi dans son contexte de création. À la fin du tournage de Ma vie, ma gueule, Sophie Fillières apprend qu’elle ne pourra venir à bout de sa postproduction ; elle se sait condamnée par une grave maladie.
Elle en confie alors les clés à ses deux enfants, Agathe (plusieurs fois actrice des films de sa mère) et Adam Bonitzer, ainsi qu’au monteur François Quiqueré, avec qui elle travaille pour la première fois. L’équipe visionne quelques rushs. Elle leur laisse aussi de précieuses notes et directives pour le montage. Un mois à peine après le décès de la cinéaste, le trio se met au travail.
Une entreprise familiale
Une part de la puissance émotionnelle folle du film tient au fait qu’on le voit aussi à travers les yeux d’Agathe et d’Adam. En plein deuil, frère et sœur ont dû mettre en forme cette œuvre au titre éminemment testamentaire. Il et elle y ont vu comme nous, plus que nous même, sa dimension autobiographique.
Découpé en trois chapitres (“Pif”, “Paf” et “Youkou”), Ma vie, ma gueule nous plonge dans la crise de la cinquantaine de Barberie Bichette, surnommée Barbie – jouée par une Agnès Jaoui absolument géniale. Poétesse incomprise, par ses enfants comme par l’agence de pub qu’elle dirige, Barbie vit une profonde crise d’identité, en tant que femme, artiste et mère.
Celle-ci atteint son paroxysme lorsque l’héroïne croise sans le reconnaître un ancien camarade d’école. Il voit en elle son amour déçu. Elle voit en lui la mort qui vient la prendre. Tel le cheval de Nietzsche, il déclenche chez elle un accès de folie qui l’envoie en hôpital psychiatrique.
Elle va alors organiser son évasion du monde, s’en absenter avec une infinie douceur. Elle traverse la Manche comme si c’était le Styx et se perd dans les limbes écossais pour y retrouver Philippe Katerine (dans son propre rôle). Si cette mise en scène de sa propre absence est une interprétation, on se souviendra que le fantastique et la mort sont souvent en toile de fond de l’œuvre de Sophie Fillières.
Ou l’art de savoir tirer sa révérence
Celui-ci est sans aucun doute son meilleur film. Son jeu avec la langue atteint des sommets de poésie tragicomique. Portée par une Agnès Jaoui dans l’un de ses plus beaux rôles, Barbie est, à l’image des Monsieur Hulot, Chaplin, Buster Keaton et autres Don Quichotte, une agente de réenchantement du monde, qui en pointe l’absurdité tout en luttant pour y trouver une place, sans jamais y parvenir.
Elle a comme eux une dimension enfantine, qui s’exprime dans une utilisation des mots comme si c’était de la pâte à modeler. En plus de “pif”, “paf” et “youkou”, on y entend des “takkakaw”, “fanfan” et “glenuaig”. Ma vie, ma gueule tient de part en part sur un fil miraculeux, entre un torrent de larmes et un éclat de rire. Il achève la carrière de Sophie Fillières sur un point d’orgue bouleversant.
Ma vie, ma gueule de Sophie Fillières, avec Agnès Jaoui, Philippe Katerine, Édouard Sulpice. En salle le 18 septembre.



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Author : Bruno Deruisseau

Publish date : 2024-09-16 06:00:00

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