Il ne faisait pas bon avoir déjà soulevé une statuette majeure dans ce qu’on appelait encore il y a quelques années les “Oscars de la télé”. Alors que la cérémonie revenait pour la seconde fois cette année – l’édition 2023 a eu lieu en janvier dernier, pour cause de grève des acteur·ices et des scénaristes –, l’Académie a joué la surprise dans les deux catégories principales, mettant en avant la capacité de renouvellement du genre, avec sans doute la volonté de contredire celles et ceux qui évoquent une crise industrielle et créative dans le monde des séries.
Anna Sawai dans Shogun, pionnière
Shogun (diffusée en France sur Disney +), dont la première saison a débuté en février dernier, a ainsi raflé 18 prix sur 25 nominations, plus grand total de l’histoire sur une année, parmi lesquels les trois plus prestigieux : meilleure série dramatique, meilleur acteur dans une série dramatique pour Hiroyuki Sanada et meilleure actrice dans une série dramatique pour Anna Sawai, première femme d’origine asiatique à repartir avec cette récompense en 76 éditions. “Je dédie ce prix aux femmes qui n’attendent rien et continuent d’être un exemple malgré tout”, a déclaré sur scène la comédienne néo-zélandaise d’origine japonaise, qui joue aussi dans l’excellente Pachinko.
La création de Rachel Kondo et Justin Marks a dominé les prix techniques et s’impose comme un chouchou surprise face The Crown ou 3 Body problem, même si elle n’a rien d’une révolution dans la forme : située au XVIIe siècle, adaptée d’un roman de James Clavell sorti en 1975, cette saga historique explore la rencontre de deux univers, quand un marin anglais naufragé (Cosmo Jarvis) est recueilli au Japon par un cacique local (Hiroyuki Sanada) et sa femme (Anna Sawai). Impressionnante dans ses moyens et ses effets visuels, la série souffre d’un classicisme un peu pataud, même si la peinture précise du Japon féodal qu’elle met en place peut captiver.
Hacks domine The Bear
La soirée de John Landgraf, patron de la chaîne FX (qui diffuse Shogun), aurait pu ressembler à un conte de fées – son record de nominations, 93 cette année, semblait y mener – si la favorite The Bear, nommée de façon absurdement comique dans la catégorie comédie, avait poursuivi son règne entamé avec sa première saison. Eh bien, non. Hacks, qui raconte la très amusante rencontre entre une jeune scénariste (Hannah Einbinder) et une standuppeuse chevronnée (Jean Smart), permet à HBO Max de sauver l’honneur de la chaîne câblée historique, qui pâtissait il est vrai de l’absence de House of The Dragon, The White Lotus et The Last of Us.
Diffusée en France de façon confidentielle sur la chaîne Teva, Hacks vaut d’abord le coup pour l’incroyable Jean Smart, 73 ans, véritable monument national déjà récompensé plusieurs fois, notamment pour son rôle dans la sitcom Frasier en 2000, que l’on a aussi admirée en Première dame vacillante dans 24, ou encore dans Fargo, Mare of Easttown et Watchmen. Smart avait déjà gagné pour le même rôle dans Hacks en 2021 et en 2022.
Et celle que tout le monde adore ? The Bear, belle série intime et mélancolique sur un chef de Chicago et son équipe, avait les atouts pour repartir le cœur gonflé d’amour pour sa deuxième saison, et ce n’est le cas que partiellement : de nombreux prix lui ont été attribués, 11 au total, mais pas le plus prestigieux. Le formidable Jeremy Allen White continue son sans-faute en restant le meilleur acteur dans un rôle principal, quelques mois après sa première victoire, tandis que ses compères Ebon Moss-Bachrach (le cousin Richie) et Liza Colon-Zayas (Tina) sont aussi montés sur scène pour récupérer cette statuette dorée, plus lourde qu’elle n’en a l’air. Le créateur de The Bear, Christopher Storer, repart avec le prix de la meilleure réalisation pour le mythique épisode cassavetien Fishes. Tout cela n’en reste pas moins une déception pour ce drame familial agité qui espérait poursuivre son règne et gagner ainsi ses galons de “grande série”, à une époque qui en manque.
Mon petit renne : le carton plein
Depuis quelques années, la catégorie des anthologies et de miniséries s’est imposée comme l’une des plus compétitives et des plus intéressantes créativement, ce qui n’a pas manqué de se confirmer avec la victoire sans appel de Mon petit renne, où le créateur et acteur Richard Gadd raconte en sept épisodes le harcèlement qu’il a subi durant des années de la part d’une jeune femme, ainsi que les abîmes intérieures que cette situation a provoqué. Sans doute l’une des séries les plus fortes de l’année, qui offre à Netflix quatre prix d’un coup : meilleure anthologie ou minisérie, meilleur scénario, meilleur acteur pour Richard Gadd, arrivé sur scène dans un joli kilt, et meilleure actrice pour la stressante mais brillante Jessica Gunning, qui interprète Martha, sa harceleuse. Un carton plein qui devrait encourager la plateforme à se fixer un peu plus d’objectifs de qualité, d’autant que la réalisation en noir et blanc de Steven Zaillian pour Ripley a elle aussi gagné un prix, même si le génial acteur de cette adaptation de Patricia Highsmith, Andrew Scott, n’obtient pas encore la reconnaissance qu’il mérite.
Les Emmys attribués aux acteur·ices nous ont toutefois beaucoup plu dans l’ensemble. En plus de Hiroyuki Sanada, Anna Sawai, Jean Smart, Jeremy Allen White, Ebon Moss-Bachrach, Liza Colon-Zayas mais aussi Lamorne Morris dans Fargo saison 5 et Elizabeth Debicki, excellente Diana dans la saison finale de The Crown, Billy Crudup, qui illumine The Morning Show de sa verve cynique et triste, a eu droit lui aussi à son prix, tout comme Jodie Foster, que rien ne pouvait empêcher de remporter son premier Emmy Award alors qu’elle achève la cinquième décennie d’une carrière commencée en 1976 avec Taxi Driver. Sa prestation solide en policière armée d’une doudoune dans le froid de l’Alaska, pour True Detective: Night Country, méritait cette attention.
Parler de notre époque
La soirée des Emmys, dont le palmarès a semblé équilibré, si ce n’est légèrement convenu dans sa volonté de plaire à tout le monde, s’est terminée sur une subtile note de nostalgie quand une partie du casting de À la maison Blanche (Martin Sheen, Dulé Hill, Janel Moloney, Richard Schiff et Alison Janney), la fabuleuse série politique diffusée entre 1999 et 2006, est monté sur scène juste avant l’attribution du prix de la meilleure série dramatique, d’ailleurs remporté quatre fois en son temps par la création d’Aaron Sorkin. Après un rappel de quelques fondamentaux, comme cette idée qu’il faut malheureusement moins d’imagination aujourd’hui pour inventer des histoires folles venues du sommet de l’État américain, ou la nécessité de s’inscrire sur les listes électorales avant l’élection présidentielle de novembre, l’ancien président fictionnel Jed Bartlet (Martin Sheen) a expliqué qu’une seule chose ne change pas : la qualité des séries dramatiques nommées et primées aux Emmy Awards.
On nous permettra d’en douter, tant cette année, plutôt riche en variété d’approches et de points de vue, manquait singulièrement d’un chef-d’œuvre définissant l’époque. La plus fidèle à ce portrait, The Bear, n’a pas été traitée comme telle. Reste la solide Mon petit renne, dont le créateur Richard Gadd a cerné les enjeux du moment en recevant son prix : “Je sais que l’industrie connait un ralentissement, avec une pression sur les chaînes et les plateformes pour réduire les coûts, mais on ne pourra pas sortir du marasme sans prendre des risques […]. Le succès vient toujours d’une bonne histoire qui parle de notre époque.”
La cérémonie est disponible en replay sur MyCanal
Emmy Awards 2024 : le palmarès complet
Meilleure série dramatique
Shogun créée par Rachel Kondo et Justin Marks (FX, Disney + en France))
Meilleur acteur dans une série dramatique
Hiroyuki Sanada dans Shogun
Meilleure actrice dans une série dramatique
Anna Sawai dans Shogun
Meilleur second rôle féminin dans une série dramatique
Elizabeth Debicki dans The Crown
Meilleur second rôle masculin dans une série dramatique
Billy Crudup dans The Morning Show
Meilleure série comique
Hacks (HBO Max, Teva en France)
Meilleur acteur dans une série comique
Jeremy Allen White dans The Bear
Meilleure actrice dans une série cmique
Jean Smart dans Hacks
Meilleur second rôle masculin dans une série comique
Ebon Moss-Bachrach dans The Bear
Meilleur second rôle féminin dans une série comique
Liza Colon-Zayas dans The Bear
Meilleure Minisérie ou Anthologie
Mon petit renne (Netflix)
Meilleur acteur dans une minisérie ou une anthologie
Richard Gadd dans Mon petit renne
Meilleure actrice dans une minisérie ou une anthologie
Jodie Foster dans True Detective: Night Country
Meilleur second rôle masculin dans une minisérie ou une anthologie
Lamorne Morris dans Fargo saison 5
Meilleur second rôle féminin dans une minisérie ou une anthologie
Jessica Gunning dans Mon petit renne
Meilleure série documentaire
Beckham (Netflix) de Fisher Stevens
Meilleure réalisation pour une série dramatique
Frederick E.O. Toye pour Crimson Sky – Shogun
Meilleur réalisation d’une série comique
Christopher Storer pour Fishes – The Bear
Meilleure réalisation – minisérie ou anthologie
Steven Zaillian pour Ripley
Meilleur scénario pour une série dramatique
Will Smith pour Negotiating With Tigers – Slow Horses
Meilleur scénario pour une série comique
Lucia Aniello, Paul W. Downs et Jen Statsky pour Bulletproof –Hacks
Meilleur scénario pour une minisérie ou une anthologie
Richard Gadd pour Mon petit renne
Source link : https://www.lesinrocks.com/series/emmy-awards-shogun-soffre-un-record-historique-the-bear-battue-629128-16-09-2024/
Author : Olivier Joyard
Publish date : 2024-09-16 07:43:43
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