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“Kaizen” : on a regardé le docu d’Inoxtag pour que vous n’ayez pas à le faire



“Croyez en vous. Si vous croyez que vous pouvez faire quelque chose, faites-le. N’écoutez pas les gens. Essayez de devenir meilleurs. Essayez d’apprendre. Si jamais vous échouez c’est pas grave, vous avez appris. Vivez à fond et pas à travers quelqu’un. Lancez-vous des challenges et des défis.” C’est sur ces conseils ordonnés comme une liste de courses et tout droit sortis d’un mauvais livre de développement personnel que le youtubeur avait laissé ses 8 millions d’abonnés en avril dernier, avant de disparaître des réseaux sociaux pour se préparer à son prochain grand défi : après avoir vécu 7 jours seul sur une île déserte ou avoir dormi dans une forêt “hantée”, Inoxtag allait gravir l’Everest.

Une initiative pas totalement désintéressée, puisque l’influenceur promet par la même occasion un long documentaire sur sa préparation, son départ, et l’entièreté de l’ascension, avec à la clé la réponse tant attendue : va-t-il réussir ? Et nous y voilà. Diffusé ces vendredi 13 et samedi 14 dans plusieurs cinémas affichant complets à travers la France (soit près de 300 000 spectateur·rices), puis mis en ligne dans la foulée sur sa chaîne YouTube (comptabilisant en moins de 48 heures plus de 17 millions de vues), Kaizen fait des ravages et est érigé au statut de chef-d’œuvre par ses fans. Vraiment ?

Héritage shōnen

Après une introduction de plusieurs secondes sur les traces d’un aigle voltigeant entre les cimes d’arbres et les montagnes surplombantes, il réapparaît de dos, torse nu, arborant une longue barbe peu entretenue, icônisé comme un vieux combattant reclus dans sa cabane, et avec en fond une voix-off dramatique présageant des moments de doutes qui nous attendent (“J’ai peur là“, “Il faut rester lucide”, “On va se tuer !”…).

Une scène qui pose les bases de l’inspiration principale d’Inoxtag pour cette vidéo : les mangas, et plus particulièrement les shōnen, un sous-genre destiné à un public majoritairement masculin et qui se focalise le plus souvent sur de jeunes héros avides de repousser leurs limites lors d’aventures grandiloquentes et de combats explosifs. Cette adoration de la culture nippon irrigue tout son projet (il arbore durant toute l’ascension, et à titre purement décoratif, le célèbre chapeau de paille de Luffy, héros de One Piece), et ce jusqu’à son titre : Kaizen signifie en japonais “changement positif“.

Car c’est bien en héros de manga qu’Inoxtag s’imagine tout du long. Les moments de doutes et de peurs sont entrecoupés de séquences pseudo-inspirantes où les proverbes motivants prononcés par lui et ses proches se succèdent et se vident de leur sens presque automatiquement. Malgré les nombreuses et ridicules mises en scène où le youtubeur court dans le bleu du matin ou frappe dans un sac de boxe, tandis que de lourdes gouttes de sueur coulent au ralenti sur ses tempes, la supercherie ne prend pas. Face à la montagne, Inoxtag a beau se penser Naruto contre Pain, se vouloir Gon face à Meruem (Hunter x Hunter), se fantasmer Gokû devant Boo, ne transparaît qu’une vantardise mollement dissimulée.

Inoxtag, Inoxtag et Inoxtag

Et pourtant, le youtubeur ne lésine pas sur les moyens pour rendre compte des risques encourus. En témoigne l’une des premières séquences du film, où il énumère les possibles dangers : “D’énormes crevasses, un froid glacial qui peut te faire perdre tes membres, des avalanches, et l’altitude. Plus tu montes, plus ton corps dépérit. Tu risques un EDM pulmonaire, un œdème cérébral, ou tu peux même perdre la vue”, nous dit-il, le tout accompagné d’images sensationnalistes et d’un montage sonore ultra-agressif digne des plus mauvais génériques de séries policières des années 2000.

“Si je rate cette étape, je meurs”

Lors de ses premiers essais d’alpinisme, il répète à plusieurs reprises : “Si je rate cette étape, je meurs.” Et quand ce n’est pas lui, on peut toujours compter sur son entourage pour couvrir le jeune homme d’éloges. De son coach Mathis à ses parents, en passant par d’autres youtubeurs, tous·tes sont ébahi·es par les prouesses et la force d’âme du jeune millionnaire. Un défilé d’hommes (hormis sa mère au téléphone, aucune femme n’est entendue ou vue durant les 2 h 30 de documentaire) qui louent sa détermination et son travail acharné.

Mention spéciale à une séquence qui frôle l’indécence la plus totale : tandis que Mathis l’introduit à un sherpa présent lors du tremblement de terre de 2015 au Népal, le récit tragique du vieil homme se superpose à des images de villages en ruines et de maisons détruites. Un montage qui mène irrémédiablement à Inoxtag, encore et toujours, le regard sérieux comme pour souscrire à la gravité de la scène. La séquence suivante ? Un autre sherpa le complimente et explique qu’il est bien au-dessus de leurs autres client·es habituel·les. Un documentaire à sa gloire, du début à la fin.

La vie pour les nul·les

Mais là où réside la plus grande arnaque de Kaizen, c’est dans la superficialité de son message. Inoxtag “veut devenir un nouvel homme”, et pour ce faire, il décide de se la jouer grand philosophe (de comptoir uniquement) et de nous faire la morale : alors que son expédition – financée par plusieurs marques et destinée à ses millions d’abonnés – coûterait plusieurs centaines de milliers d’euros et qu’il ne l’aurait probablement jamais faite si elle n’était pas filmée, il nous explique que pour être la meilleure version de nous-mêmes, il faut limiter notre temps d’écran et arrêter les réseaux.

S’ensuit alors un enchaînement de citations bateau sur la tristesse de la vie contemporaine et de son propre quotidien à lui. Des gros plans sur les visages souriants d’enfants et de vieillard·es népalais·es parsèment certaines scènes, l’air de dire : “Regardez comme ils ont moins que nous mais continuent d’être heureux.”

“Je suis un pourri gâté, les gens se cassent les couilles à se lever à 6 h !”

Pourtant, à plusieurs reprises, Inoxtag semble prendre conscience de son privilège au point de le verbaliser clairement. “Nous, on y va pour le kiff, lui, il y va pour vivre”, se rend-t-il compte après qu’un sherpa lui a expliqué gagner sa vie de cette manière. “Je suis un pourri gâté, les gens se cassent les couilles à se lever à 6 h !”, atteste-t-il dans un éclair de génie. “Nous, les Occidentaux, c’est du luxe notre vie”, après avoir parlé quelques secondes avec un Népalais.

Mais on comprend vite que ces moments de réalisation sur fond de chants christiques sont, à l’instar de la rapide séquence sur la pollution de la montagne par les autres grimpeur·ses, un moyen pour lui de simplement se dédouaner de quelque chose. Comme une façon de prendre de court les futures polémiques dont il présage – à juste titre, elles ont bien éclaté sur les réseaux – la naissance.

À la toute fin, après avoir gravi l’Everest, flouté le cadavre d’un ancien alpiniste et décrit la mort de deux autres à quelques mètres de lui, le jeune homme se projette papa et envoie même un message à son futur fils (il ne faudrait surtout pas évoquer la possibilité d’avoir une fille, non) : “Mon fils, il va voir que son père a monté l’Everest à 22 ans. Fiston, te compare pas. Fais ce qui te plaît, c’est le plus important. On s’en branle, si ça se trouve, tu veux être dessinateur, et bah, c’est le meilleur projet qui puisse être.” Pas de doute que le futur fils appréciera.



Source link : https://www.lesinrocks.com/societe/kaizen-on-a-regarde-le-docu-dinoxtag-pour-que-vous-nayez-pas-a-le-faire-629140-16-09-2024/

Author : Jolan Maffi

Publish date : 2024-09-16 15:28:00

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