Il aura fallu qu’une tentative d’assassinat vise Donald Trump pour qu’Elon Musk sorte du bois et adoube le candidat républicain. Naïf toutefois celui qui s’imagine une entrée “tardive” du patron de Tesla dans la présidentielle américaine. En coulisses, le milliardaire d’origine sud-africaine s’active depuis déjà plusieurs mois pour réinstaller Donald Trump au bureau Ovale. Dès le début du printemps, consultants et prestataires divers se massent chaque vendredi dans ses bureaux, l’informent de leurs avancées, phosphorent sur de nouvelles stratégies, exposent leurs idées, ingèrent les siennes. Tous œuvrent pour le compte de l’America Political Action Committee (America PAC), une structure pensée et dessinée avec pour seule et unique finalité : la victoire de Donald Trump – ou la défaite de Kamala Harris – le 5 novembre.Méconnus du grand public en France, ces symposiums répondent au nom de “Super PAC” et ont un rôle bien établi dans la vie politique américaine. Depuis leur autorisation en 2010 à la suite d’une décision de la Cour suprême – Citizen United v. Federal Election Commission – ces derniers constituent de véritables machines à récolter des dons. Leur cible ? Des industries lucratives et des milliardaires désireux de voir triompher leurs intérêts, tout au moins une certaine vision de la société. Leur particularité par rapport aux PACs classiques qui sont directement affiliés aux partis politiques ? Les dons y sont illimités. Raison pour laquelle “les PACs ont progressivement perdu de leur importance” au profit des Super PACs, note Anne Deysine, professeur émérite à l’université Paris-Nanterre, juriste et américaniste, auteure de l’ouvrage Les Etats-Unis et la démocratie (éd. L’Harmattan).L’échelle des dons est ainsi considérablement allongée, les montants pouvant aller de quelques centaines à plusieurs dizaines de millions de dollars. En 2023, les quelque 6 400 comités politiques – PACs et Super PACs confondus – ont récolté près de 3,7 milliards de dollars, et en ont dépensé plus de 3 milliards, selon un communiqué de la Commission électorale fédérale (FEC). Des montants astronomiques qui “permettent aux partis politiques de sous-traiter certaines dépenses”, explique Françoise Coste, professeure de civilisation américaine à l’Université de Toulouse. Ainsi, les sommes récoltées sont-elles utilisées pour financer spots télévisés, publicités en ligne, mailings, et toutes autres formes de communication destinée à influencer les électeurs le jour du vote. Anne Deysine attire toutefois l’attention sur le fait que “ces publicités électorales ne peuvent pas être en faveur d’un candidat, mais seulement en faveur d’une cause, telle que l’interdiction du droit à l’avortement par exemple”.Musk, plus gros donateur des conservateurs ?Quelques jours après le soutien officiel d’Elon Musk à Donald Trump, le Wall Street Journal a révélé que le patron de Space X s’engageait à perfuser à hauteur de 45 millions de dollars par mois le Super PAC pro-Trump baptisé America PAC. Ce, jusqu’à la fin de la course à la Maison-Blanche, début novembre. Une mise au parfum qui n’a pas plu au milliardaire. Dare-dare, Elon Musk s’empresse de démentir les chiffres donnés par le quotidien économique, assurant que ses contributions au Super PAC lancé en juin 2024 seraient moins élevées. Reste qu’à l’heure actuelle, Elon Musk pourrait bien être en passe de devenir le donateur le plus généreux de la campagne du camp conservateur. Jusqu’à ce jour, ce titre était détenu par un certain Timothy Mellon. Un milliardaire de 82 ans dont la famille campe à la 34e place du podium des plus grosses fortunes des Etats-Unis, selon les estimations de Forbes, et soutien de longue date du Grand Old Party (GOP).Un parrainage historique qui n’empêche toutefois pas Timothy Mellon d’envoyer en 2018 un chèque de 2 700 dollars à une certaine Alexandria Ocasio-Cortez. Cette année, la figure émergente du parti à l’âne est candidate pour la première fois dans l’Etat de New York. Pour celle qui incarne déjà l’aile gauche du mouvement démocrate, cette donation relève du cadeau empoisonné. Ainsi, renvoie-t-elle immédiatement l’argent à la banque émettrice qui, sous ordre de son client, refuse de récupérer les deniers. “AOC” sera ainsi contrainte de composer avec l’argent d’un donateur républicain. Si la démarche du milliardaire peut sembler loufoque, elle n’est pas un cas isolé. Il existe même des Super PACs dits “transpartisans”, à l’image de l’America-Israel PAC, plus connu sous l’acronyme d’AIPAC. Républicains ou démocrates, qu’importe. “WE STAND with those who stand with Israel”, arbore sur son site Internet l’AIPAC, dont les contributeurs restent toutefois à majorité conservateurs.Les Super PACs pro-Trump à la traîneAux côtés de l’ancien candidat à la primaire démocrate de 2016 Bernie Sanders, Alexandria Ocasio-Cortez s’illustre parmi les rares personnalités politiques à se dresser contre le système de financement typiquement américain. Et pour cause, si les Super PACs pro-Trump bénéficient très largement aux campagnes républicaines, leurs homologues progressistes constituent également une manne financière considérable pour les démocrates. Dopées par l’arrivée de Kamala Harris dans la course à la Maison-Blanche, celles-ci auraient même récolté davantage de fonds à cette date. “Les républicains de la Chambre des représentants et du Sénat commencent à paniquer face à l’écart de financements considérable qui les sépare des démocrates”, titre le site spécialisé Politico. De quoi donner des aigreurs au camp Trump qui tire la sonnette d’alarme.People everywhere need to understand how disgusting and abnormal it is for special interests to dump nearly $15 million to unseat a member of Congress in a primary.
This is corruption. It is a core threat to American democracy. It also fuels Trump.
Support Jamaal Bowman. https://t.co/HAWJjKICr7— Alexandria Ocasio-Cortez (@AOC) June 16, 2024Devant un parterre de mécènes du GOP, le président du Congressional Leadership Fund, le plus grand Super PAC du parti au pouvoir à la Chambre des représentants, a confirmé que son organisation avait besoin de quelque 35 millions de dollars en plus “pour tenir les démocrates en échec”, ont indiqué plusieurs sources à nos confrères de Politico. Au congrès républicain de Milwaukee, cet été, le sénateur du Montana Steve Daines a même confié : “A l’heure actuelle, les milliardaires de gauche dépensent massivement plus que nous, ce qui m’empêche de dormir.” Et d’ajouter : “Nous avons besoin de vous, […] aidez-nous à lutter.” Comprendre : “Continuez à alimenter les Super PACs.”Une efficacité difficilement mesurablePreuve du poids – “disproportionné” selon Anne Deysine – de ces structures dans les campagnes aussi bien locales que fédérales outre-Atlantique. Si leur efficacité reste difficilement mesurable, plusieurs indicateurs donnent néanmoins une idée de leur impact sur l’issue du scrutin. Selon les données compilées par AdImpact, bon nombre de candidats soutenus par le Super PAC Fairshake et ses Super PACs pro-crypto affiliés, Defend American Jobs et Protect Progress ont remporté leurs courses respectives à la Chambre des représentants et au Sénat.Une étude réalisée en 2020 estime aussi “probable que les Super PACs jouent un rôle important dans les élections”, en particulier dans les swing states, “où des sommes considérables sont injectées”. Des résultats que l’on se doit toutefois de relativiser, notamment au regard de l’élection de 2020. Tandis que les soutiens d’Hillary Clinton avaient réuni plus de fonds que les Super PACs pro-Trump en 2020, c’est finalement le chantre du MAGA (pour Make America Great Again, slogan de campagne utilisé par Ronald Reagan lors de la campagne présidentielle de 1980 et repris par Donald Trump) qui a remporté la présidentielle. Un cas pratique qui, couplé aux effets contre-productifs de ces stratégies, peut participer à créer un sentiment de méfiance au sein d’un certain électorat, soulignent les chercheurs.À L’Express, Françoise Coste affirme que “beaucoup de gens se plaignent de la propagande politique financée en masse par les Super PACs dans les swing states”. Et la spécialiste de la politique intérieure américaine d’abonder : “Ce qui est inquiétant, c’est que le problème pour eux réside uniquement dans le fait qu’il y en ait trop et que ça parasite leur programme télévisé. Les aspects pervers de ces spots publicitaires financés par des Super PACs sont très peu remis en cause aux Etats-Unis.”Une imperméabilité fictiveIl faut dire qu’en quelques années seulement, les Super PACs sont devenus une véritable industrie. “On est face à des structures qui font travailler tout un écosystème. Il y a déjà tous ces stratèges qui pantouflent, mais aussi les médias qui s’en mettent plein les poches grâce aux sommes astronomiques dépensées dans les campagnes publicitaires”, détaille Françoise Coste, qui n’hésite pas à parler de “corruption légale”. Raison pour laquelle entre autres, le rôle de ces Super PACs dans les campagnes électorales pose question.D’autant que l’indépendance de ces entités comme condition à la suppression du plafond des dons n’est effective que sur le papier. Dans les faits, ces super comités politiques regorgent d’anciens collaborateurs et stratèges des candidats. “En théorie, les équipes de campagne et les équipes des Super PACs ne sont pas censées se coordonner, mais ceux qui dirigent les seconds sont souvent des anciens de la campagne du candidat, et il n’y a aucune sanction”, déplore Anne Deysine.Pour Françoise Coste également, ce fonctionnement constitue une “véritable hypocrisie, car tout le monde sait que le America PAC ou le MAGA Inc. sont des Super PACs qui roulent pour Trump”. L’entité, qui constitue la “première incursion majeure de Musk dans la présidentielle”, selon le Wall Street Journal, a d’ailleurs vu cet été son architecture transformée au profit d’une nouvelle équipe constituée en grande partie d’anciens membres de la campagne du sénateur républicain Ron De Santis.”Money is Speech”En outre, les sommes récoltées par les Super PACs obligent les candidats. Au moyen de capacités financières quasi illimitées, les donateurs exercent un pouvoir d’influence sur le personnel politique. Récemment, le Financial Times a justement raillé un des derniers retournements de veste de Donald Trump. Alors réticent à l’égard de ce qui ne reposait selon lui “que sur du vent” en 2021, l’ancien président s’est récemment pris d’affection pour les cryptomonnaies. Un timing qui coïncide avec la visite dans son lieu de villégiature de Mar-a-Lago d’un groupe de mineurs de bitcoins et de cadres de l’industrie. Une rencontre au cours de laquelle le groupe se serait engagé à “collecter plus de 100 millions de dollars et à faire voter plus de 5 millions d’électeurs pour Trump”, a déclaré le PDG de BTC Inc à la chaîne de télévision CNBC.Aussi, ces Super PACs agissent-ils comme de véritables lobbies, forts d’une capacité à dicter l’agenda politique du premier candidat qui mordra à l’hameçon. “Des entreprises issues des secteurs de la défense ou encore des télécoms donnent énormément aux républicains en espérant obtenir en échange des contrats”, rapporte par exemple Françoise Coste. Un système rendu possible par une interprétation “maximaliste” de la Cour suprême “qui considère que dépenser de l’argent, c’est exprimer une opinion politique”, analyse l’américaniste Anne Deysine. Le fameux “Money is Speech” (“l’argent fait la loi”), argument brandi par les sages et défenseurs des Super PACs qui rattachent le financement de la vie politique au premier amendement. Et ainsi, à la sacro-sainte liberté d’expression, dont un certain Elon Musk s’autoproclame le garant.
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Author : Ambre Xerri
Publish date : 2024-09-16 05:00:00
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