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Le Poetry Day 2024 réhabilite la poésie du cinéaste underground Jonas Mekas

Le Poetry Day 2024 réhabilite la poésie du cinéaste underground Jonas Mekas



Dans le cadre des manifestations qui rythment le festival Extra!, célébrant la création littéraire au centre Pompidou et cette année consacré à la culture lituanienne, s’est tenu ce 15 septembre le Poetry Day. Cette édition a mis en lumière Jonas Mekas, figure emblématique de la contre-culture et du cinéma d’avant-garde américain, mais également poète.  

Si elle fait partie intégrante de l’œuvre de Jonas Mekas, sa poésie a souvent été reléguée au second plan dans la critique française, en grande partie à cause des délais de traduction. La publication récente de Debout parmi les choses (éditions Nous), recueil de ses poèmes couvrant une période allant de 1948 (Idylles de Semeniškiai) à 2007 (Mots et lettres), constitue donc une révélation pour les lecteurs·rices français·es.

Elle réhabilite Mekas comme une figure poétique à part entière, tout en offrant un éclairage inédit sur son parcours artistique. Cette (re)découverte permet d’appréhender plus finement les dimensions esthétiques et thématiques qui traversent l’ensemble de son œuvre en dévoilant les mécanismes mémoriels et introspectifs qui la sous-tendent. 

Le travail sur le souvenir de Jonas Mekas

Comme nous le découvrons dès les premiers textes, la poésie de Jonas Mekas se caractérise par un travail sur le souvenir plutôt que sur une représentation fidèle du réel. La mémoire ne vise pas à reproduire fidèlement la réalité des événements mais à les reconfigurer, conférant aux objets une essence nouvelle. Engainés dans leur apparence immédiate, ils se libèrent sous l’effet de la réminiscence qui les révèle dans leur vérité profonde. Proche de la démarche proustienne, ce mécanisme transforme le souvenir en une relecture poétique du réel, où chaque chose accède à une dimension intemporelle et essentielle. Pour Mekas, le plaisir poétique réside avant tout dans l’acte même de se souvenir, et ses vers traduisent cette dynamique par une profusion d’images mémoire.

Ce travail mémoriel influe également sur la forme de son écriture, dans laquelle le souvenir détermine l’architecture poétique. Sa poésie n’obéit pas à une versification classique, mais à une juxtaposition libre qui reflète les contours de son imagination, évoquant une approche semblable de son esthétique cinématographique. Le discours poétique se développe ainsi en une accumulation d’énumérations, qui brouille parfois la cohérence syntaxique et la position du sujet, plongeant le·la lecteur·rice dans un flux continu de souvenirs fragmentés. 

Déstructurer le texte

Le recueil révèle les mutations formelles qui jalonnent l’évolution de l’art poétique de Jonas Mekas. Dans la première phase de sa vie, ses longs poèmes, imprégnés de l’exaltation de la culture pastorale lituanienne, cèdent progressivement la place à des textes plus concis. L’influence de la troisième grande vague moderniste de la poésie américaine le conduit vers une écriture plus expérimentale, où le texte s’apparente à une démarche quasi picturale. La voix déstructurée et claudicante qui traverse les vers purifie le poème de ses archaïsmes lyriques, évitant à la fois l’affectation poétique et toute indulgence sentimentale. 

La déstructuration des vers et des mots met en lumière une poétique marquée par le dénuement et l’isolement. Chaque terme, isolé, se trouve suspendu dans un espace vide soulignant l’absence et la solitude. Cette fragmentation produit un cadre poétique où le poète se dessine comme une figure solitaire dans un univers abstrait et dépouillé. Ainsi déstructuré, le texte accentue la séparation et reflète la condition solitaire du créateur, offrant une méditation sur le vide et l’indifférence du monde environnant.

Verdi et Mekas  

Ce Poetry Day s’est conclut par la projection du dernier film de Mekas, Requiem, offrant un retour réflexif de sa poésie et plus largement de son œuvre. Commandé en 2019 par le centre culturel The Shed à New York pour accompagner les représentations du Requiem de Verdi, le film se présente comme l’envers de son œuvre poétique, empreint d’une noirceur singulière, loin de ses réalisations diaristiques.

À l’instar de l’œuvre musicale de Verdi qui oscille entre la terreur et le consolation, les images de Mekas mettent en scène la beauté et la fragilité de la vie dans un contexte chaotique de guerre, de génocides et de catastrophes naturelles. Les stases lyriques et romantiques qu’offrent les plans sur la nature sont aussitôt contrastées par l’atrocité des images de guerre, lesquelles semblent balayer toute perspective édénique. En présentant la beauté et la souffrance comme inextricables, cette réflexion finale sur la beauté éphémère de l’existence est à la fois une lamentation et un appel radical au changement, une vision prophétique d’un monde en voie de renouveau.



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Author : Arnaud Combe

Publish date : 2024-09-18 09:46:19

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