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 “Les Portes de Gaza” d’Amir Tibon : comment se remettre de l’attaque du 7 octobre ?

 “Les Portes de Gaza” d’Amir Tibon : comment se remettre de l’attaque du 7 octobre ?



Comment parler, posément, et comprendre, modestement, ce qui se joue à Gaza et en Israël depuis le 7 octobre 2023, attaque terroriste la plus meurtrière de l’histoire du conflit israélo-palestinien sur le sol israélien, sans écouter ce que les citoyens eux-mêmes, vivant sur place, ont à en dire ? Le texte du jeune journaliste israélien Amir Tibon, Les Portes de Gaza, fait partie des témoignages qui importent plus aujourd’hui de lire que les commentaires intempestifs qui inondent les réseaux sociaux, où domine l’aveuglement à la souffrance du camp opposé au nom exclusif de la sienne, aussi légitime fût-elle. 

Correspondant diplomatique pour le quotidien israélien Haaretz, installé depuis dix ans dans le kibboutz Nahal Oz, situé à sept cents mètres de la bande de Gaza, Amir Tibon raconte dans un récit tendu, à la fois descriptif et historique, sa journée du 7 octobre, quand les forces du Hamas ont attaqué les citoyen·nes israélien·nes habitant près de la bande de Gaza : environ mille deux cents civils et soldats tué·es.

Responsabilités partagées

Le récit est concentré en grande partie sur la manière dont, avec sa femme et ses deux petites filles, il s’est barricadé des heures durant dans sa maison, pendant que les terroristes tiraient et tuaient à tout bout de champ dans le kibboutz. Sa force ne tient pas seulement à son art de consigner froidement la terreur. Car, aussi précis et documenté soit-il, se rapprochant presque d’une sorte de thriller d’épouvante, Les Portes de Gaza dépasse son cadre documentaire pour prendre une ampleur narrative en rappelant l’histoire longue de son kibboutz au sein des relations israélo-palestiennes depuis 1948, mais aussi en questionnant sa place dans ce kibboutz, et surtout en pointant les responsabilités partagées des dirigeants des deux pays dans le conflit actuel. Car, animé par la volonté de rappeler en quoi les massacres du Hamas ont provoqué une onde de choc dans son pays, l’auteur n’occulte pas pour autant la réalité symétrique des tueries par l’armée israélienne à Gaza.

“Il n’y a plus de leaders dans ce pays aujourd’hui – ni du côté israélien, ni du côté palestinien”, observe-t-il. “Ils sont remplacés par des psychopathes et des hommes égocentriques : certains d’entre eux rêvent d’une guerre sans fin et de l’anéantissement de l’autre camp, quel qu’en soit le prix ; d’autres sont trop faibles et incapables de s’opposer à ceux qui nous ont tous entraînés dans ce cauchemar. Ils ne se soucient pas le moins du monde de créer un avenir meilleur pour les générations à venir, et encore moins d’assurer la paix, aujourd’hui, pour mes filles et leurs amis, ou pour les innombrables enfants qui souffrent des horreurs de cette guerre dans les nouveaux camps de réfugiés de Gaza”. 

Ligne maginot

Amir Tibon rappelle d’ailleurs qu’il a décidé de s’installer à Nahal Oz parce que le kibboutz est “empreint d’une orientation politique résolument de gauche et libérale”, et que les résident·es de la zone frontalière font partie depuis des décennies des défenseur·euses les plus ardent·es de la paix israélo-palestinienne. Cherchant à Nahal Oz “communauté, espace et tranquillité”, séduits par ce “havre de verdure doté de grands arbres touffus et d’abondantes étendues d’herbe haute entourant des modestes maisons d’un étage”, dès leur première visite en 2014, Amir Tibon et sa femme s’étaient accroché·es à la certitude qu’Israël assurait leur sécurité, grâce à un réseau de murs souterrains, de caméras et d’autres dispositifs de sécurité. Comme tous·tes les résident·es des territoires frontaliers de Gaza, ils faisaient confiance au gouvernement et à l’armée : “il n’y avait aucun danger que nous nous réveillions un matin en trouvant des terroristes du Hamas devant notre maison”. Or, il s’est avéré que le mur souterrain n’était rien d’autre que la ligne Maginot d’Israël. Aux premières heures du 7 octobre, sous le couvert d’une massive attaque d’obus, les combattants du Hamas ont tout simplement franchi les clôtures, “en surface, au vu et au su de l’armée israélienne”. Comprenant très vite la gravité de l’attaque, Amir Tibon avoue avoir été traversé à la fois par la culpabilité, la peur et la colère. “Murmurant par peur de réveiller les filles, j’ai dit à Miri que tout était de ma faute : c’était moi qui avais eu l’idée de venir vivre ici, et maintenant nos vies risquaient de s’arrêter à cause de cela. ‘Je n’aurais jamais dû nous amener ici’, lui ai-je affirmé”.

Soutenu par sa femme, l’auteur décrit par le menu le soin qu’il eut alors d’apaiser ses filles, de leur faire garder le silence au sein de leur maison bunkérisée, en attendant que le père d’Amir, ancien général, ne vienne les secourir aux côtés des forces spéciales de la police. Une fois libéré de la menace, le journaliste a posté un message sur son compte X : “Nous sommes en vie. Nos filles sont des héroïnes. Elles ont attendu en silence dans notre pièce sécurisée pendant dix heures, sans nourriture ni électricité. Les soldats qui sont arrivés sont des héros. Et le plus grand héros est mon père, qui est venu de Tel Aviv, a conduit les soldats jusqu’à nous et a aidé à tuer les méchants. Nous prions pour nos voisins blessés et disparus.”

Sidération et espoir de réconciliation

À l’intensité de ce traumatisme, a succédé la furie de la riposte israélienne : “les bâtiments qui n’avaient pas été détruits depuis les airs ont été dynamités par les forces terrestres israéliennes ou, pour gagner du temps et de l’argent, simplement incendiés par les soldats”. En quelques semaines, Israël a transformé la ville de Gaza, dans sa quasi-totalité, en une étendue de terre brûlée. Devant les images qui surgissent de la bande de Gaza, des observateur·ices parlent aujourd’hui d’une nouvelle Nakba, la catastrophe de 1948, où des centaines de milliers de Palestinien·nes avaient quitté leur foyer.

Lucide et choqué par l’horreur de ce que vivent aujourd’hui les Palestien·nes, Amir Tibon n’a au fond que sa propre sidération à exprimer. “Je me suis demandé comment notre communauté pourrait se remettre de ce désastre. Et une voix dans ma tête m’a répondu : ‘Peut-être que nous ne nous en remettrons pas’, écrit-il, comme l’aveu d’un citoyen israélien traumatisé, et qui vaut pour tous les Palestinien·nes massacré·es par la suite. Le poids des lourdes portes de Gaza pèsent aujourd’hui sur celles et ceux qui vivent du côté palestinien autant qu’elles ont pesé le 7 octobre sur celles et ceux qui vivaient du côté israélien. Il s’agit de le savoir autant que de s’en souvenir ; c’est à cette double exigence que se tient le texte d’Amir Tibon, qui depuis le lieu où il se situe aimerait, en vain, trouver la voie d’une réconciliation. 

Amir Tibon, Les Portes de Gaza, Traduit de l’anglais par Colin Reingewirtz (480 p, 24 euros, sortie le 19 septembre)



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Author : Jean-Marie Durand

Publish date : 2024-09-18 14:25:45

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Tags :Les Inrocks

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