L’ultime film de Sophie Fillières (disparue il y a un peu plus d’un an), le superbe Ma vie, ma gueule, sort accompagné – joli chaperon – d’une rétrospective que lui consacre la Cinémathèque française jusqu’au 23 septembre. L’occasion de (re)voir Aïe (chef-d’œuvre), Gentille (chef-d’œuvre), Un chat un chat, Arrête ou je continue, La Belle et la Belle, etc., et son tout premier long, devenu invisible pour des problèmes de droits : Grande petite (1994), avec Judith Godrèche.
Les films de Sophie Fillières sont comme des trains qui filent dans la nuit. Mais qui ne vont pas tout droit, plutôt à la manière d’un “j’en ai marre, marabout, bout d’ficelle, selle de cheval”, tel un système d’associations d’idées. Des sauts de pensée qui ont tout à voir avec la psychanalyse lacanienne dont elle était une fervente adepte, qui l’aidait à entrer dans cette forêt sombre et désordonnée qu’est la vie et à y trouver un sentier pour y cheminer, tenter de continuer à avancer selon sa raison.
Logique poétique
Quand, dans le beau livre court mais dense Sophie Fillières, l’endroit de l’envers (qui vient de sortir chez Playlist Society et contient une riche interview de la cinéaste, film à film), on lui soumet l’idée que c’est toujours “une idée visuelle qui introduit un personnage”, elle répond : “Oui, qui dessine quelqu’un. Après, ça s’étoffe, par l’avant, par l’arrière, par la suite” – quel sens du rythme, de la scansion : une logique poétique.
Sophie Fillières était une amie : elle m’appelait “JayBee”, je l’appelais “Sophaille” – et je n’ai compris que récemment que cela sonnait “Soph-aïe”. Quand elle parlait de ses enfants, Agathe et Adam Bonitzer, Sophie disait en souriant, les yeux brillants : “Ils sont la prunelle de mes yeux.” Cette métaphore, a priori banale, commune, avait dans sa bouche une saveur littérale : elle la ressentait profondément, ce n’était pas un cliché. Aujourd’hui, que ses prunelles, à sa demande, ont monté son magnifique dernier film à sa place, cette image apparaît dans toute sa cohérence, sa clairvoyance prophétique, sa beauté d’arc-en-ciel. La boucle est bouclée, l’image a pris sens. C’est peut-être ça, être cinéaste : parvenir à donner un sens aux images qui vous travaillent. Vous trav-aïe, pardon.
Ma vie, ma gueule, de Sophie Fillières, avec Agnès Jaoui, Angelina Woreth, Édouard Sulpice. En salle le 17 septembre.
Sophie Fillières, l’endroit de l’envers, par Charlotte Garson, Quentin Mével et Dominique Toulat, Playlist Society, 144 pages, 12 euros.
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Author : Jean-Baptiste Morain
Publish date : 2024-09-18 11:57:17
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