Valencia est l’histoire d’une longue attente : publié en 2000 aux États-Unis, le livre de Michelle Tea a mis pas moins de 24 ans pour arriver sur nos rives. Cette petite bombe punk d’inspiration très largement autobiographique, suit les histoires sentimentales et autres aventures foireuses d’une jeune femme queer dans le San Francisco des années 1990 – “Valencia” étant le nom d’une rue du quartier de Mission, où vivent alors de nombreuses lesbiennes.
Comme le veut le genre de l’autofiction rock, il y a des soirées alcoolisées, des filles, un peu de drogue, un peu de baston, mais avec assez d’humour pour ne pas se prendre trop au sérieux (“Gwynn a mangé un hot-dog garni de tellement de merdes que je me suis demandé si c’était végé de l’embrasser”, lance par exemple la narratrice).
Michelle Tea n’a rien perdu de sa fibre punk
Au moment où ce récit de vingtenaire survoltée déboule en France, grâce à la petite maison d’édition Hystériques & AssociéEs (déjà à l’origine de la traduction des poèmes de Dorothy Allison, en début d’année), son autrice est désormais une figure très installée dans le paysage littéraire outre-atlantique. Et, bien que cinquantenaire, Michelle Tea n’a rien perdu de sa fibre punk. Les bras recouverts de tatouages, elle porte en ce moment le cheveu rose flashy, de grosses lunettes vintage et enchaîne les journées bien chargées.
Notamment parce que Michelle Tea s’est toujours débrouillée pour insuffler du collectif à cette activité solitaire qu’est l’écriture : “Je suis une personne sociable, se justifie-t-elle. Les choses sont juste plus fun avec des ami·es !”
Des soirées littéraires queers et féministes
À l’époque où elle couche sur le papier les textes qui formeront bientôt Valencia, au début des années 1990, elle vient de débarquer à San Francisco, quelques années après avoir claqué la porte de la maison familiale. “Je voulais vraiment faire partie du monde littéraire underground et queer d’Eileen Myles, de Cookie Mueller, de Dorothy Allison, se souvient-elle. Elles étaient mes héroïnes et je voulais me joindre à leur fête.” Dans la ville californienne, la mode est aux soirées “open mic”, où les poètes en herbe viennent tester leurs textes. Mais cette scène est très – trop – masculine. Après avoir un peu joué des coudes, Tea lance avec une amie sa propre soirée littéraire régulière, queer et féministe : “Sister Spit”
Alors que Michelle Tea revient d’une tournée avec un petit groupe de rock (“très mauvais”, de son propre aveu) dont elle est la batteuse, elle a soudain cette idée : et si les écrivains faisaient la même chose ? “J’aimais l’idée de parcourir le pays et je connaissais tellement d’autrices et d’auteurs qui étaient vraiment géniaux. Tout le monde était fauché, mais si nous organisions des soirées dans chaque ville, alors le voyage pourrait s’autofinancer.” Michelle Tea et ses comparses embarquent alors dans un van brinquebalant et se lancent dans une tournée “Sister Spit” façon punk band, en visitant les bars queers et lieux alternatifs aux quatre coins du pays.
Valencia est un carton immédiat
“À bien des égards, je dois ma carrière à Sister Spit”, constate aujourd’hui Michelle Tea. Les différentes tournées organisées au fil des ans – auxquelles se joignent notamment ses icônes Eileen Myles et Dorothy Allison – lui ont permis de se faire connaître, ce qui n’est pas pour déplaire aux maisons d’édition. “Je me souviens avoir rencontré quelqu’un de Seal Press pour un café à Seattle, au lendemain d’une soirée de Sister Spit, pour tenter de les convaincre de publier Valencia. Des personnes qui avaient assisté au show la veille sont venues nous voir et m’ont dit ‘Oh mon dieu, c’était génial hier !”. Là, je me suis dit, ‘c’est bon, ce bouquin va se faire !’”
Le bouquin se fait, en effet. Valencia, le deuxième texte de Michelle Tea, est tout de suite un carton, qui l’impose outre-atlantique comme une des figures incontournables de la scène littéraire queer. Il sera même adapté au cinéma en 2013, façon œuvre expérimentale, fruit d’une collaboration de pas moins de 20 réalisatrices et réalisateurs différents (une idée de Tea). Cette originaire du Massachusetts publie par la suite des ouvrages variés : d’autres textes autobiographiques – sa spécialité – mais aussi un peu de poésie, des essais, des fictions pour ados, ou encore co-signe l’autobiographie de Beth Ditto. En parallèle de tout ça, l’écrivaine s’occupe pendant dix ans de Radar Productions, une structure pour organiser divers événements littéraires. Toujours avec les ami·es, mais aussi pour faire émerger de nouvelles têtes.
Les mille projets de Michelle Tea
Chez Michelle Tea, l’expérience vécue et la littérature sont inextricablement mêlées. À 40 ans, alors qu’elle décide d’avoir recours à une PMA pour tomber enceinte, elle réalise qu’elle se sent un peu étrangère dans les espaces dédiés à la maternité, créés en premier lieu pour les hétéros, et où règne une vision des mères toutes entières dévouées à leur progéniture. Elle décide donc de lancer le site Mutha Mag, collaboratif bien sûr, où l’écriture fait vivre des parentalités un peu moins conventionnelles.
Le dernier projet en date de Tea est une maison d’édition queer, Dopamine, tout juste lancée et qui a pour but de publier des auteur·ices probablement un peu trop pointu·es pour les grosses machines de l’édition américaine. L’écrivaine débordée précise : “Je suis sur le point de me mettre à la relecture de notre prochaine anthologie collective.” Le collectif, encore et toujours.
Valencia, de Michelle Tea, Hystériques & AssociéEs. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jeanne Gissinger. 288 pages, 20€. En librairie.
Source link : https://www.lesinrocks.com/livres/vous-allez-enfin-pouvoir-lire-valencia-le-roman-queer-et-punk-de-liconique-michelle-tea-629560-18-09-2024/
Author : Marie Kirschen
Publish date : 2024-09-18 11:43:52
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