Le mouvement MeToo provoque-t-il des dommages collatéraux ? Comment éviter que certaines affaires le discréditent ? En tant que journaliste, où placer le curseur pour décider d’enquêter, ou non, sur une affaire de violences sexistes et/ou sexuelles ? Ce sont toutes ces questions, évidemment légitimes, que se pose Caroline Fourest au départ de son livre, Le Vertige MeToo (Grasset). Mais si l’essayiste, journaliste et réalisatrice promet d’y apporter des réponses objectives et nuancées, basées sur “des faits, rien que des faits”, comme elle s’en vante au Parisien, elle bafoue sa promesse le long de 300 pages éminemment subjectives, partiales, noircies de mensonges, d’erreurs et de ses obsessions très personnelles, qui n’ont pour finalité que celle de remettre en cause les fondements même du mouvement MeToo.
Ce brûlot réactionnaire, porté par une promotion conséquente, sème dans les esprits les graines d’un backlash anti-féministe auquel Caroline Fourest pourra se targuer d’avoir, aussi adroitement que malhonnêtement, contribué.
Le choix des mots
Pour ce faire, l’autrice se repose avant tout sur sa légitimité de féministe revendiquée, qui milite depuis plusieurs décennies pour les droits des femmes et des personnes LGBTQIA+ (étant elle-même lesbienne). “Caroline Fourest utilise le magistère féministe qui est le sien […] et au nom de cette légitimité, elle flingue en règle ce qu’a été l’apport du mouvement MeToo”, explique Clémentine Autain dans une vidéo postée sur sa chaîne YouTube au sujet de ce livre qu’elle considère “éminemment politique”.
De fait, le choix de son vocabulaire trahit, dès les premières pages, ses énormes contradictions, comme lorsqu’elle explique que “nous sommes passés sans préavis d’une société de l’honneur imposant le bâillon, à celle de la pureté maniant le bûcher et la délation”. Aucun mot ne semble ici à sa place s’il doit émaner de la bouche d’une féministe : le “bâillon”, qui appartient d’après elle au passé, est toujours largement utilisé dans les procès en diffamation, d’ailleurs appelés “procédures bâillons”. Quant au “bûcher”, il a bien été utilisé entre les XVème et XVIIème siècles pour brûler, rien qu’en France, des dizaines de milliers de femmes accusées de sorcellerie par des hommes, mais aucun homme n’a péri dans ce supplice depuis le début du mouvement MeToo (en tout cas, pas à notre connaissance, mais on peut toujours se tromper). Le choix des mots, même lorsqu’il est bien sûr métaphorique, a son importance, et ce serait sous-estimer l’écrivaine que de supposer qu’elle n’en a pas conscience.
Rhétorique réactionnaire
Le ton est donc donné dès les premières pages : ce livre que Caroline Fourest nous vend comme féministe, est en fait tout le contraire. Et l’essayiste va utiliser tous les moyens à sa disposition pour développer sa rhétorique réactionnaire. À commencer par de nombreux arrangements avec la vérité, dont certains ont été détaillés dans cet article de Mediapart intitulé Les Mensonges de Caroline Fourest, qui met en exergue les fausses assertions de cette dernière et appelle sa maison d’édition, Grasset, à prendre ses responsabilités.
Parmi les nombreux détournements de la vérité et raccourcis empruntés par l’autrice, le journal (qui représente, tout comme Clémentine Autain, la “gauche victimaire” que Fourest honnit) se défend par exemple de s’être “contenté de faire le service minimum”, comme elle l’écrit, sur l’affaire Tariq Ramadan, pour rappeler qu’il a consacré 28 articles à l’islamologue (contre, par exemple, 12 à Gérard Depardieu ou 22 à Gérald Darmanin). Tout au long de son livre, Caroline Fourest distille d’ailleurs le soupçon d’“islamo-gauchisme” et d’“antisémitisme” classique des réactionnaires, qui a largement fait le jeu du RN aux dernières législatives (pour lesquelles Fourest était en mode “ni/ni”).
Fact-check
À défaut d’avoir “fact-checké” tout son livre (ce travail aurait dû effectivement être minutieusement effectué par sa maison d’édition), nous avons relevé au moins une autre énormité relayée par Caroline Fourest pour servir son discours problématique. Elle concerne le réalisateur Ladj Ly, dont la journaliste s’étonne qu’il ait été ovationné par les féministes aux César l’année où Roman Polanski en était conspué. “Ce soir-là, écrit-elle, toutes les flèches sont tournées vers Polanski. Aucune ne visera Ladj Ly, pourtant condamné, plus récemment que lui, pour un raid machiste : avoir aidé un ami à enlever sa sœur, à l’enfermer dans un coffre de voiture, pour lui faire payer d’avoir flirté avec un homme.” Or ce qu’écrit Caroline Fourest est faux.
Ladj Ly a bien été condamné en 2011 à trois ans de prison ferme pour “enlèvement et séquestration”, comme le confirme cet article du Monde, mais la victime n’était pas une femme ! Si la célébration d’un homme violent est bien entendue discutable quel que soit le genre de sa victime, écrire noir sur blanc que le réalisateur a “aidé un ami à enlever sa sœur” et à “l’enfermer dans un coffre de voiture” dans un livre consacré aux violences faites aux femmes n’a évidemment pas le même impact sur l’imaginaire des lecteur·ices. Et l’on se demande parfois si ce qu’écrit Caroline Fourest ne relève finalement pas de ses seuls fantasmes.
Des allégations dangereuses sur Adèle Haenel
Comme dans ce sous-chapitre hautement problématique sur Adèle Haenel intitulé La Triste vie d’Adèle, où Caroline Fourest s’en prend à la vie privée de l’ex-actrice. Après avoir qualifié les agressions sexuelles de Christophe Ruggia d’“amour ‘déplacé’” (en mettant donc “déplacé” entre guillemets, comme s’il ne l’était pas totalement), et fait preuve d’une plus grande empathie pour l’agresseur présumé (“les conséquences de cette accusation seront très lourdes pour Ruggia”) que pour la victime (“ce dispositif qui a duré des années”, écrit-elle pour désigner les agressions sexuelles à répétition qu’elle dit avoir subies, “laisse des traces quand on se construit. Même si cela peut paraître peu à des femmes ou à des hommes violés par la force”), Caroline Fourest s’embarque dans des suppositions délirantes au sujet de la comédienne et militante, qui serait aujourd’hui “manipulée” et sous “emprise”.
Par respect pour Adèle Haenel, nous ne reproduirons pas ici d’extraits de ces allégations dangereuses et malaisantes, mais le moins que l’on puisse dire, c’est qu’aucun fait, aucune enquête rigoureuse, ne vient les étayer : en un mot, cet extrait des plus infondés montre à quel point Caroline Fourest est très loin de l’objectivité qu’elle prétend défendre.
Un sujet complexe traité sans nuance
À l’issue de ce livre éprouvant, où l’autrice qui s’affirme féministe passe son temps à minimiser la responsabilité des agresseur·euses et à déformer la réalité au prisme de son idéologie (anti-woke et réactionnaire, donc), on ne peut s’empêcher de ressentir un profond sentiment de gâchis. Gâchis pour le piétinement à gros sabots du combat mené par les féministes ces dernières années, mais aussi gâchis de voir des questions aussi importantes et délicates traitées avec si peu de raison et d’élégance.
Parmi les cas que met Caroline Fourest en avant, certains sont d’ailleurs parfaitement questionnables et méritaient bien leur analyse à froid, comme la mort sociale qu’a subie Eric Brion, ancien patron de la chaîne Equidia, suite à la révélation d’un texto graveleux et offensant par la journaliste Sandra Muller avec le hashtag #BalanceTonPorc, ou la tragique affaire de trouple qui a donné naissance au #MeTooGay. Mais Caroline Fourest est, in fine, une très mauvaise avocate de ces victimes collatérales présumées. Telle une enfant qui crie abusivement au loup, on se demande à chacun de ses écrits où se situe la vérité. Ne cherchons pas plus loin : elle est sans doute ailleurs.
Le Vertige MeToo, de Caroline Fourest (Grasset), 336 pages, 22 euros
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Author : Faustine Kopiejwski
Publish date : 2024-09-20 14:04:04
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