En 1943, la bataille de Koursk avait vu se dérouler le plus grand combat de chars de l’Histoire, opposant les troupes allemandes à l’Armée rouge. Un peu plus de 80 ans plus tard, dans la torpeur de l’été, c’est dans cette même région que les forces ukrainiennes ont donné l’assaut, le 6 août, marquant la première incursion d’une armée étrangère sur le sol russe depuis la Seconde Guerre mondiale. Un camouflet inédit pour Vladimir Poutine et l’une des manœuvres les plus audacieuses de l’armée ukrainienne, qui, rapidement, a capturé une centaine de localités et pris le contrôle de 1200 km² de territoire. Plus d’un mois après le début de cette action spectaculaire se pose maintenant un nouveau défi pour les forces de Kiev : tenir leurs gains dans la durée, face à la contre-offensive russe lancée dans la région mi-septembre.Aux quelque 11 000 soldats russes présents sur place initialement pour assurer la défense – dont de nombreux gardes-frontières et conscrits -, se seraient récemment ajoutés environ 40 000 hommes, a indiqué Volodymyr Zelensky le 19 septembre. En face, lors de son assaut début août, l’Ukraine avait aligné une force de 10 000 à 15 000 militaires comptant parmi ses unités les plus expérimentées, avant de renforcer progressivement sa présence dans la zone. “Aujourd’hui, il y aurait entre 20 000 et 30 000 soldats ukrainiens mobilisés dans ce secteur du front”, note Thibault Fouillet, directeur scientifique de l’Institut d’études de stratégie et de défense (IESD) de l’université Lyon III. Le délai mis par Moscou pour déployer des troupes fraîches leur a permis de consolider leurs gains. A ce stade, l’armée ukrainienne contrôle toujours une avancée en territoire ennemi d’environ 20 kilomètres de profondeur, pour une quarantaine de large, comprenant des dizaines de localités, dont la petite ville de Soudja (environ 5000 habitants).Attaques sur les flancsUne semaine après le début de leur contre-attaque, les forces russes ont toutefois revendiqué la prise de plusieurs villages, notamment sur le flanc ouest de la zone contrôlée par Kiev. “L’objectif du commandement russe est de couper les forces ukrainiennes en deux, grâce à un mouvement de cisaille, pour tenter d’encercler les troupes se trouvant en première ligne, pointe Pavlo Lakiichuk, directeur des études de sécurité de l’institut ukrainien Centre for Global Studies Strategy XXI. Au vu du manque de soldats russes sur place, cela ne semble cependant pas encore être le début d’une contre-offensive à grande échelle.” Selon le média ukrainien RBC-Ukraine, les autorités russes auraient ordonné à leurs troupes de bouter les Ukrainiens hors de leur territoire d’ici la mi-octobre.Le calendrier semble plus qu’optimiste. “Monter une manœuvre comme celle-ci prend énormément de temps pour planifier le mouvement de milliers de soldats vers l’avant, accumuler la logistique nécessaire, et constituer des réserves en hommes, liste le général Nicolas Richoux, ancien commandant de la 7e brigade blindée. Cela semble totalement irréaliste en seulement quelques semaines.” Pour le moment, le contingent russe présent dans le secteur paraît encore bien maigre pour tenter une action de cette ampleur. “Une offensive demande généralement un minimum de trois assaillants pour un défenseur, rappelle Thibault Fouillet de l’IESD. Ils pourraient en revanche utiliser ce rapport de force légèrement favorable pour grignoter progressivement les positions ukrainiennes, même si cela prendra plus de temps.” Les pertes humaines ukrainiennes – relativement faibles au début de leur offensive – pourraient en tout cas augmenter à mesure que la Russie déploie ses troupes dans la région.Le risque d’un succès provisoireConscientes des risques, les forces ukrainiennes ont d’ores déjà entrepris de fortifier leurs positions. Elles avaient, dès les premières semaines de l’offensive, commencé à creuser des tranchées, indiquant une volonté de tenir leurs gains dans la durée. Parallèlement, une série de frappes a aussi été conduite sur plusieurs ponts de la rivière Seym, qui scinde l’ouest de la région, pour perturber la logistique russe et les efforts de Moscou pour bâtir une défense cohérente dans le secteur. Dans un entretien à l’AFP le 18 septembre, le porte-parole du commandement régional ukrainien Oleksiï Dmytrachkivsky, a affirmé que la contre-offensive lancée par les troupes russes dans la région avait été “stoppée” et que la situation dans la zone avait, pour le moment, été “stabilisée”.Pour les Ukrainiens, en difficultés sur le front du Donbass, et dont l’objectif principal était de contraindre la Russie à piocher dans ses troupes présentes dans la région de Donetsk pour les redéployer à Koursk, la capacité à tenir le territoire russe dépendra surtout des efforts consentis par Moscou pour le reprendre. “Si les Ukrainiens parviennent à tenir leurs positions dans la durée, les Russes seront confrontés à un dilemme : soit accepter de laisser temporairement leur territoire aux mains de Kiev, soit consacrer plus de moyens pour le reprendre en allant chercher des troupes ailleurs – au risque de ralentir leur progression dans le Donbass, souligne Thibault Fouillet. Pour le moment, ils semblent avoir fait le premier choix.”Contrairement aux espoirs ukrainiens, la Russie a de fait plutôt intensifié ses efforts dans la région de Donetsk ces dernières semaines, progressant dangereusement en direction de la ville stratégique de Pokrovsk. En déplaçant une partie de ses forces vers Koursk, l’armée ukrainienne a toutefois fait le pari que les avantages de son opération l’emportaient sur les risques encourus sur le front est. “Le principal danger pour les Ukrainiens serait celui d’un succès tactique provisoire à Koursk, qui se transforme en défaite stratégique à plus long terme avec un affaiblissement important dans le Donbass, jauge le général Richoux. D’ici la fin de l’année, on saura sans doute s’ils ont eu raison de lancer cette offensive ou pas.” Plus que jamais pour les Ukrainiens, les prochains mois s’annoncent décisifs.
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Author : Paul Véronique
Publish date : 2024-09-21 09:45:00
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