Voir Megalopolis encourage moins à réexplorer la partie la plus émergée et unanimement reconnue de la filmographie de Francis Ford Coppola (Le Parrain, 1972 ; Apocalypse Now, 1979) qu’il invite à en arpenter les échos de son versant le plus expérimental, aussi fragile que sublime (Coup de cœur, 1981 ; L’Homme sans âge, 2007 ; Twixt, 2011).
De part et d’autre de ce péplum rétrofuturiste et anarchique, l’utopie et la déchéance se regardent dans le blanc des yeux. D’un côté, il y a César Catilina (Adam Driver), architecte révolutionnaire et idéaliste à l’ambition dévorante, trônant avec littéralité au sommet de sa tour d’ivoire, capable d’arrêter le temps et inventeur d’un matériau miraculeux, le Megalon. De l’autre, il y a Franklyn Cicero (Giancarlo Esposito), maire conservateur, prônant le béton, l’acier et la continuité, prêt à tout pour la double sauvegarde de sa famille et de la civilisation.
Megalopolis exploite cette polarisation pétrie dans un maelstrom de citations cinéphiles, philosophiques, ésotériques ou catastrophistes, voyage énamouré de Shakespeare à Fritz Lang en passant par Marc Aurèle et King Vidor. Mais si Coppola prophétise une chose, c’est bien son impériale imprévisibilité, en pleine maîtrise de son destin.
Megalopolis est fascinant par sa matière même, écrin grandiloquent qui nous plonge dans une incertitude profonde. Comme lors de cet échange de baisers sur les poutres métalliques suspendues au-dessus de la ville, Coppola, à la fois savant, gamin et démiurge, continue de façonner le chantier de son propre romantisme, l’architecte et le cinéaste ayant en commun un amour illimité pour les “plans”. Irrigué par la tendresse, la mélancolie et la débauche, le film fait fondre l’or de ses images qu’il déverse sur un récit charivarique qui progresse par secousses.
Création et destruction du monde sont les deux forces motrices du film
Tout Megalopolis est ainsi sculpté dans cette matière d’or vivace, frémissante et ostentatoire. Comme le corps momifié de Tim Roth qui ouvrait L’Homme sans âge, le visage troué d’Adam Driver sur lequel on appose le Megalon tend à se régénérer. C’est l’optimisme profond qui habite le film, sa lutte contre la putréfaction. Il y répond par une forme d’angélisme, d’artificialité exacerbée. L’épopée semble ne jamais toucher terre et, comme les statues colossales prennent soudain vie dans la cité, elle s’anime de toutes parts via de multiples feux incandescents.
Cette mise en scène du spectacle du chaos (création et destruction du monde sont les deux forces motrices du film) rabiboche l’art forain et la science-fiction, Hollywood et le théâtre expérimental, sans se retourner sur les débris laissés par le fracas de ses images. Repoussant les limites de l’autofinancement, la maxi-technologie fastueuse que s’est offerte Coppola ne joue plus selon les règles des studios. Il a créé son œuvre comme César a bâti sa ville, chimère divagante arrachée à un monde aberrant. Accomplissant enfin son rituel malade, le cinéaste reste plus que jamais un phare doré dans la nuit noire du cinéma.
Megalopolis de Francis Ford Coppola, avec Adam Driver, Giancarlo Esposito, Nathalie Emmanuel (É.-U., 2024, 2 h 18). En salle le 25 septembre.
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Author : Arnaud Hallet
Publish date : 2024-09-22 07:00:00
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