En 1986, Golden Eighties semble d’abord arriver par surprise dans la filmographie de l’autrice de Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 B, loin du style Akerman, de sa part d’ombre, noctambule et taiseuse. C’est une comédie musicale aux inspirations très Demyesque : Delphine Seyrig, en nouvelle Jeanne D., sauvée de la mécanique des gestes domestiques, y est le double évident d’Yvonne Garnier (Danielle Darrieux, la mère des Demoiselles de Rochefort), quand John Berry, dans la peau de l’amant éconduit, se confond avec le souvenir de Monsieur Dame (Michel Piccoli).
L’action de Golden Eighties se situe dans une galerie marchande où Jeanne Schwartz (Seyrig donc) et son mari (Charles Denner l’homme qui aimait les femmes chez Truffaut et qui n’en aime qu’une ici) tiennent une boutique de vêtements. En face, un salon de coiffure devient le théâtre d’une rivalité amoureuse.
Une vision moderne des relations amoureuses
Avec son charme facétieux, son kitsch très années 1980, ses mélodies sautillantes, son humour et sa légèreté de façade, Golden Eighties est pourtant bien un film de Chantal Akerman qui renferme certaines de ses plus vives obsessions. Les motifs de l’enfermement, de l’ennui (“je veux vivre !, dira Lili comme une princesse recluse dans son donjon) sont omniprésents. Aucune lumière du jour n’infiltre ce décor de maison de poupée et pourtant les grandes vitrines des boutiques invitent à un voyeurisme délibéré. Les cabines d’essayage et de massage sont les lieux à peine secrets pour les confidences et les baisers volés. Sur scène ou en coulisses, les femmes doivent tenir leur condition de genre comme ces mannequins en plastique immobiles dans leur cage de verre – seule une cliente, après le commentaire d’un homme sur son physique, lâchera “et si moi je ne veux plaire à personne !”.
Badinage amoureux et grand ballet de sentiment certes, Golden Eighties n’en est pas moins actuel et moderne dans la vision qu’il offre de l’amour, du mariage, du couple ou encore de la passion, données brouillées, ambiguës, en crise. Chantel Akerman démystifie l’ensemble, regarde ce grand tumulte avec beaucoup de joie et d’amusement, sans cynisme aucun (on aperçoit dans un plan son reflet et son visage illuminé d’un sourire).
Une comédie musicale anti-romantique
L’amour dans Golden Eighties, c’est peut-être son grand enseignement, est mouvant, interchangeable comme une robe. C’est peut être le signe du changement, d’une époque, le symptôme du grand capital qui ne fait que peu de différence entre commerce et sentiments. C’est aussi l’expression d’une vision anti-romantique du monde, loin du mythe du prince charmant.
Chantal Akerman voulait que l’épreuve du temps passe dans ses films. Dans Golden Eighties, il file à toute allure avec frénésie, différemment que dans ses précédents longs, presque de biais. Il se mesure et s’éprouve moins dans la durée des plans, qu’à travers le visage des personnages où se décèlent le poids des joies et des déchirures, celles du temps perdu et du temps retrouvé.
Golden Eighties de Chantal Akerman – ressortie en salle dès le 25 septembre dans le cadre d’une rétrospective Chantal Akerman
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Author : Elsa Pereira
Publish date : 2024-09-24 13:29:29
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