Philippe Collin est un producteur réputé de France Inter. On lui doit entre autres, avec son complice d’alors Xavier Mauduit, Panique au Mangin Palace, une “folie” qui rameuta près d’un million d’auditeur·ices. Mais c’est dans un autre exercice radiophonique que le talent de Philippe Collin va croître : le podcast historique. Une dizaine à ce jour, dont celui, magistral, consacré à Léon Blum.
Leur audience cumulée atteint les 20 millions. N’en jetez plus ? Si ! Car ce juvénile zébulon bientôt cinquantenaire, qui a aussi tâté de la télé (Personne ne bouge sur Arte) et de la bande dessinée (Le Voyage de Marcel Grob avec Sébastien Goethals) vient de s’aventurer dans un genre pour lui inédit : le roman historique.
Les ventes explosent
En avril de cette année, il publie Le Barman du Ritz, portrait documenté mais en partie imaginaire d’un certain Frank Meier, barman du fameux palace parisien pendant la Seconde Guerre mondiale. Le livre dès sa sortie est repéré, les ventes s’envolent et pendant l’été elles explosent. Le Barman du Ritz est un best-seller qui atteint mi-septembre les 163 000 exemplaires vendus. Les raisons d’un tel succès sont complexes et parfois indémerdables. Le plus simple, c’est d’en parler avec son auteur.
Dans une brasserie parisienne, la rencontre est chaleureuse et foutraque. On parle de tout mais pas beaucoup du livre. Lors d’un deuxième entretien plus “sérieux”, le badinage vire à l’enquête sur la généalogie de ce succès. Philippe Collin qui carbure à l’enthousiasme parle de son livre comme s’il ne l’avait pas encore écrit et comme si on ne l’avait pas lu. D’abord pour remonter à son origine : “En 2002 France Inter m’envoie interviewer Yoko Ono au Ritz. C’était un monde parallèle qui n’était pas le mien. Au bar, je sympathise avec le barman en chef, Colin Field, qui me parle d’un de ses prédécesseurs, Frank Meier, qu’il considère comme une figure tutélaire. Pendant trois semaines le dimanche soir je retrouve Colin Field au Ritz jusqu’à ce que d’un seul coup se pose une question : quid du destin de Frank Meier pendant l’Occupation où il est aux manettes du bar ? Le palace qui appartient à des Suisses, la famille Ritz, est le seul grand hôtel parisien qui n’est pas fermé. Une sorte de zone neutre où les dignitaires nazis séjournent. Le Ritz continue à faire ses affaires et Frank Meier sert ses cocktails aussi bien aux Allemands qu’aux collabos ou aux célébrités comme Sacha Guitry ou Jean Cocteau. Mais aussi à des personnes plus interlopes : trafiquants, prostituées et résistants infiltrés. Pour la propagande nazie c’est une aubaine : regardez, le gay Paris est en pleine forme. C’est un petit théâtre de la vie française sous l’Occupation et au cœur de ce théâtre, acteur et metteur en scène, Frank Meier.”
Une enquête qui dure 10 ans
Collin enquête pendant dix ans sur Meier, à la fois transparent et opaque, puisque au fil du temps, il découvre que cet Autrichien d’origine était juif. Un juif qui rince des nazis ? C’est ce paradoxe intriguant qui encourage Philippe Colin. “Peu à peu cette personne devient un personnage. Et je décide d’en faire le héros d’un roman qui n’est pas historique au sens strict. Car je ne vais pas cacher qu’en filigrane c’est aussi un livre sur moi. L’histoire d’un type qui s’extirpe de sa condition sociale modeste pour s’inventer une nouvelle vie”. Une auto-analyse sauvage ? “C’est une expérience bizarre et complètement barrée. Je me suis emparé de la vie d’un autre pour comprendre la mienne. Je me dévoile et je me planque”.
Ce cocktail entre vie privée et histoire publique expliquerait le succès ? “La période de l’Occupation connait tous azimuts un regain d’intérêt car nous vivons un retour de l’idéologie fasciste qui fit florès pendant la guerre Si ce livre donne des armes pour comprendre et combattre notre inquiétant présent j’en serais fier. J’ai voulu faire un ouvrage de pédagogie populaire. Il trouve un écho, c’est une bonne nouvelle”. Mais la part autobiographique masquée ? “Je pense que lectrices et lecteurs se posent la même question que moi : qu’est-ce que j’aurais fait pendant l’Occupation ? Et surtout que faut-il faire aujourd’hui quand la bête immonde se met de nouveau à rugir ?”
Le Barman du Ritz (Albin Michel), 395 ps, 21,90 €
Source link : https://www.lesinrocks.com/livres/que-vaut-le-best-seller-le-barman-du-ritz-lhistoire-dun-barman-juif-qui-servait-a-boire-aux-nazis-630217-26-09-2024/
Author : Gérard Lefort
Publish date : 2024-09-26 10:51:03
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