Considérée comme l’une des biennales internationales les plus prestigieuses depuis sa création en 1991, la Biennale de Lyon se déplace pour sa 17e édition du côté d’Oullins, sur le lieu-dit de La Mulatière, au sud-ouest de la métropole où, durant un siècle et demi, des ateliers de la SNCF furent dédiés à la construction et à la réparation de locomotives et de moteurs. Haut lieu de la mémoire ouvrière, aujourd’hui transformé par la Métropole de Lyon en espace culturel – Les Grandes Locos –, cet immense paysage de ruines industrielles, dispersées en plusieurs halles, s’apprête à abriter jusqu’à la fin de l’année les œuvres d’une soixantaine d’artistes.
Leur premier défi était de découvrir un lieu ajusté à un environnement architectural écrasant et merveilleux à la fois. Alexia Fabre, directrice des Beaux-Arts de Paris, à qui la codirectrice de la biennale Isabelle Bertolotti a confié le commissariat de cette édition, s’est vite rassurée en constatant que tous·tes les artistes, une fois venu·es sur place, se sentaient inspiré·es “par le lieu chargé d’histoire, par ses perspectives et ses cicatrices”. “En invitant des artistes que j’aime, qu’ils soient plasticiens, musiciens, metteurs en scène ou auteurs, j’ai voulu qu’ils construisent un dialogue avec ce lieu, qu’ils se mettent en relation avec lui, qu’ils le fassent résonner dans leurs voix”, précise Alexia Fabre.
Des œuvres qui subliment l’altérité
Présent·es aussi au macLYON et à la Cité internationale de la gastronomie, tous·tes les artistes (dont 60 % environ vivent en France) s’insèrent dans un récit global qu’Alexia Fabre rattache à la question de l’altérité, de la relation, de l’accueil. Guidée par la géographie lyonnaise et sa célèbre confluence du Rhône et de la Saône, elle a intitulé la biennale Les Voix des fleuves – Crossing the Water (en référence à un poème de Sylvia Plath qu’elle affectionne) pour rappeler que le point de rencontre des eaux symbolise aussi la nécessité, politique et artistique, de penser l’hospitalité, l’échange, le mélange. Être irréductiblement exposé·e à la venue de l’autre : c’est autour de cette idée, ouverte à de nombreuses déclinaisons – les rituels d’accueil, les formes du soin et de la réparation, les révoltes contre l’ordre sécuritaire, la joie des liens affectifs –, que s’est construite la programmation de la Biennale de Lyon.
Plusieurs projets participatifs se déploient autour de la cocréation, comme ceux de l’artiste lituanienne Lina Lapelytė, qui mène un programme choral avec des enfants du territoire, du compositeur Bastien David, qui a écrit une partition vouée à être jouée par le public, de la musicienne et philosophe Agnès Gayraud, qui a créé un projet participatif autour des chansons d’amour, ou encore de la metteuse en scène Lorraine de Sagazan, qui a inventé un rituel de justice restaurative. Le sujet de l’accueil s’élargit à la question de l’exil et du déplacement avec le travail de deux artistes d’origine palestinienne, Taysir Batniji, dont l’œuvre fait écho à la situation des Palestinien·nes, et Majd Abdel Hamid, dont la pratique s’ancre dans les gestes cathartiques de la broderie.
Construire des ponts
Honorant des figures déjà installées (Annette Messager, Ange Leccia, Hélène Delprat, Edi Dubien, Myriam Mihindou, Sylvie Fanchon, Jeremy Deller…), voire mythiques (Chantal Akerman, Christian Boltanski), la polyphonie des voix des fleuves lyonnais met surtout en lumière une jeune génération d’artistes, parmi lesquel·les Sofía Salazar Rosales, Matthias Odin, Florian Mermin, Clara Lemercier Gemptel, Meri Karapetyan, Victoire Inchauspé, Juliette Green… Dans ces croisements générationnels et formels, dans ces échos entre le passé d’un lieu habité et le futur politique que l’art permet d’entrevoir par des gestes et des sons prêts à raccorder des forces dispersées par l’ordre sec et dissonant du monde, la Biennale de Lyon invite à imaginer des ponts : au-dessus du fleuve et de la rivière, comme au-dessus des rêves abîmés de l’attention à l’autre.
Les Voix des fleuves – Crossing the Water, 17e Biennale de Lyon, aux Grandes Locos, La Mulatière, jusqu’au 5 janvier 2025.
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Author : Jean-Marie Durand
Publish date : 2024-09-27 09:39:07
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