Vous vous êtes déjà rencontrés ?
Luz — On s’était croisés en fin d’émission, en 2015 ou 2016.
Guillaume Meurice — Ça devait être Si tu écoutes, j’annule tout [sur France Inter, de 2014 à 2017].
Luz — On avait bu énormément de rhum…
Guillaume Meurice — On parle d’un temps avant Macron, la préhistoire.
Qu’est-ce que l’un évoque pour l’autre ?
Guillaume Meurice — J’étais un grand lecteur de Charlie Hebdo, avant que Philippe Val ne tue le journal. On peut commencer à dire du mal des gens ?
Luz — Philippe Val ? Je ne sais pas qui c’est. Un mec qui a dirigé France Inter ?
C’est un premier point en commun, Philippe Val…
Guillaume Meurice — Oui, parce que quand j’ai commencé à France Inter, c’était Philippe Val qui en était le directeur [de 2009 à 2014].
Luz — Toi, tu n’as pas eu Charb en rédacteur en chef, pas de bol !
Guillaume Meurice — Non, mais je l’ai eu au téléphone, parce qu’il avait été question que j’écrive pour Charlie à un moment. On s’est eus trois fois au téléphone et on s’était croisés à la Fête de L’Huma. Ça me faisait marrer qu’il soit au stand de Cuba.
Luz — Vous avez dû boire énormément de rhum aussi avec lui.
© Julien Lienard pour Les Inrockuptibles
Quel genre de chronique Charb t’avait-il proposé ?
Guillaume Meurice — C’est moi qui lui avais proposé, parce qu’à l’époque je lisais beaucoup le journal. C’était il y a tellement longtemps… Je suis très admiratif des dessinateurs de presse. Mes parents étaient marchands de journaux, mon père lecteur de Charlie, du Canard enchaîné. Il me faisait lire du Reiser quand j’étais ado. Nous, les humoristes, quand on fait une blague, on est obligés d’en expliquer les prémices, alors qu’avec un dessin de presse, c’est vachement plus efficace. Tu te prends directement le truc. Je suis admiratif et jaloux.
Luz — Alors moi, là où je suis admiratif, c’est que toi, tu es vraiment dans l’actu. Non seulement tu travailles sur l’actu, mais tu en es même devenu le sujet.
Guillaume Meurice — C’est Pascal Praud qui en a décidé ainsi. Toi, tu as décroché de l’actu, tu en avais marre ?
Luz — Maintenant, je crée des mondes à moi. Un bouquin de 300 pages, tu convies les gens. Alors que toi, tu te couvres de miel et tu dis : “Salut les abeilles, je vous encule.”
Guillaume Meurice — C’est un jeu. Et quand je dis ça, je sais que j’ai la chance d’être un mec blanc et hétérosexuel. C’est un privilège. Quand je vois ce que prennent les meufs sur les réseaux sociaux ! Personne ne vient me dire : “Je vais te violer.” Si vous voulez m’attaquer, j’en ferai des blagues. Je ne le vis pas mal. Après, les rapports de force m’intéressent. La polémique autour de ma blague sur Benyamin Netanyahou [le 29 octobre 2023, dans Le Grand Dimanche soir sur France Inter, il avait parlé de Netanyahou comme d’“une sorte de nazi mais sans prépuce”] m’a intéressé au premier degré. J’étais au centre du bordel, j’en ai fait un bouquin d’ailleurs [Dans l’oreille du cyclone]. Je me suis dit : “Tiens, c’est intéressant de voir comment chacun se positionne, qui me défend, qui n’ose pas me défendre, pourquoi ces gens-là disent ça.”
Luz — Il faut être sur les réseaux pour prendre la dimension de tout ça. Moi je n’y suis pas.
“J’aime bien alimenter faire un tweet et voir Pascal Praud s’énerver. Pendant ce temps-là, il ne fait pas chier les Arabes” Guillaume Meurice
Guillaume Meurice — Moi j’y suis et je m’en fous. Je ne vais pas voir les commentaires, de toute façon, c’est toujours la même chose. Certains te disent que tu es une merde, d’autres que tu es un génie. Moi, je sais que je ne suis ni l’un ni l’autre. Je suis un gars qui fait des blagues, et voilà. Mais j’aime bien alimenter la machine, faire un tweet et voir Pascal Praud s’énerver. Je me dis que ça l’occupe. Pendant ce temps-là, il ne fait pas chier les Arabes.
Luz — J’ai zéro follower, du coup, les gens me parlent en librairie, même si je ne fais plus tellement de dédicaces. Ou alors des dédicaces secrètes.
Guillaume Meurice — Tu aimais bien faire des dédicaces ?
Luz — J’adorais ça. Déjà, les gens qui viennent aux dédicaces, ils ne te tapent pas dessus.
Qu’est-ce qui vous rapproche ? Une manière de se positionner dans le débat public ? Une manière de faire du rire un outil politique ? Comment imaginez-vous votre complicité secrète ?
Guillaume Meurice — C’est Inrocks-compatible comme réponse, mais j’imagine que c’est la mise à distance du réel. Le réel nous emmerde. Et il y a quelque chose d’enfantin. Luz est payé pour faire des dessins et moi pour faire des blagues. Ça n’a pas de sens.
Luz — Deux métiers très dangereux.
Luz, tu avais expliqué qu’il valait mieux faire des révolutions avec le sourire aux lèvres plutôt que les sourcils froncés. Est-ce que ce sourire aux lèvres, c’est quelque chose qui peut vous réunir ? Et d’où ça vient ?
Luz — [Luz s’allonge sur le divan, les jambes sur Meurice, prétendant être chez le psy] J’avais fait une affiche pour la Fédération anarchiste, avec deux personnages bras dessus, bras dessous, le poing en l’air et super-hilares. Quand j’avais vu les affiches à côté de chez moi à l’époque, ils avaient ajouté des sourcils froncés. Ils ne trouvaient pas ça assez vénère.
Je pense justement qu’on donne la possibilité aux gens qui nous lisent et qui nous écoutent de ne pas s’obliger à être absolument vénères. Quand tu es dans un club, tu danses, tu te soulages et tu es lessivé, suffisamment pour te remplir de nouvelles idées le lendemain. C’est peut-être ça qui nous rapproche dans nos métiers.
Je ne sais pas si tu es fan de Gébé, mais je fais toujours référence à son Un pas de côté [album paru en 2002]. L’actualité, c’est prendre un camion dans la gueule en permanence, et nous, on fait constamment un pas de côté. Pas forcément pour l’éviter, mais pour voir qui est au volant.
© Julien Lienard pour Les Inrockuptibles
Ce petit sourire en coin, c’est aussi ce qui achève d’énerver ceux et celles que vos blagues attaquent ?
Guillaume Meurice — On va être précis sur la sémantique : moi, je n’attaque personne. J’y tiens, parce que souvent on me dit : “Tes cibles, c’est ça, Machine, tu tapes sur…” Moi je n’ai jamais tapé sur personne.
Luz — C’est intéressant, parce qu’au sortir du 7 janvier [2015], on entendait “votre stylo est une arme”. Tout ce vocabulaire guerrier nous échappe. Ce n’est pas nous. Si on fait ces métiers, c’est justement parce qu’on est des pacifistes dans l’âme.
Guillaume Meurice — On est nuls en bagarre, de base.
Luz — Tu t’es déjà bagarré ?
Guillaume Meurice — Non, mais j’ai pris un poing dans la gueule à un meeting de Sarkozy, à la Concorde, en 2012. Si tu veux me casser la gueule, ce n’est pas compliqué. Mais pour l’agresseur, il n’y a pas tellement de défi. Il va me mettre une patate, je vais tomber, je ne sais pas ce que lui fera de son estime de soi après ça.
Luz, tu parlais de l’humour comme un substitut à la guerre. C’est ce que reproche un auteur comme Pacôme Thiellement, qui avait écrit Tous les chevaliers sauvages, critique de l’humour contemporain qui ne ferait pas rire, parce qu’il ne délivrerait de rien, contrairement à la génération Choron, Cavanna, Topor. Est-ce que vous partagez ce constat ?
Luz — En creux, ça semble dire “c’était mieux avant” ou sous-entendre qu’avec Hara-Kiri, le Charlie des années 1970, on pouvait tout dire, tout faire, tout dessiner. Je pense que ce n’est pas un mal de ne plus faire les mêmes choses qu’hier. Peut-être que c’est notre responsabilité de faire évoluer l’humour, même si on s’inscrit dans cette filiation.
“À Charlie, j’étais le spécialiste de l’extrême droite, au point de devenir maboul. Je faisais des dessins sur Papon, j’écoutais Radio Courtoisie en boucle” Luz
Tu peux rire quand tu écoutes les humoristes contemporain·es ? Tu es client de ça ?
Luz — Bah oui. Je suis client des chroniques de Meurice. Non, pas client, attentif. J’aime tes chroniques. J’ai trouvé le spectacle d’Aymeric Lompret [Yolo] incroyable. Justement parce qu’il crée un monde de poésie. Je ne sais pas s’il en est conscient.
Guillaume Meurice — En vrai, il n’en est pas conscient. Mais je lui dis la même chose.
Luz — Il peut tout mettre dans ce monde. Il faut créer des espaces safe, un contexte, pour soi mais aussi pour les autres, afin de pouvoir rire de ce que l’on veut. Je n’ai jamais autant ri depuis quelques vidéos de Ricky Gervais. Qui sont moins poétiques.
Guillaume Meurice — Je me méfie des gens qui disent que c’était mieux avant, surtout quand ça concerne l’humour. À l’époque d’Hara-Kiri, il y avait des chansonniers de droite aux Deux Ânes [théâtre parisien fondé en 1922], par exemple. Il y a toujours eu plusieurs traditions qui se chevauchent dans l’humour.
On nous sort souvent la carte Coluche. Mais, déjà, il y avait d’autres humoristes à l’époque, et surtout, il y a plusieurs Coluche. Il y a eu le Coluche des débuts, un peu dans l’absurde comme Lompret, puis le Coluche un peu plus critique et enfin le Coluche populiste, celui qui dit que les fonctionnaires ne foutent rien.
© Julien Lienard pour Les Inrockuptibles
Mais l’humour est extrêmement éclaté aujourd’hui…
Guillaume Meurice — Mais ça a toujours été comme ça. C’est comme si tu disais : “Maintenant, il y a des peintres qui ont des styles différents.” Bah ouais. Depuis Cro-Magnon.
Luz, ton travail a été connu du grand public à la fin des années 1990, notamment avec ta série sur les Mégret, Les Mégret gèrent la ville, dans le cadre de la montée du FN à l’époque. Est-ce que ce fil d’un combat contre l’extrême droite est quelque chose que vous revendiquez l’un et l’autre ?
Luz — Je fais un petit retour historique. Quand je suis arrivé à Charlie, l’un des trucs qu’on faisait, c’était du reportage. On m’avait lâché dans la nature, notamment parce que Cabu ne pouvait plus en faire parce que trop reconnaissable. J’étais donc le spécialiste de l’extrême droite, au point de devenir maboul. Je faisais des dessins sur Papon, j’écoutais Radio Courtoisie en boucle. Un jour, un pote m’a dit : “Pourquoi tu es si marrant dans la vie et aussi chiant quand tu dessines ?”
J’étais devenu tellement obsédé par le combat politique que je ne savais plus être léger. Les Mégret gèrent la ville, ça m’a fait basculer ailleurs. Parce que ma première influence, ce n’était pas Bruno Mégret, mais Calvin et Hobbes [comic strip de Bill Watterson, de 1985 à 1995]. En dessinant des fachos, je pouvais enfin libérer l’esprit de ceux qui luttaient à Vitrolles tout en leur défronçant les sourcils. C’est important de parler de ça, parce que pour moi, c’est un moteur. Je repense à ces strips en me disant de ne pas oublier d’être généreux dans l’humour.
Guillaume Meurice — En parlant de défroncer les sourcils, notre travail, c’est d’avoir un humour qui ne soit pas démobilisateur. Avec les Mégret, le sujet c’était quand même les fachos. Pour moi, c’est de l’insoumission. Tu disais à l’autorité : “Tu ne me fais pas peur. Regarde, je vais me foutre de ta gueule.”
Souvent, le pouvoir ne supporte pas. Parce qu’il a besoin de sacré pour exister alors que l’humour a tendance à tout désacraliser. Il y a une phrase de Didier Super que j’aime beaucoup : “Vaut mieux en rire que de s’en foutre.”
Guillaume, tu te sens anarchiste ? Libertaire ?
Guillaume Meurice — Ces termes, ils me semblent un peu vieillots. On s’en fiche, on n’a pas besoin de se définir.
“Je n’arrive pas à me mettre dans une case, ce qui est un peu con pour un dessinateur” Luz
L’anarchisme est un courant politique profondément réactivé en ce moment. Beaucoup de jeunes s’en réclament…
Guillaume Meurice — À France Inter, j’aimais bien dire que j’étais un anarchiste subventionné. Ça faisait la blague. Là, je vais être payé par Matthieu Pigasse [président du groupe Combat, qui regroupe Les Inrockuptibles, Radio Nova, Rock en Seine]. Tu as déjà vu un anarchiste payé par un banquier d’affaires ?
Luz — Avant de nous définir, il faudrait déjà dire que, politiquement, on n’est pas finis. Ce qui nous permet d’être un petit peu libres.
Tu veux dire quoi par “pas finis” ?
Luz — Je n’arrive pas à me mettre dans une case, ce qui est un peu con pour un dessinateur. C’est logique, en même temps. Je ne suis pas certain de toutes mes idées. J’aime l’idée d’écrivain ou d’amuseur public. Ou, en l’occurrence, de dessinateur public.
Quand j’apprends que quelqu’un a fait un agrandissement de telle case extraite d’un de mes bouquins pour le mettre dans ses chiottes, je me dis que tout ce que je fais, ça mène une autre vie en dehors des moments de lecture. Ça a un sens sur la place publique.
Guillaume Meurice — Même si ce qu’on fait peut avoir une portée politique, ce n’est pas de la politique. On ne fait pas des tracts. Tu m’arrêtes si je me trompe, mais je pense qu’on n’arrive pas avec la volonté de convaincre ou de dire qu’on a raison, on arrive avec notre point de vue et des blagues.
“Dès que je fais une chronique anti-Macron, je mets toujours une vanne sur les fachos pour qu’ils ne partagent pas ma chronique” Guillaume Meurice
Justement, tes détracteur·rices te voient comme un producteur de tracts politiques…
Guillaume Meurice — Précisément parce qu’ils ne connaissent pas mon travail. Par exemple, je ne connais pas du tout Riss [le directeur de Charlie Hebdo], mais je connais bien son travail, donc ça me fait marrer quand il dit que Meurice devrait être plus nuancé. Quand il fait sa sortie sur moi récemment, je pense que c’est juste qu’il ne me connaît pas [en novembre 2023, alors que Meurice s’était revendiqué de “l’esprit Charlie” en postant sur les réseaux une couverture du magazine dessinée par Charb, Riss déclarait dans La Tribune Dimanche : “L’esprit Charlie, ce n’est pas une poubelle qu’on sort du placard quand ça vous arrange pour y jeter ses propres cochonneries. Cette semaine, Charlie a consacré sa une à Netanyahou. On n’a pas eu besoin de dire que c’était un nazi, ni de préciser qu’il était circoncis pour faire comprendre aux lecteurs ce qu’on en pensait. C’est ça, l’esprit Charlie. C’est plus subtil et plus difficile à maîtriser qu’il n’y paraît !”]
Il a été violent à ton encontre, quand il dit que “l’esprit Charlie n’est pas une poubelle”, alors que tu n’as fait que republier cette une de Charlie Hebdo dessinée par Charb sur l’invention de l’humour…
Luz — Moi j’ai trouvé qu’utiliser ce dessin avait un sens.
Guillaume Meurice — Je sortais d’une discussion avec Laurence Bloch [ex-directrice de France Inter] qui me disait que je mettais de l’huile sur le feu. C’est exactement la une de Charlie.
Luz — Avant d’être la une de Charlie, c’est le dessin de Charb. À un moment donné, vos dessins vous échappent et échappent aux journaux qui les publient. Je ne vais pas faire parler les morts, mais ce dessin se prête à la situation.
Vous avez le sentiment que vos blagues vous échappent ?
Luz — C’est la vie des productions artistiques, au sens large.
Guillaume Meurice — Mon astuce, c’est que dès que je fais une chronique anti-Macron, je mets toujours une vanne sur les fachos pour qu’ils ne partagent pas ma chronique. Comme pour dire : “Ne vous trompez pas, je ne vous aime pas non plus.”
“Je n’ai pas retrouvé le goût de l’actualité, j’ai retrouvé le goût du con !” Luz
Luz, tu suis encore l’actualité politique ou tu t’en détaches ?
Luz — J’ai eu un réflexe de dessinateur récemment. Le premier dessin que j’ai eu en tête, c’était des punaises de lit qui préparaient leur retour parce qu’elles avaient été squeezées par l’actu. Elles se disaient : “Là, on est bons, on va pouvoir attaquer les draps”, et paf, la dissolution. Encore raté. À un moment donné, j’ai eu une fascination pour Éric Ciotti. Je me suis demandé comment Charb aurait pu le dessiner…
En pensant à Éric Ciotti, tu semblais donc avoir retrouvé le goût de l’actualité !
Luz — Non, je n’ai pas retrouvé le goût de l’actualité, j’ai retrouvé le goût du con !
Comment avez-vous vécu ce moment de l’entre-deux-tours des législatives ? La victoire du NFP fut-elle un soulagement festif ?
Guillaume Meurice — Pas trop. Je pense que l’arrivée du RN au pouvoir est devant nous. Je n’ai pas trop d’attente vis-à-vis de tout cela en fait ; à mon avis, tant qu’on n’aura pas dézingué la Ve République, tout le reste ne servira pas à grand-chose.
Luz — De mon côté, comme je n’avais pas la soupape de faire du dessin de presse, j’ai serré les fesses beaucoup plus fort que d’habitude. Par comparaison avec Le Pen au second tour en 2002, cela n’avait rien à voir en termes de tension.
Sans la possibilité d’un exutoire via le dessin, j’ai vraiment eu l’impression de subir l’actualité. Du coup, le soir où le RN s’est retrouvé derrière et, meringue sur le gâteau, où l’on découvrait que la France se retrouvait relativement majoritairement de gauche, j’étais content.
Guillaume Meurice — Je comprends très bien cette façon de subir l’actualité quand tu n’en fais rien. J’aime bien cette phrase de Victor Hugo qui appelait à “étonner la catastrophe”, c’est une manière de dire à l’actualité qu’on n’a pas peur d’elle.
Luz — Je me rends compte que, par exemple, mon album Testosterror m’a permis de ne pas subir le retour du “mâlealphaïsme”.
As-tu eu envie de revenir au dessin d’actualité, Luz, du coup ?
Luz — Non. Mon cerveau ne fonctionne plus comme cela. Je ne me réveille plus avec France Info, par exemple.
“Écouter dès le réveil une interview de Bruno Le Maire par Léa Salamé, c’est une manière de torturer les gens” Guillaume Meurice
Guillaume Meurice — Je ne comprends pas les gens qui se réveillent avec les infos. Moi, jamais je n’écoute de radios d’actualité le matin. écouter dès le réveil une interview de Bruno Le Maire par Léa Salamé, c’est une manière de torturer les gens. Je ne comprends pas pourquoi il faudrait s’infliger ça. On comprend mieux pourquoi les gens ne se sentent pas bien après.
Vous écoutez quoi en vous réveillant ?
Guillaume Meurice — De la musique. J’écoute Fip ; bon, maintenant, je mettrai Radio Nova !
Luz — Moi, j’écoute un peu France Culture le matin et surtout beaucoup de web radios, notamment celle de France Musique sur les bandes originales.
Luz, tu continues à écouter beaucoup de musique ?
Luz — Cela dépend. Quand j’ai dessiné Vernon Subutex, j’ai écouté tout Frank Zappa, par exemple. Je viens de découvrir Belong grâce à un article d’Olivier Lamm [dans Libération], un truc de shoegaze à la My Bloody Valentine. Mais l’actu pure, c’est un peu éloigné de moi, sauf aux toilettes, où je scrolle.
Guillaume Meurice — L’autre jour, j’ai entendu une phrase incroyable dans les couloirs de France Inter ; un journaliste de la rédaction se plaignait auprès d’un confrère : “En ce moment, y a pas d’actu.” Après les punaises de lit. Alors qu’il y avait des massacres à Gaza, sans images, certes. Ce que ce journaliste voulait dire, c’est qu’il n’y avait pas de spectacle.
Existe-t-il un agenda politique de Vincent Bolloré selon toi, Guillaume ?
Guillaume Meurice — Évidemment. Même lui le dit ouvertement. Mais moi, je n’en veux pas aux fachos d’être des fachos, j’en veux surtout aux libéraux de ne pas être libéraux. L’économie de marché peut fonctionner pour certains secteurs : pour fabriquer des tapis, le marché, c’est peut-être bien. C’est peut-être mieux qu’il n’y ait pas de ministère des Tapis.
Mais pour un hôpital, à mon avis d’humoriste, c’est mieux s’il y a un service public qui régule le secteur. Je ne suis pas si anarchiste que cela, tu vois, je défends l’idée d’un état social. Je n’en veux pas non plus à Bernard Arnault de vouloir accumuler de l’argent ; je n’en veux même pas à Macron d’être Macron.
On devrait plutôt se poser la question de la structure démocratique dans laquelle on vit. Un banquier d’affaires gère l’intérêt général ! C’est lui qui décide du sort des crèches, par exemple. C’est insensé. J’ai toujours pensé qu’on vivait dans une téléréalité pour extraterrestres – on est un peu Les Ch’tis à Mykonos du cosmos.
© Julien Lienard pour Les Inrockuptibles
La bollorisation du paysage médiatique, est-ce un enjeu politique-clé ?
Guillaume Meurice — C’est l’enjeu principal. L’historien Johann Chapoutot explique très bien comment le fascisme, dans l’Histoire, s’allie avec les forces dites libérales ; c’est un rapport de domination basique. Les gens qui ont du pouvoir et de l’argent veulent garder leurs privilèges et leur place dans le système de domination, s’il faut pour cela s’allier avec des racistes, ils le font. En tapant en plus sur la gueule des gens comme nous, qui demandons simplement : est-ce qu’on peut redistribuer les richesses un peu mieux ?
En tant que clown, as-tu l’impression, Guillaume, d’être une sorte de virus dans cette grande structure qu’est le paysage médiatique ?
Guillaume Meurice — Oui, j’ai un peu le rôle du bouffon du roi, c’est une position que j’aime bien, à la marge, un peu dedans, un peu dehors. J’ai été caution de la structure – faire des blagues sur France Inter –, le pouvoir m’a autorisé à me foutre de sa gueule, même s’il m’a viré au bout du compte.
Je l’ai fait tout en ayant conscience des limites de l’exercice. C’est pour cette raison que cela ne m’a pas trop affecté d’être viré. Franchement, faire autre chose, cela me va. Si je devais ouvrir une crêperie, je ne serais pas malheureux.
As-tu été sidéré parfois par les réponses aux sujets d’actualité que tu as recueillies durant ces dix années de micros-trottoirs
réalisés pour France Inter ?
Guillaume Meurice — C’est vrai que souvent la réalité dépassait ce que j’avais pu anticiper.
Cela devait être jouissif pour ta chronique, mais n’était-ce pas triste d’un point de vue humain ?
Guillaume Meurice — Non. J’ai un petit côté cynique philosophiquement parlant. Dès l’enfance, dans la maison de la presse de mes parents, j’entendais déjà ces paroles. Il y avait des débats tout le temps. J’ai grandi dans un village de 1500 habitants à la campagne, il y avait déjà des racistes, des gens qui disaient “avec ce qu’on voit !”. Mon père leur demandait “ce qu’on voit où ?”.
Je sais aussi que j’aurais pu faire partie de ces gens, que je n’ai pas de mérite particulier à n’être pas devenu comme eux, grâce à un peu d’éducation, de culture. Je ne me sentais pas au-dessus des gens que j’interviewais. Si je regardais CNews durant deux heures par jour pendant trois ans, je pourrais peut-être me dire à mon tour que “les Arabes, c’est compliqué”.
“J’ai regardé la cérémonie d’ouverture : quand j’ai vu Philippe [Katerine] sortir de sa cloche, j’avoue que j’ai été comblé” Luz
Ton travail prolonge des souvenirs d’enfance ?
Guillaume Meurice — Oui, on peut dire ça. En plus, j’ai entendu mes parents, de gauche, rigoler avec tous ces gens.
Avez-vous regardé les JO ?
Guillaume Meurice — [rires] Pas vraiment.
Luz — La cérémonie d’ouverture, je l’ai regardée quand même. Cela allait un peu trop vite pour moi, je m’ennuyais un peu, mais quand j’ai vu Philippe [Katerine] sortir de sa cloche, j’avoue que j’ai été comblé. C’était très beau.
Guillaume Meurice — Aya Nakamura, aussi, c’était parfait. Cela a désamorcé tous ceux qui la détestent. C’est comme ton dessin après l’attentat de Charlie, “Tout est pardonné”, il n’y a rien de mieux.
La réconciliation, cela vous plaît comme horizon de vie ?
Guillaume Meurice — Je n’ai pas de problème avec le conflit. Les gens qui m’en veulent perdent du temps à me haïr, je ne suis pas si intéressant que cela. D’autres vous font plus de mal que moi, ai-je envie de leur dire.
Luz — Cela dit, on ne peut jamais faire un dessin en étant certain que l’on va tomber juste.
Guillaume Meurice — Qu’est-ce que tu as ressenti quand tu as eu l’idée ?
Luz — Le dessin était là, mais je ne savais pas quoi faire du personnage du prophète. Quand j’ai pensé à “tout est pardonné”, cela m’a semblé évident. Guillaume et moi, au fond, on n’est pas des animaux politiques, on est juste des gamins qui tentons de décrypter un monde qu’on ne comprend pas trop. Et on continue à ne pas le comprendre.
Dans l’oreille du cyclone de Guillaume Meurice (Seuil, 2024).
La Révolte sans précédent, roman graphique de Guillaume Meurice et Sandrine Deloffre (Dargaud), 48 p., 13,50 €. En librairie le 11 octobre.
Un pas de côté de Gébé (Buchet-Chastel/“Les Cahiers dessinés”, 2002).
Tous les chevaliers sauvages – Tombeau de l’humour et de la guerre de Pacôme Thiellement (Philippe Rey, 2012).
Yolo d’Aymeric Lompret, en tournée du 27 septembre au 22 mai 2025.
Retrouvez Guillaume Meurice, Aymeric Lompret, Juliette Arnaud et Pierre-Emmanuel Barré pour La Dernière, en direct et en public au théâtre L’Européen à Paris et sur Radio Nova, tous les dimanches de 18 h à 20 h.
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Author : inrocks
Publish date : 2024-09-29 17:00:00
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