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Faut-il (toujours) détester les salles de cinéma premium ?

Faut-il (toujours) détester les salles de cinéma premium ?



Certain·es se rappelleront peut-être comment le lancement en 2013 à Roissy de la première expérience française contemporaine de salle dite “premium” avait été reçu dans le milieu par des moqueries et des commentaires très virulents – sans doute pas étrangers à l’identité clivante de l’entrepreneur, un certain Besson Luc, qui tentait pour sa major EuropaCorp une diversification dans l’exploitation, activité abandonnée depuis.

Le prix de 25 €, les divans en cuir, l’iPad pour commander champagne Pommery et saumon Petrossian pouvaient alors effectivement passer pour des exemples assez caricaturaux de ces fameux signes extérieurs de richesse en principe retenus à l’entrée de la salle de cinéma, lieu fondamentalement égalitaire.

Miser sur la technologie

Onze ans plus tard, les salles premium sont encore loin de mettre tout le monde d’accord, mais elles se sont installées dans le paysage et dans les habitudes – même si le public des centres villes est généralement moins familier de ces équipements, qui équipent environ 5 % des multiplexes. Les salles EuropaCorp ont fait long feu, revendues en 2016 à Pathé (tiens donc).

Mais c’est surtout en mettant l’accent sur des technologies de projection et d’immersion que les réseaux ont justifié leurs nouvelles offres premium surtarifées, comme les salles Immersive Cinema Experience (ICE) inaugurées par CGR en 2016 (bordées d’écrans verticaux accompagnant certaines scènes d’animations visuelles, stroboscopiques, etc.), ou les salles 4DX (un format développé initialement en Corée du Sud, permettant d’exploiter certains blockbusters en conditions Futuroscope avec sièges qui bougent, effets d’atmosphère…) à partir de l’année suivante chez Pathé (encore eux).

Pathé en porte-étendard

Avec certes un confort supérieur à celui d’une salle normale, les salles premium s’appuient avant tout sur l’expérience physique du film, labellisée par des sigles et des effets de marque que le vulgum pecus reconnaît et valorise a priori, sans trop savoir ce qu’ils désignent concrètement (son Dolby Atmos, résolution 4K, laser 9P, écran LED Onyx…).

Des opérations couronnées de succès : Jean-Baptiste Salvat, directeur du CGR de Blagnac, expliquait en 2021 au Centre national du Cinéma et de l’image animée (CNC) avoir approximativement doublé sa part de marché sur certains blockbusters exploités en ICE. De son côté, la 4DX ne cesse d’étendre son empire, avoisinant en 2023 le demi-milliard de recettes mondiales en nouant des partenariats avec les plus grands groupes d’exploitation de la planète, comme Wanda ou Cineworld. Pathé (bon, ça suffit) expérimente depuis peu un festival consacré à cette technologie, dont la dernière édition s’est déroulée fin août dans les cinémas du réseau.

Faire mieux que Netflix & chill

Difficile, face à ces résultats, de maintenir dans les mêmes termes le procès en stratification sociale, dans la mesure où l’offre ne prétend plus vraiment s’adresser à une élite économique avide de se montrer, mais à des spectateurs simplement désireux d’exceptionnaliser une sortie et de justifier la dépense.

La salle premium est une victoire objective dans la guerre concurrentielle opposant les cinémas aux plateformes de streaming, et ceci à un prix qui pour ne pas être neutre, n’en demeure pas moins loin d’être prohibitif pour la majorité de la population : un “cosy seat” dans les complexes Kinepolis vaut deux euros de plus qu’un ticket normal. Les expériences immersives type 4DX, ICE, IMAX, etc. peuvent faire monter la facture au-dessus des vingt euros. « C’est encore la façon la moins coûteuse de passer une soirée hors du commun”, expliquait en 2012, non sans goût de l’oxymore, le directeur d’EuropaCorp.

Des prix non-prohibitifs ?

Si le prix du ticket de cinéma de base, en moyenne d’un peu plus de sept euros (chiffres CNC), reste la raison numéro un qui dissuade le public français de se rendre au cinéma d’après la dernière enquête du CNC, celui de ces offres haut de gamme est paradoxalement mieux accepté : les salles premium se portent à merveille, et soulagent significativement les finances globales du secteur, qui souffre encore d’une fréquentation sur la brèche.

En 2023, Jérôme Seydoux, directeur de Pathé, expliquait au Monde que “sur les films importants, une entrée sur trois est réalisée [en premium] et ces billets sont systématiquement les premiers vendus”. Il réitérait tout récemment dans le Figaro, plus succinctement : “les salles qui marchent le mieux sont les plus chères”.

L’insubmersible nonagénaire y croit d’ailleurs suffisamment pour radicaliser l’offre, en inaugurant désormais des multiplexes dits “full premium”, alors que l’esprit était jusqu’ici plutôt de proposer des wagons de première parmi les salles normales. C’était le Pathé Parnasse, ouvert depuis 2022 ; c’est désormais le Palace, qui franchit un cran de luxe, entre conciergerie, pop corn haut de gamme, espaces conçus par des stars de l’architecture (Renzo Piano) et du design (Jacques Grange) – un modèle qu’il n’est cependant pas question de reproduire, ni même vraiment de rentabiliser, le complexe étant surtout une vitrine pour le siège de Pathé dont il partage l’immeuble.

Le retour des élites

L’ouverture de la salle Infinite du Grand Rex l’an dernier confirme cependant une tendance dans la tendance : une sorte de récupération du premium par les catégories élitaires de public auxquelles on le croyait initialement destiné, mais qui avaient vite abandonné les fauteuils cosy au public provincial et périurbain des multiplexes. Retour à la case départ, ou gentrification du phénomène : le premium remigre dans l’hypercentre parisien (qui n’allait tout de même pas éternellement laisser le haut de gamme aux ploucs), baigné à nouveau dans ces ambiances de luxe tamisé associées à ses premiers balbutiements. Faut-il vraiment s’en inquiéter ?

On ne saurait l’accuser de rendre le cinéma plus inaccessible : en réalité, le premium joue même probablement un rôle de léger frein à l’inflation, en offrant aux multiplexes un levier de recettes qui peut les dissuader d’augmenter le ticket normal. Quant à l’argument du principe égalitaire de la salle, il est d’un dogmatisme un peu naïf au vu des fracturations béantes de la cinéphilie des Français.

Alors que les ratios d’exploitation Paris-province battent annuellement des records dans les deux sens (traduction : les comédies de grande exploitation ne sont même plus montrées dans les cinémas de centre ville, et inversement pour l’art et essai à la campagne), peut-on encore se cacher derrière un ticket à prix unique pour se raconter la fable du cinéma comme temple de rassemblement transcendant les classes ? Il est permis d’en douter.



Source link : https://www.lesinrocks.com/cinema/faut-il-detester-les-salles-de-cinema-premium-630479-30-09-2024/

Author : Théo Ribeton

Publish date : 2024-09-30 17:25:16

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Tags :Les Inrocks

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