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Le RN, une ascension résistible ? Les essais à lire pour faire le point

Le RN, une ascension résistible ? Les essais à lire pour faire le point



Jusqu’à quand la conquête du pouvoir élyséen par l’extrême droite butera-t-elle sur la dernière marche ? Jusqu’où les victoires des camps opposés, même d’un fil, se fêteront-elles dans un soulagement libérateur ? Si la victoire inespérée du Nouveau Front populaire au second tour des législatives le 7 juillet dernier a permis de conjurer cet horizon d’un pays dirigé par le Rassemblement national, chacun·e mesure bien que le “sursaut” pourrait n’être “qu’un sursis”, suggèrent le philosophe Michaël Fœssel et le sociologue Étienne Ollion dans leur essai Une étrange victoire – L’extrême droite contre la politique.
Sursaut ou sursis ? S’il s’est posé comme jamais en début d’été, ce dilemme traverse en réalité le paysage politique français depuis des décennies. Proche d’un accomplissement, la dynamique du vote d’extrême droite s’est amplifiée depuis ses tout premiers élans municipaux au milieu des années 1980 jusqu’à se qualifier trois fois au second tour de l’élection présidentielle (2002, 2017, 2022) et devenir le premier parti en nombre d’électeur·rices (10 millions de voix le 7 juillet). Même sans avoir obtenu la majorité absolue à l’Assemblée nationale, le parti a obtenu 8 député·es en 2017, 89 en 2022 et 143 en juillet 2024, si l’on additionne ses nouveaux et nouvelles allié·es issu·es des bancs des Républicains.
Et le RN ne compte pas s’arrêter là, rappelle le journaliste Tristan Berteloot dans une enquête, La Machine à gagner – Révélations sur le RN en marche vers l’Élysée. Modifiant le centre de gravité des droites, le RN a attiré le vote des classes moyennes et supérieures, tout en se positionnant comme le porte-drapeau des vulnérables, dans un tour de passe-passe habile qui berne aussi facilement ses adeptes que le macronisme écœure ses ennemi·es. Alors, comment comprendre, et affronter, cette dynamique politique que le sociologue Ugo Palheta nomme la Résistible ascension du RN dans un livre collectif qu’il a dirigé, fruit d’un colloque de l’Institut La Boétie ?
L’époque de la sidération
Depuis des années, les chercheur·ses expliquent que les succès du RN procèdent avant tout de l’implantation de leurs idées dans le débat public, au point de sidérer tous·tes celles et ceux qui le combattent. Michaël Fœssel et Étienne Ollion rappellent que “l’époque de la sidération a commencé vers 2007” ; c’est alors que “des équivalences empruntées à l’extrême droite, par exemple entre immigration et délinquance, ont fleuri au sommet de l’État”.
Par-delà les facteurs économiques et sociaux qui poussent depuis les années 1990 une partie de l’électorat populaire à se tourner vers les sirènes du RN, la structuration du débat public tend de plus en plus à renforcer la libération de la parole raciste, les agressions verbales ou physiques contre les minorités. La mise en orbite du “grand remplacement”, concept ressurgi depuis la marge la plus radicale de l’extrême droite, en est un indice glaçant.
Une constellation d’influenceur·ses néofascistes
“Une offensive raciste a commencé à se déployer et s’est radicalisée en France au cours des années 2000-2010, en prenant prétexte du 11 septembre 2001 et, plus tard, des attentats de 2015 sur le sol français, pour cibler les immigrés extra-européens et les musulmans, intensivement et de plus en plus systématiquement”, remarque Ugo Palheta. Le sociologue Félicien Faury le rappelait au printemps dernier dans son enquête Des électeurs ordinaires : l’aversion des électeur·rices RN envers les minorités racisées forme le cœur du vote d’extrême droite. Or, la normalisation du parti de Le Pen et Bardella reste liée à son acceptation de plus en plus marquée au sein du champ médiatique, notamment depuis que le groupe Bolloré (mais pas que) y a élargi sa zone d’influence.
Depuis aussi que les influenceurs·ses néofascistes ont imposé sur internet leurs récits nauséabonds. L’enquête de deux jeunes journalistes de Libération, Pierre Plottu et Maxime Macé, Pop Fascisme – Comment l’extrême droite a gagné la bataille culturelle sur internet, en consigne précisément les visages et les motifs. De Papacito à Henry de Lesquen, de Valek à Kroc Blanc, de Bruno Le Salé à Psyhodelik, d’Alice Cordier à Thaïs d’Escufon, un aréopage d’influenceur·ses s’excitent sur YouTube, mais aussi X, Instagram, Telegram, Deezer et Spotify. Tous et toutes forment “une avant-garde en charge de balayer les valeurs de l’humanisme égalitaire chez leurs consommateurs, afin de polariser la société jusqu’à l’instauration d’un ordre illibéral”, soulignent les journalistes.
Décrivant la logique d’un écosystème agrégeant de plus en plus de personnes, Plottu et Macé mettent au jour cette nouvelle fachosphère qui aurait réussi à “extrême-droitiser” le pays. Le FN/RN apparaît aux yeux de ses électeur·rices comme “le parti qui s’oppose le mieux, non pas aux inégalités croissantes entre riches et pauvres ou à l’offensive du capital contre les droits des travailleurs, mais au danger mortel que représenteraient les immigrés, les musulmans et plus généralement les minorités”, estime Ugo Palheta.
La part maudite du macronisme
Dans ce processus vicieux de normalisation, le macronisme a pris toute sa part. Une part maudite. Car il est venu “parachever la trajectoire du personnel politique de la classe dominante”, observe le sociologue, rappelant que “les partis dominants sont allés de plus en plus loin dans la stigmatisation des étrangers, des immigrés et des minorités religieuses ou raciales”. Dans la préface du livre, l’historien Johann Chapoutot parle de la Macronie comme d’une entité “composée de manageurs autoproclamés, qui ont pour seul critère la ‘réussite’ (en l’espèce, se maintenir au pouvoir) et qui font fi de l’histoire et des principes de la République dont, par formation comme par culture personnelle, ils n’ont qu’une connaissance approximative”.
De fait, la Macronie a “tout intérêt à présenter comme absolument inéluctable la montée de l’extrême droite”, affirmait en août sur Mediapart Clémence Guetté, députée LFI du Val-de-Marne et coprésidente de l’Institut La Boétie, “car Emmanuel Macron fait le pari simpliste et extrêmement dangereux qu’il gagne à tous les coups contre Marine Le Pen au second tour”.
Pour autant, rien ne permet de faire porter à la seule Macronie le chapeau un peu trop lourd de l’ascension du RN. Parmi de multiples facteurs qui la conditionnent, les dérives de certain·es intellectuel·les depuis trente ans ont par exemple joué un rôle déterminant. Dès 2002, l’historien Daniel Lindenberg s’en alarmait dans Le Rappel à l’ordre – Enquête sur les nouveaux réactionnaires. Ce constat d’un paysage intellectuel de plus en plus aspiré par la droite dure a été maintes fois affiné depuis vingt ans, à la fois par des politistes (Nonna Mayer, Gérard Noiriel, Philippe Corcuff, Frédérique Matonti dans son essai de 2021 Comment sommes-nous devenus réacs ?, Fayard) et des philosophes (par exemple Jacques Rancière, dans son magistral livre Les Trente Inglorieuses, paru à La Fabrique en 2022).
Citoyen·nes vs. électeur·rices
Mais cette observation étayée de succès électoraux à répétition, d’idées de plus en plus partagées, d’attentes de plus en plus comblées sur les plateaux télé et les réseaux sociaux doit-elle nous conduire à conclure à la certitude d’une victoire du RN en 2027 et à l’évidence d’une droitisation extrême du pays ? Cet horizon ne va pas complètement de soi et reste soumis à discussion, comme le prouve le sociologue Vincent Tiberj dans son essai La Droitisation française – Mythe et réalités. Son enquête solide, nourrie d’études scientifiques plus rigoureuses et éclairantes que les sondages habituels censés cartographier l’opinion publique, défend une thèse a priori contre-intuitive : en dépit d’un “conservatisme d’atmosphère”, qui s’appuie sur des relais médiatiques et des militant·es, il n’existerait pas une droitisation générale “en bas” de la société. À la lumière des idées qui motivent les citoyen·nes, tout ne va pas si mal pour les progressistes ; les citoyen·nes divergent en fait des électeur·rices !
“Le RN a pu obtenir un nombre conséquent de votes et la gauche pesait à peine un tiers des suffrages, mais ces équilibres électoraux ne reflètent pas nécessairement les évolutions et les demandes
de la société française”, estime Tiberj. Pour illustrer cet écart, le sociologue rappelle que les libertés et droits des femmes ont été peu à peu reconnus et renforcés depuis vingt ans, tout comme ceux des minorités sexuelles. “La lutte contre les préjugés racistes, homophobes ou sexistes a semblé porter ses fruits, particulièrement dans les années 1990”, estime-t-il.
S’il mesure l’écho des paroles extrémistes dans le débat public et la réalité d’un “cadrage” politique dominant, l’auteur avance que les idées du RN sont très loin de refléter ce qui se passe dans la société. L’élévation du niveau de diplôme et le renouvellement générationnel permettent notamment de mettre à distance l’attraction pour les idées d’extrême droite. Comment comprendre cet écart entre des citoyen·nes échappant à la droitisation et des urnes pétries de bulletins RN ? Tiberj le reconnaît lui-même : “L’absence de droitisation par en bas n’aura plus beaucoup d’importance face à qui pourrait arriver au pouvoir.”
“Une manière de refaire de la politique”
Comment y résister et faire en sorte que le “bas” ne se fasse pas avaler par le “haut” de la société ? Comment, se demandent Fœssel et Ollion, interpréter autant d’étrangetés, comme celle d’entendre dire que “l’extrême droite se présente comme le meilleur défenseur de la laïcité, l’ennemie farouche de l’antisémitisme et la représentante d’un peuple dont les droits démocratiques ont été confisqués” ou encore d’entendre “dans les cercles du pouvoir et sur les plateaux de télévision que son projet économique a comme seule tare d’être de ‘gauche’”. Toutes ces étrangetés n’ont rien de mystérieux au fond, selon eux, à partir du moment où l’on comprend qu’elles participent “de la victoire elle-même”. Empêcher le RN de conquérir l’Élysée exigera de retrouver “une manière de refaire de la politique”, avec des repères clairs, et de poser le clivage gauche-droite comme un principe structurant.
C’est précisément cette ligne de clivage que le NFP a réactivée lors de la campagne d’entre-deux-tours en juillet dernier, à l’image de l’énergie combative d’une Marine Tondelier qui revient elle aussi sur son expérience d’élue locale face au RN dans son récit Nouvelles du front. Pour que le sursaut se prolonge, il faudra “demeurer fidèle” à la politique qui s’est refaite alors à la hâte durant cette semaine. Précisément résistible plutôt qu’irrésistible, cette ascension ne devra sa redescente qu’à cet attachement “moral” au principe d’une communauté nationale “sous modalité égalitaire plutôt qu’identitaire”. Seul cet attachement est irrésistible.
Extrême droite : la résistible ascension dirigé par Ugo Palheta (Amsterdam), 280 p, 18 €. En librairie.
La Droitisation française – Mythe et réalités de Vincent Tiberj (Puf), 144 p, 15 €. En librairie.
Une étrange victoire – L’extrême droite contre la politique de Michaël Fœssel et Étienne Ollion (Seuil), 144 p., 18 €. En librairie le 18 octobre.
Pop Fascisme – Comment l’extrême droite a gagné la bataille culturelle sur Internet de Maxime Macé et Pierre Plottu (Divergences), 146 p., 15 €. En librairie.
La Machine à gagner – Révélations sur le RN en marche vers l’Élysée de Tristan Berteloot (Seuil), 250 p., 19,50 €. En librairie.
Nouvelles du front de Marine Tondelier (Les Liens qui libèrent), 224 p., 8,90 €. En librairie.



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Author : Jean-Marie Durand

Publish date : 2024-10-01 17:00:00

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